Au loin, les loups hurlaient à la demi-lune. Arka sourit. Peut-être son feu de camp était-il un peu petit pour la réchauffer suffisamment, et peut-être ses châtaignes commençaient-elles à être un peu vieillies, toujours était-il que de vivre la forêt de nuit était un spectacle qui ne la laissait jamais indifférente. L’odeur des feuilles humides et de la mousse, le chant des chouettes, la musique du vent dans les branches désormais presque nues, le renâclement rassurant d’un cheval capable de l’emmener aussi vite que le vent… En y repensant, la Lande était parvenue à lui faire apprécier tout ce qui lui faisait le plus horreur à ses débuts.
Tout à coup, un bruit de pas la tira de ses pensées. Arka posa instinctivement la main sur la garde de son poignard.
— Qui vient ? lança-t-elle aux ténèbres que le feu tenait en respect.
Achedan émit un petit hennissement, auquel répondit un autre cheval. Puis une silhouette équestre émergea des broussailles de la forêt. L’animal décharné était pourvu d’un poil d’ours crasseux, d’une encolure grêle et d’un gros nez busqué. De son cavalier en revanche, elle ne distingua qu’un amas de fourrures et de draps. L’absence de forme oblongue évoquant une épée rassura quelque peu la voyageuse, qui préféra tout de même se lever pour réagir au plus vite en cas d’offensive.
— Haro, répondit le nouveau venu. Je ne suis qu’un voyageur de long chemin qui cherche une place au coin d’un feu. Malheureusement la bruine a détrempé tout le bois de cette sombre forêt.
Arka poussa un soupir. La fatigue dans la voix de l’homme lui inspira confiance.
— J’ai moi-même eut grand mal à en allumer un. S’il vous plait, il y a suffisamment de place pour vous.
— Soyez-en remerciée, jeune demoiselle.
Alors qu’il mettait pied à terre, un frisson glacé la fit tressaillir. Elle comprit aussitôt que son invité devait être un puissant sorcier, mais comme il était de coutume lorsque l’on était que de passage, ni l’un ni l’autre ne se présenta. Tout ce qu’Arka apprit de lui fut que sous l’impressionnant quantité de vêtements se cachait un homme plutôt mince, au visage hâve et mangé par une barbe abandonnée à son sort depuis plusieurs jours. De très longs cheveux pâles s’échappaient de sa capuche et, tout en s’emmêlant les uns les autres, lui ceignait le col en une écharpe loqueteuse qui revenait ensuite lui battre le flanc.
Ils partagèrent quelques herbes à bouillon. Régulièrement, Achédan émettait de petits couinements d’indignation lorsque l’autre cheval venait se coller à son flanc, mais bon gré mal gré, le laissait partager sa pitance d’herbe rare entre les feuilles mortes.
— Il faut l’excuser : c’est encore un jeune cheval qui s’effarouche pour peu. La compagnie du votre lui fera passer une moins mauvais nuit, je suppose.
— J’en suis fort aise, sourit Arka.
Tout en observant la buée que formait son souffle après chaque gorgées, la jeune fille sourit.
— Cette nuit est plus froide que la précédente, commenta-t-elle après un long silence -pour autant que la forêt soit capable d’être silencieuse. L’hiver sera bientôt sur nous !
Le visage jusqu’à présent terne de l’homme s’éclaira d’un sourire amusé.
— Cela vous fait rire ?
— Et bien, sans vouloir vous contredire… l’Hiver est déjà là !
Face au froncement de sourcil de son vis-à-vis, il rit encore. Puis il tendit une main dégantée.
— Herkaëlle Lant, pour vous servir, demoiselle de fin d’automne.
Arka avait déjà vu ce nom quelque part. En s’en souvenant, elle se frappa le front : le froid soudain, la sensation de puissance de cette individu étrangement paré pour les frimas… Elle avait évidemment affaire au Veneur des Glas, parcourant la Lande d’Est en Ouest au départ des Salancines pour annoncer l’hiver !
— Enchantée, s’empressa-t-elle en lui serrant brièvement la main. Je me nome Arka !
Si ce n’était pas la première fois qu’elle rencontrait un Veneur, elle n’avait encore jamais eu l’occasion de faire la conversation avec l’un d’entre eux. Très intriguée par ce personnage quasi légendaire de la Lande, elle ne put s’empêcher de lui jeter de nombreux et brefs coups d’œil. Hélas, le monticule de vêtement de Lant ne laissait pas grand-chose paraitre, et comme il était impoli de se montrer trop insistant Arka reporta son attention sur le cheval du Veneur alors que de minces flocons de neiges commençaient à tomber du ciel nocturne.
Encore plus miteux qu’il ne le lui avait paru au premier regard, le cheval paissait nerveusement. Un envol de hibou suffit à le faire bondir. Achédan, tout patient qu’il fut, s’en agaça et botta le train de son congénère qui, complètement prit de panique entre l’oiseau de proie et l’autre cheval, heurta un arbre en s’écartant avant de se tapir par terre, faisant voler la traine diaphane accrochée à sa selle comme le voile d’une mariée à son diadème. Voile toutefois bien loqueteux. Voile de l’hiver, recouvrant son passage d’une nappe de givre.
— Bha ! soupira le Veneur des Glas. Ce n’est décidément pas un animal fait pour la vènerie ! Non seulement il n’a aucune allure, mais en route cette bourrique n’avance pas, passe son temps à s’arrêter et faire demi-tour. Une calamitée ! S’il continue ainsi, l’hiver n’arrivera jamais dans l’Ouest, où alors nous y rencontrerons le printemps !
— L’on dit pourtant que les nuits noires arrivent au gré des amples foulées du destrier de l’Hiver, s’amusa Arka. Contrairement à la saison verte qui s’installe au pas tranquille du demi-poney du Veneur Lastelle ! J’aurais imaginé pour vous un cheval grand et fort capable de couvrir six mètres d’une seule foulée[1] !
Le Veneur prit un air peiné et leva sa timbale.
— Un bon cheval, ce cher Denver. Que son âme repose en paix depuis le jour où une belle après-midi de printemps l’a vu se coucher pour la dernière fois.
— Oh, toutes mes condoléances.
— Vous n’avez pas à vous chagriner. Denver avait beau être un colosse, personne n’échappe à la faucheuse, et il est mort de sa belle vieillesse après bien des hivers de cheminements. Ce jeune ergot devait lui suppléer, mais je le crains trop frêle pour supporter plusieurs hivers à voyager. Le moindre coup de vent le fait frissonner, et il déteste marcher dans la neige ! Non, je m’en voudrais trop de ne pouvoir lui offrir une vie fait que de ce qu’il déteste. J’ai demandé à une amie de m’en trouver un plus solide.
Arka approuva d’un mouvement de tête. Tout cela lui rappelait beaucoup Providence et elle en vint à se demander ce que devenait l’ergot.
— Les longs voyages sont trop dur pour se faire en mauvaise compagnie. C’est plus sage de votre part. Les ergots sont généralement trop intelligents pour faire convenables montures.
Lant approuva. Après avoir longuement observer les flammes réconfortantes en ce premier soir d’hiver, chacun se coucha de son côté du petit campement abrité du vent par les racines de l’arbre couché. Peu après, ce fut l’ergot du Veneur qui vint se coucher tout près du brasier dans l’espoir de réchauffer sa carcasse condamnée à un an d’hiver ininterrompu.
[1] Une foulée moyenne de cheval couvre 3m à 3m50
Au loin, les loups hurlaient à la demi-lune. Arka sourit. Peut-être son feu de camp était-il un peu petit pour la réchauffer suffisamment, et peut-être ses châtaignes commençaient-elles à être un peu vieillies, toujours était-il que de vivre la forêt de nuit était un spectacle qui ne la laissait jamais indifférente. L’odeur des feuilles humides et de la mousse, le chant des chouettes, la musique du vent dans les branches désormais presque nues, le renâclement rassurant d’un cheval capable de l’emmener aussi vite que le vent… En y repensant, la Lande était parvenue à lui faire apprécier tout ce qui lui faisait le plus horreur à ses débuts.
Tout à coup, un bruit de pas la tira de ses pensées. Arka posa instinctivement la main sur la garde de son poignard.
— Qui vient ? lança-t-elle aux ténèbres que le feu tenait en respect.
Achedan émit un petit hennissement, auquel répondit un autre cheval. Puis une silhouette équestre émergea des broussailles de la forêt. L’animal décharné était pourvu d’un poil d’ours crasseux, d’une encolure grêle et d’un gros nez busqué. De son cavalier en revanche, elle ne distingua qu’un amas de fourrures et de draps. L’absence de forme oblongue évoquant une épée rassura quelque peu la voyageuse, qui préféra tout de même se lever pour réagir au plus vite en cas d’offensive.
— Haro, répondit le nouveau venu. Je ne suis qu’un voyageur de long chemin qui cherche une place au coin d’un feu. Malheureusement la bruine a détrempé tout le bois de cette sombre forêt.
Arka poussa un soupir. La fatigue dans la voix de l’homme lui inspira confiance.
— J’ai moi-même eut grand mal à en allumer un. S’il vous plait, il y a suffisamment de place pour vous.
— Soyez-en remerciée, jeune demoiselle.
Alors qu’il mettait pied à terre, un frisson glacé la fit tressaillir. Elle comprit aussitôt que son invité devait être un puissant sorcier, mais comme il était de coutume lorsque l’on était que de passage, ni l’un ni l’autre ne se présenta. Tout ce qu’Arka apprit de lui fut que sous l’impressionnant quantité de vêtements se cachait un homme plutôt mince, au visage hâve et mangé par une barbe abandonnée à son sort depuis plusieurs jours. De très longs cheveux pâles s’échappaient de sa capuche et, tout en s’emmêlant les uns les autres, lui ceignait le col en une écharpe loqueteuse qui revenait ensuite lui battre le flanc.
Ils partagèrent quelques herbes à bouillon. Régulièrement, Achédan émettait de petits couinements d’indignation lorsque l’autre cheval venait se coller à son flanc, mais bon gré mal gré, le laissait partager sa pitance d’herbe rare entre les feuilles mortes.
— Il faut l’excuser : c’est encore un jeune cheval qui s’effarouche pour peu. La compagnie du votre lui fera passer une moins mauvais nuit, je suppose.
— J’en suis fort aise, sourit Arka.
Tout en observant la buée que formait son souffle après chaque gorgées, la jeune fille sourit.
— Cette nuit est plus froide que la précédente, commenta-t-elle après un long silence -pour autant que la forêt soit capable d’être silencieuse. L’hiver sera bientôt sur nous !
Le visage jusqu’à présent terne de l’homme s’éclaira d’un sourire amusé.
— Cela vous fait rire ?
— Et bien, sans vouloir vous contredire… l’Hiver est déjà là !
Face au froncement de sourcil de son vis-à-vis, il rit encore. Puis il tendit une main dégantée.
— Herkaëlle Lant, pour vous servir, demoiselle de fin d’automne.
Arka avait déjà vu ce nom quelque part. En s’en souvenant, elle se frappa le front : le froid soudain, la sensation de puissance de cette individu étrangement paré pour les frimas… Elle avait évidemment affaire au Veneur des Glas, parcourant la Lande d’Est en Ouest au départ des Salancines pour annoncer l’hiver !
— Enchantée, s’empressa-t-elle en lui serrant brièvement la main. Je me nome Arka !
Si ce n’était pas la première fois qu’elle rencontrait un Veneur, elle n’avait encore jamais eu l’occasion de faire la conversation avec l’un d’entre eux. Très intriguée par ce personnage quasi légendaire de la Lande, elle ne put s’empêcher de lui jeter de nombreux et brefs coups d’œil. Hélas, le monticule de vêtement de Lant ne laissait pas grand-chose paraitre, et comme il était impoli de se montrer trop insistant Arka reporta son attention sur le cheval du Veneur alors que de minces flocons de neiges commençaient à tomber du ciel nocturne.
Encore plus miteux qu’il ne le lui avait paru au premier regard, le cheval paissait nerveusement. Un envol de hibou suffit à le faire bondir. Achédan, tout patient qu’il fut, s’en agaça et botta le train de son congénère qui, complètement prit de panique entre l’oiseau de proie et l’autre cheval, heurta un arbre en s’écartant avant de se tapir par terre, faisant voler la traine diaphane accrochée à sa selle comme le voile d’une mariée à son diadème. Voile toutefois bien loqueteux. Voile de l’hiver, recouvrant son passage d’une nappe de givre.
— Bha ! soupira le Veneur des Glas. Ce n’est décidément pas un animal fait pour la vènerie ! Non seulement il n’a aucune allure, mais en route cette bourrique n’avance pas, passe son temps à s’arrêter et faire demi-tour. Une calamitée ! S’il continue ainsi, l’hiver n’arrivera jamais dans l’Ouest, où alors nous y rencontrerons le printemps !
— L’on dit pourtant que les nuits noires arrivent au gré des amples foulées du destrier de l’Hiver, s’amusa Arka. Contrairement à la saison verte qui s’installe au pas tranquille du demi-poney du Veneur Lastelle ! J’aurais imaginé pour vous un cheval grand et fort capable de couvrir six mètres d’une seule foulée[1] !
Le Veneur prit un air peiné et leva sa timbale.
— Un bon cheval, ce cher Denver. Que son âme repose en paix depuis le jour où une belle après-midi de printemps l’a vu se coucher pour la dernière fois.
— Oh, toutes mes condoléances.
— Vous n’avez pas à vous chagriner. Denver avait beau être un colosse, personne n’échappe à la faucheuse, et il est mort de sa belle vieillesse après bien des hivers de cheminements. Ce jeune ergot devait lui suppléer, mais je le crains trop frêle pour supporter plusieurs hivers à voyager. Le moindre coup de vent le fait frissonner, et il déteste marcher dans la neige ! Non, je m’en voudrais trop de ne pouvoir lui offrir une vie fait que de ce qu’il déteste. J’ai demandé à une amie de m’en trouver un plus solide.
Arka approuva d’un mouvement de tête. Tout cela lui rappelait beaucoup Providence et elle en vint à se demander ce que devenait l’ergot.
— Les longs voyages sont trop dur pour se faire en mauvaise compagnie. C’est plus sage de votre part. Les ergots sont généralement trop intelligents pour faire convenables montures.
Lant approuva. Après avoir longuement observer les flammes réconfortantes en ce premier soir d’hiver, chacun se coucha de son côté du petit campement abrité du vent par les racines de l’arbre couché. Peu après, ce fut l’ergot du Veneur qui vint se coucher tout près du brasier dans l’espoir de réchauffer sa carcasse condamnée à un an d’hiver ininterrompu.
[1] Une foulée moyenne de cheval couvre 3m à 3m50