Aux premières lueurs du jour, le criquet descendit de l’animal, alors que celui-ci creusait son terrier pour la journée. Mais cette fois-ci, le sable fut plus dur qu’à l’accoutumée.
« Qu’est-ce donc ? »
Le fennec tenait entre sa gueule un grand objet en terre cuite, presque aussi grand que lui. Décorée de dessins incompréhensibles, l’objet possédait des anses, une ouverture bouchée par une matière inconnue et semblait vide.
« Où as-tu trouvé ça ? Demanda le criquet.
– Je ne sais pas. Mais c’est étrange. »
Il la secoua dans sa gueule, mais aucun son n’en sorti.
« En tout cas, ça a l’air d’être vide, constata le fennec.
– Qu’est-ce qu’on en fait ?
– Aucune idée. Mais ça fait un très bon repose-tête, constata l’animal en se posant dessus. »
Très vite, le criquet et le fennec reprirent leur sieste et leurs sauts respectifs comme si cet objet étrange n’avait jamais existé. Le soleil passa. Le criquet désormais presque l’atteindre à son zénith, pour autant Saturne était toujours immobile dans le ciel, inatteignable. Quand le soleil tomba, laissant ses reflets blancs à la lune, le criquet s’arrêta et le fennec commença à s’agiter. Sortant en plein air, il traîna l’amphore en terre au sol, laissant une longue trace dans le sable.
« Qu’est-ce que tu fais ? Demanda le criquet.
– Et bien, tu n’es pas curieux, toi ? Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir dans un objet pareil pour qu’il soit perdu en plein désert ?
– Je ne sais pas vraiment que ce ça peut nous apporter…
– Moi non plus, mais ça vaut le coup d’essayer ! Allez, aide-moi. J’ai envie de respirer l’air qu’il y a à l’intérieur. »
Mais l’insecte ne pouvait faire grand-chose face à un récipient de cette taille. Alors que le fennec tirait sur le bouchon avec ses dents, le criquet se posa sur l’objet pour assister à la scène. L'animal, concentré sur l’effort, fermait les yeux. Ouvrir l’amphore semblait lui demander une force qui l’empêchait de se concentrer sur autre chose que lui-même. C’est ainsi que le criquet fut le premier à voir le bouchon de l’étrange objet sauter, et l’air qu’il contenait à l’intérieur.
Le sable autour des animaux sembla alors former comme une tempête. Le vent qui s’était échappé de l’objet n’avait pu se contenter de rester immobile et s’envolait dans l’air, soulevant presque le criquet qui dû s’accrocher en panique aux poils du fennec. Ce qui s’échappait de l’amphore était comme un vent violent, sifflant sa liberté de façon assourdissante aux grandes oreilles du fennec. Celui-ci tenta de se rendre plus gros, plus agressif ; mais il ne savait pas quel ennemi regarder. Sous les rayons de la lune, le vent en furie semblait presque prendre une teinte verte, mêlant l'air du désert à un mirage étrange et surnaturel. Alors que le phénomène monstrueux sifflant creusait un trou dans le sable jusqu’à en faire voir la terre, le fennec laissa tomber l’intimidation aveugle. Pliant ses pattes sur lui-même, fermant les yeux à cause du sable, agrandissant les oreilles comme pour se protéger avec, il ne put que constater rapidement que son compagnon était toujours là avant de rapetisser dans le sable, le plus possible. La peur face à la tempête soudaine ne lui dictait que de disparaître, espérant simplement ne pas être emporté comme un grain de sable.
« Qu’êtes vous ? »
Même les grandes oreilles du fennec eurent du mal à entendre ce qui venait de résonner dans l’air farouche. Quand il osa ouvrir les yeux, il constata que le vent si orageux ne malmenait plus les dunes. Une sorte d’aura verdâtre, à peine visible entre le ciel et le sable, leur faisait face. Gigantesque, majestueuse, rien de ce qu’avait pu voir le fennec de son vivant ne ressemblait à ce qui défilait devant ses yeux.
« Je suis un criquet, répondit le criquet aussi fort qu’il pouvait, et mon compagnon est un fennec. Vous, qu’êtes vous ? »
Le fennec était terrifié de tout son être, son corps paralysé par ce vent aussi monstrueux que glaçant. Le petit insecte quant à lui semblait faire preuve de bien plus de courage ; mais même lui ne savait vers où se tourner.
« Que suis-je, voilà une bonne question. Je suis le vent et les mirages. Je suis l’inatteignable. Je suis une frontière. Mais également, je ne suis pas.
– Vous n’avez donc pas de nom ? Continua le criquet, avec la même tentative de force.
– Les créatures qui ont créé cette amphore m’appellent Djinn. Mais j’ai bien d’autres noms. Lequel vous conviendrait ?
– Aucun, répondit le criquet, si l’on ne sait pas ce que tu nous veux.
– C’est vous qui me voulez quelque chose, vu que c’est vous qui m’avez libéré. Souhaites-tu quelque chose, petit être du désert ?
– Qu’est-ce que cela peut bien te faire ? Continua le criquet sur la défensive. »
Les pattes fermement accrochées au pelage du fennec se mirent à trembler. C’est à ce moment que le fennec comprit que le petit insecte était bien plus effrayé que lui.
– Vous m’avez libéré, et j’en suis reconnaissant, répondit le vent. Et ma gratitude s’exprime avec mes pouvoirs. Que souhaites-tu, petit être ? Je peux t’offrir tout ce que tu veux. Rien n’est impossible pour l’inexistant.
– Vraiment ? »
Le criquet ne répondit pas de suite. Ses antennes s’agitèrent, comme en proie à une réflexion rapide et intense. Et quelque chose se figea davantage dans le cœur du fennec. Une peur le prit, mais une peur différente, étrange, tout aussi paralysante. Il sentait encore l’emprise des pattes du criquet, fermement attachées ; il comprit alors qu’il avait peur de la perdre.
« Criquet… »
Mais que pouvait-il dire ? Face au vent puissant et une étoile lointaine, lequel de ses mots aurait une importance ? Il voulait lui dire de faire attention, de ne pas aller où il ne connaissait pas, mais c’était ce qui avait motivé leur voyage tous ces jours durant. Le but du criquet, aussi incroyable qu’il était, avait été atteint, de façon tout aussi incroyable. Mais comment pouvait-il lui dire désormais que c’était trop rapide ? Que c’était inattendu ? Silencieux, les yeux à demi-clos, avec toujours la peur d’être rendu aveugle par le sable, il était incapable de voir son compagnon ni de deviner quelle décision il allait prendre. Et son corps, durant ce court temps de réflexion assourdissant, n’envoya aucun message, aucun son, aucune aide : paralysé dans sa peur profonde, il attendit, oubliant tout le reste.
« Je souhaite voir saturne dans ce désert aussi clairement que le soleil ! »
En parlant ainsi, le criquet avait détaché toute la tension de ses pattes accrochées au fennec pour sauter en direction du Djinn.
« Crée une illusion qui la rende aussi grosse que le soleil. Pour cette nuit où quelques secondes, peu m’importe ! Je souhaite juste la voir. »
Il retomba alors dans le sable comme si il n’avait toujours été qu’un grain comme un autre. Le vent ne répondit pas davantage, mais une sorte de tempête reprit. Moins violente, plus contrôlée, le halo vert semblait se former et créer quelque chose de véritablement visible.
Une immense sphère inconsistante, en un bruit de vent, se créa alors entre les dunes. La taille était si gigantesque que le désert entier ne semblait pas capable de la contenir. Surpris, le fennec recula à la hâte. Mais son regard noir ne pouvait se détacher de l’immensité incroyable qui apparaissait devant ses yeux.
Saturne se trouvait devant ses yeux. Plus gros encore que le soleil à l’aurore, l’astre flottait tout juste au-dessus du sable. Brillante comme un soleil, la vision prenait de plus en plus de relief, de précision. Au départ elle n’était qu’une immense boule intangible et flottante. Mais plus le vent s’accumulait et plus la forme créait des cratère comme sur une lune qui aurait triplé de volume. L’étoile tournait curieusement sur elle-même, révélant aux deux animaux immobile au sol toutes les facettes de sa beauté. Puis, fini par se créer autour de l’immense sphère des anneaux, plat et uniformes, encerclant l’étoile avec beauté. Toutefois, ils ne purent déterminer si l’étoile était véritablement doré où si c’était les dunes qui lui donnait cette couleur par la lumière qu’elle dégageait. Le désert accueillait, pour une nuit, un criquet et un renard des sables, une véritable planète, cachée en son sein.
Les yeux du fennec séchaient. Ses paupières refusaient tout bonnement de se fermer. Touché en plein cœur par le spectacle dont le vent lui donnait la chair de poule, pas un poil de son être ne pouvait se détacher de ce qu’il voyait. Il était tellement obnubilé par la vision du vent qu’il ne senti même pas le petit criquet revenir se poser sur ses pattes. Mais malgré toutes les questions qu’il avait envie de lui poser, il fallu beaucoup de temps avant que le fennec puisse simplement dire :
« Mais… Pourquoi ? »
Le criquet, tout aussi subjugué par le spectacle, ne répondit également pas de suite. Mais sa réponse ne manqua pas les oreilles de son compagnon.
« Il aurait été dommage que tu ne la voies pas, non ? »
Les voyageurs du désert ont très souvent affaire à toutes sortes de mirage. Mais peu d’entre eux crurent celui qui jura qu’une nuit, une lueur spatiale avait envahi les dunes. Il jurait d’avoir vu dans le désert de sable un astre gigantesque, qui tournoyait immobile entre les dunes et dont le vent froid déplaçait le sable. Mais tout le monde savait qu’il ne pouvait avoir raison : sans soleil, les mirages n’existent pas.