« Tu es sûr que c’est par là ? »
Le soleil tapait à son zénith alors que, accablé par la chaleur, le fennec se servait de ses oreilles pour faire de l’ombre à son compagnon.
« Évidemment ! Tu ne vois donc rien ?
– La seule chose que je vois, c’est de l’air qui brûle… »
Habitué à la chaleur du désert et dépourvu de poil, le criquet ne montrait aucun signe de fatigue. Ainsi, il ne comprit pas pourquoi le mammifère eut besoin de creuser dans le sable après plusieurs heures de marche.
« Mais que fais-tu ? Ce n’est pas dans le sol qu’on trouve les étoiles !
– Je ne peux pas survivre sous un soleil pareil, murmura l’animal qui haletait anormalement. Il va falloir attendre que le soleil se baisse.
– Et moi, que vais-je faire ?
– J’ai promis que je t’aiderai, pas que j’allais mourir pour toi, grinça le fennec en s’installant à l’ombre. Tu n’as qu’à t’entraîner à sauter. Je vais te surveiller. »
A l’extérieur du terrier improvisé, et ne sachant que faire, le petit insecte obéit alors. Commençant à sauter en silence, de manière timide, les ailes vibrant en un bond vertical, il fut vite interrompu :
« C’est tout ? Tu sautais bien plus haut que ça pour m’atteindre le nez !
– Tu m’observes vraiment ? Demanda le petit insecte, surpris.
– Évidemment. Allez, sois sérieux ! Il faut que tu ailles plus loin que la lune ! »
Piqué au vif, le petit criquet sauta avec plus de ferveur.
« C’est à peine si tu frôlerais mes oreilles avec celui-là. Allez, fais un effort ! Tu es un criquet, oui ou non ?
– Justement, je suis un criquet ! Je ne peux pas atteindre aussi facilement les choses que les grands mammifères comme toi !
– Tu plaisantes ? Moi, mon corps est fait pour creuser et me protéger du soleil. Le tien est fait pour le traverser. Tu peux parfaitement atteindre ce qui m’est inaccessible. Alors, ne te concentre que sur tes pattes arrières. Tu peux le faire. Tu es fait pour le saut. Je ne vais pas t’expliquer comment respirer, si ? »
Presque amusé, les grands yeux noirs du fennec le fixait. Posant sa tête sous ses pattes, comme prêt à s’endormir, il attendait patiemment que ses paroles fassent effet. Alors, le petit insecte oublia, le soleil, le vent, les dunes. Ses yeux se fermèrent, et il ne vit rien d’autre que ses ailes translucides se tendre. Ses longues pattes fines se collèrent à son abdomen, lentement, comme au ralenti. Et après un moment de tension pure, il s’éleva dans les airs.
La journée passa ainsi. Le petit criquet sautait, encore et encore, de plus en plus haut. Il n’avait plus à se soucier de son nuage, être dans le grondement. Toute son attention était entièrement dédié a ses sauts et l’étoile qu’il visait, de plus en plus proche. Le temps en l’air, les ailes ouvertes comme un parachutes, lui semblait de plus en plus long, de plus en plus vivant. Il fixait le ciel et admirait en un instant de pur bonheur les dunes rapetisser au fur et à mesure qu’il montait, comme si il pouvait en voir le sommet. Le fennec qui l’observait du s’endormir à certains instants. Il n’y prêtait plus attention. Si il lui avait fait des commentaires, il n’avait pu les entendre. Toute son écoute était interne, concentré sur les vibrations de ses ailes, le claquement de ses pâtes. Et quand le soleil arriva à son crépuscule, il lui sembla presque réussir à sauter par dessus.
Quand les soleil s’enfonça dans le sable pour la fin de la journée, le fennec fit un léger coup de patte en direction du petit criquet.
« On repart ? »
Surpris, l’insecte se coupa en plein élan. L’animal sorti de son trou, marchant avec des mouvements tranquilles et doux sur le sable et sans un mot le criquet le suivi. Mais l’épuisement d’avoir sauté toute la journée se faisait sentir, et désormais il traînait la patte. Suivant le fennec de loin, avec des sauts irréguliers comme une marche entrecoupée, il semblait capable de s’arrêter à tout moment.
« Pourquoi es-tu derrière ? C’est toi qui es censé me guider. »
Le criquet, épuisé, ne pouvait même pas répondre. Agitant ses ailes en des sauts chaotiques, il essaya d’atteindre son compagnon, mais ne put même pas atteindre sa patte. Le mammifère eut une sorte de soupir, et silencieusement, s’allongea dans le sable.
« Allez, monte. Tu me diras où aller depuis mes oreilles. »
Surpris, l’insecte n’osa pas bouger tout d’abord. Mais quand le fennec secoua ses oreilles pour l’inciter à bouger, il fini par franchir le pas. Une fois son compagnon installé, le fennec repartit en silence, ses pattes s’enfonçant à peine dans le sable.
« Pars un peu plus vers l’est, murmura le criquet en frôlant l’oreille droite de son compagnon. »
Docilement, l’animal changea sa direction.
« Où est Saturne ?
– Juste ici, sous ton museau.
– Je ne suis pas sûr d’avoir la bonne…
– Elle est pourtant reconnaissable entre mille.
– Vraiment ? Qu’ai-je donc dans les yeux, alors… »
Car dans les yeux noirs du fennec, seul la lune se reflétait.
Plusieurs jours passèrent ainsi. Sous le soleil, le criquet sautait de plus en plus haut devant un fennec somnolent. La nuit, l’insecte perdait presque conscience dans les poils réchauffants de son compagnon qui traversait le désert en silence sous ses indications. Le mammifère parfois profitait du crépuscule pour chasser des souris des sables. D’autres fois, ils faisaient un détour par Vénus pour manger un fruit de cactus.
« Tu arrives à survivre avec ça uniquement ? Demanda le fennec voyant le criquet s’attaquer au cactus en lui-même.
– Avec quoi d’autre veux-tu que je survive ? Tu me vois chasser ?
– Je me disais qu’il devait exister bien plus petit que toi dans le sable…
– Ce qui serait plus petit que moi serait mes larves, et je ne les mangerai pas, déclara le criquet. »
Plantant ses dents dans le fruit, laissant l’eau couler dans sa gueule de prédateur, il resta silencieux.
Après plusieurs nuits de marche en silence, le fennec déclara :
« Je ne sais plus où se trouve mon territoire. »
Ne sachant pas ce qu’il entendait par là, le criquet ne répondit pas. Le fennec s’arrêta.
« Je n’ai plus de chez-moi.
– Je n’en ai jamais eu, répondit l’insecte.
– Alors tu ne peux pas comprendre ce que je veux dire, déclara le fennec avec amertume.
– Non. Sans doute pas. »
Il se remit en marche. Mais ses pas pourtant léger semblaient casser le sable.
« Être chez-soi, c’est être dans un endroit que l’on connaît, où l’on peut rester, où l’on est heureux.
– Alors tu n’as pas perdu ton chez-toi. Il s’est juste agrandi.
– Vraiment ? A quel point un territoire à le droit d’être grand pour que je puisse encore considérer que c’est le mien ?
– Tu ne m’avais pas dit qu’il y avait des règles.
– Je suppose qu’il y en a, puisqu’il existe des chez-eux, en dehors de mon chez-moi.
– Mais comment tu sais que tu es chez-eux ?
– Parce que je le sens. Ils mettent des odeurs qui leur appartiennent, pour signifier qu’il ne faut pas s’approcher. J’avais fait ça, aussi. A coté de mon terrier. Mais maintenant, je ne saurai plus y retourner.
– Je ne sens rien, moi.
– Évidemment. Tu n’as pas de museau. »
Le criquet ne répondit pas. Le fennec semblait malgré tout s’alléger quelque peu. Après quelques instants de réflexion, il finit par dire :
« Chez moi, c’est Saturne. Est-ce que ça fonctionne ? »
Le fennec eut un petit rire.
« C’est plus proche d’un mirage que d’un chez-soi.
– Pourtant, à mes yeux, tes odeurs sont des mirages. »
Le fennec ne répondit pas. Le petit insecte insista.
« Tu ne penses pas qu’on atteindra Saturne ?
– Je n’en sais rien, soupira-t-il. J’attends de voir.
– Alors, il faut continuer d’avancer. »
J'aime bien l'alchimie entre le fennec et le criquet. C'est très plaisant de lire leur interaction et d'approfondir leur relation, avec leur point de vue respectif. J'aime bien l'ouverture qu'ils ont l'un envers l'autre, et ce malgré leur différence.