C'est le jour où ma femme part.
Je sors une chaise, l'installe au milieu du jardin et m'assois. Il est huit heures et le soleil est déjà haut dans le ciel. Les températures sont douces, agréables. Ça ne me fait ni chaud, ni froid. L'herbe sous mes pieds éclatent d'un vert frais, gorgé de perles de rosée. Je fixe le bois derrière le terrain. Un couple de chardonneret pépie.
J'entends la porte bleue claquer de l'autre côté de la maison. J'entends les pas de ma femme crisser dans l'allée de graviers, lourds de valises. Il n'y a aucune hésitation dans ses pas. Elle passe la grille et tourne à droite vers l'arrêt de bus. Je fixe le bois derrière le terrain. C'est l'heure où le voisin sort son chien.
Le vieux loup se balade sur le sentier en s'appuyant sur sa canne. Il bute sur une racine, trébuche, tombe. Son petit chien jappe nerveusement. Le couple de chardonneret s'est envolé. Sale bête. Je ne bouge pas. Je fixe le vieux qui tente de se relever mais n'y arrive pas. Je ne bouge pas. Il roule sur le côté et émet un râle. Il s'est entaillé le front et une plaie profonde, ouverte saigne abondamment. Faut dire qu'il est sous chimio depuis 4 mois alors il saigne à la moindre eraflure. Je ne bouge pas.
Le cavalier King Charles continue de japper, sans s'arrêter, d'un timbre de plus en plus aigü. Il sautille d'un côté à l'autre. Le vieux s'agrippe à la laisse. Les jointures des ses doigts crispés deviennents blanches. Je me lève.
Je me dirige vers le fond du jardin, entre dans la remise et fouille parmi les outils. Je m'avance vers le voisin et son cabot pleurnichard. Je tire à bout portant. Le râle du voisin s'éteint. Il fixe la langue pendante de l'animal gisant à côté de sa tête. Le silence enfin.
De courte durée. Il se met à répandre des gargouillis qui ressemblent à des gémissements. Je retourne à la remise, range le fusil, me saisit d'une pelle. Je rejoins les corps, l'un geignant, l'autre en lambeaux. Je commence à creuser dans l'humus meuble du bois. Quand le trou a atteint une belle taille, j'y roule le cadavre flasque du bout du pied puis le recouvre. Pendant que je travaillais, le vieux a rampé péniblement vers chez lui. Je le laisse faire. Je cherche un bout de branche pour le dresser sur la tombe fraîche. Et je retourne m'assoir sur la chaise au milieu du jardin.
C'est le jour où ma femme est partie.
Il faut quant même avouer que tu es terriblement efficace pour nous surprendre et retourner les situations. Le narrateur est d'une froideur à glacer le sang. Il est lisse. Je me demande si tu voulais capturer la scène d'un tueur
à sang froid, ou si tu voulais montrer ce que peut faire toute personne dans le désespoir.
Merci.
Merci !
Je ne sais plus quel auteur disait qu'on est toujours à deux doigts de basculer dans l'absurde. J'aimerais écrire des histoires réconfortantes parfois mais je bute souvent cette seconde où la folie et l'incompréhensible viennent bouleverser l'immuable.