L'enfance

Par Ewenee

Il y a de ces voyages qui n'ont pas besoin de caravelle pour me plaire : ceux qui mènent vers le passé.

Par une soirée d’hiver, Aristide, Euxène et son fidèle bœuf se retrouvent autour d’un feu, à l’abri d’un petit abri en pierres. Les jarres d’Aristide sont soigneusement empilées, prêtes pour une prochaine livraison. Les étoiles scintillent haut dans le ciel, et la fumée du bois crépite doucement dans la nuit.

« Raconte-moi un souvenir d’enfance, Aristide, » demande Euxène, le regard pensif, la lumière des flammes dansant sur son visage.
Aristide esquisse un sourire : « Un souvenir ? Que choisir parmi tant d’images... Je vais te parler de ma mère, tiens. Elle aimait se promener dans les champs de coquelicots avec sa sœur. Elles riaient et chantaient en cueillant des fleurs. Je n’étais pas encore né, mais je m’imagine parfois à leurs côtés. À quoi pensaient-elles, jeunes et insouciantes, avec la vie devant elles ? »

Euxène, intrigué, se redresse légèrement. « Et ton père ? Que faisaient-ils, ces gens qui t’ont façonné ? »
Aristide attrape une jarre vide et y trace distraitement des lignes avec un morceau de charbon : « Mon père, lui, était souvent en voyage. Pas pour l’aventure, non, mais par nécessité. Une fois, il est allé jusqu’à Nicée pour affaires. Je rêvais qu’il revenait avec des histoires de terres lointaines, mais en vérité, c’était toujours pour ramener des parchemins ou des outils. Cela n’enlève rien à son mérite, bien sûr. »

Euxène sourit, amusé : « Et toi, enfant, quel était ton plus beau souvenir ? »
Aristide pose la jarre et croise les bras : « C’est simple. Mon anniversaire, lorsque j’ai eu trois ans. Je revois mon père, ses cheveux encore noirs, ma mère qui préparait une galette de miel, et mon petit frère, un bébé joufflu aux cheveux frisés. Notre petite maison résonnait des rires de ces jours-là. »

Un silence complice s’installe, tandis que les deux hommes se perdent dans leurs pensées. Euxène reprend doucement : « Et aujourd’hui, qu’en est-il de tes parents ? »
Aristide baisse les yeux : « Ils vieillissent. Mon père a traversé des épreuves... Une fois, son cœur a failli lâcher. Le voir allongé, immobile, m’a frappé comme une lame. Mais il s’en est sorti, grâce aux dieux, et à mes mains tremblantes qui ont essayé de le sauver. C’est ce jour-là que j’ai compris : je devais faire quelque chose de ma vie, qu’il puisse être fier. »

Euxène, touché, pose une main sur l’épaule de son ami : « Tu as choisi la poterie, mais tu as choisi l’amour aussi. Ce que tu fais, c’est perpétuer leur mémoire à travers chaque jarre que tu façonnes. »
Aristide relève la tête, une étincelle dans le regard : « Tu as raison, Euxène. Et toi ? Toi qui as parcouru tant de terres, quelle image de ton enfance te vient ? »

Euxène hésite, puis sourit doucement : « J’étais souvent seul, à observer les soldats s’entraîner. Je voulais être comme eux. Mais si je devais choisir une image, ce serait ma mère qui chantait en tissant. Elle avait une voix douce, comme le vent qui caresse les collines. Je crois que c’est là que j’ai appris la force de l’espoir. »

Le feu s’amenuise, mais leurs cœurs, eux, sont emplis de chaleur. Le voyage dans les souvenirs les a ramenés à une vérité universelle : l’amour de ceux qui nous ont précédés est la plus grande richesse, et le temps, bien qu’implacable, ne peut effacer leurs traces.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez