L'énigme

 

Merlin s’éveilla brusquement. C’était comme si une violente déflagration avait retenti dans sa tête et qu’il avait ouvert les yeux à ce moment précis. Hagard, il ne comprenait plus où se situait la frontière entre tous ces mondes, qui le happaient. Vivait-il un rêve ? Sa vision restait bleue. Il se sentait fébrile, abandonné de ses forces. Il revint vite à la douloureuse réalité de l’instant présent. Depuis combien de temps tout cela avait-il commencé ? Il éprouvait une telle lassitude. Et puis, il l’aperçut posé délicatement à ses côtés. Un petit miroir légèrement ovale. Le jumeau parfait de celui qui se trouvait sur la tapisserie et dont il avait rêvé. Pourtant, il remarqua  que quelque chose était gravé au bas du manche. D’une voix faible, il appela Arwald qui s’attelait toujours à son travail de caméléon de bibliothèque.

« Le jeune monsieur a besoin de quelque chose ? »

Merlin, trop faible pour faire de grands discours, lui montra ce qui l’intriguait.

« Des chiffres, constata Arwald, après avoir chaussé de grandes lunettes sorties comme par magie de la poche de son costume.

Un chiffre romain, puis des chiffres arabes. Etrange ! Serait-ce un code ?

- Lisez-le, supplia Merlin en convoquant le peu de forces dont il disposait.

- III en chiffres romains, puis 19, 32, énonça distinctement le zélé serviteur, à la façon dont un animateur aurait donné les numéros gagnants du loto. »

Résoudre une énigme, il ne manquait plus que cela !Mais en était-ce au moins une ? Et si tout cela n’était qu’une fausse piste, qui risquait de leur faire perdre un temps précieux. Il avait l’impression que sa vie ne résumait plus qu’à quelques grains dans un sablier.

Trois chiffres, deux miroirs, un rêve. Il devait se concentrer, mais trop de sentiments l’envahissaient, incapable de parler davantage. Arwald en revanche s’octroyait une pause bavarde. Le brave serviteur avait décidé de dire tout ce qui lui passait par l’écaille, espérant que peut-être un mot salvateur jaillirait au détour de sa langue bien pendue.

« Cachette, dragon des mers, magie, formule, secret… »

Puis, à bout d’inspiration mais pas de salive, il changea de tactique, décidant d’énumérer tout ce qui se trouvait autour de lui.

« Tapisserie, aquarium, bibliothèques, rayonnages, livres, poussière… »

De sa maigre voix, Merlin répéta : « bibliothèque, rayonnage, livres »

- Oui, c’est bien ce que j’ai dit, le jeune monsieur a peut-être sa vue troublée, mais il garde toute son ouïe. Voilà une bonne nouvelle !

- Le code, le livre, dit dans un souffle Merlin. »

Vous voulez dire que … Mais il n’obtient pas de réponse. L’héritier gisait inconscient. Son état empirait au point qu’il n’était pas sûr qu’il revienne à lui.

Pas de temps à perdre, il fallait mettre à l’épreuve sa théorie. Il se dirigea vers la dernière des trois bibliothèques, puis compta dix neuf étagères en partant du bas, et enfin fit défiler ses doigts jusqu’au trente deuxième ouvrage. Il respira et le saisit d’un coup sec. Etait-ce aussi simple ? La tranche n’indiquait qu’un nom d’auteur indéchiffrable. La couverture n’avait rien de particulier. Il l’ouvrit et découvrit un ouvrage portant sur les gemmes et leurs pouvoirs. Il le feuilleta néanmoins, mais à son grand désespoir aucune pierre ne guérissait d’une blessure de dragon des mers.

Pourtant, ces chiffres avaient un sens. Le sens, et si justement il était parti dans le mauvais en comptant. Il refit donc ses calculs, comme un pirate qui allait déterrer un vieux trésor oublié.  Cette fois, il compta en partant du haut de l’immense meuble. Il pointa le livre du bout des doigts et fixa son emplacement dans son esprit. Il devait se munir d’une échelle pour l’atteindre, mais il n’en avait pas sous la patte. Un profond silence régnait dans la pièce, quand jugé acrobatiquement sur un fauteuil, il parvint enfin à effleurer l’exemplaire. Alors, comme pour une épreuve de trampoline, notre vaillant Arwald sauta de toutes ses forces et envoya son immense langue capturer l'objet de ses voeux. C’était un peu comme un lasso magique. Il récupéra l’ouvrage à la couverture baveuse entre ses mains. D’ailleurs, c’était plutôt un carnet qu’un ouvrage. Impatient, il l’ouvrit et lut le titre qui s’étalait dans une belle écriture manuscrite : « Le dragon des mers ». Il caressa nostalgique la belle page où il avait reconnu l’écriture du maître et poussa un soupir de soulagement.

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Hortense
Posté le 05/01/2023
Bonjour Claire,
Précieux Arwald qui veille sur son jeune maître !
Bien que j'ai tardé à reprendre l'histoire, j'ai été aussitôt happée par le récit et j'ai raccroché les wagons sans difficulté.
Comme d'habitude ta plume glisse précise et imaginative et l'humour que j'aime tant chez toi est toujours au rendez-vous.
C'est toujours un plaisir de retrouver le jeune Merlin.
A bientôt
Baladine
Posté le 11/12/2022
Bonjour Laure !!!! J’ai pas encore lu ton chapitre, mais je vais le faire. C’est pour faire coucou, trop contente de te revoir par là.
Je te lis cette semaine !
À bientôt
Baladine
Posté le 12/12/2022
C'est un tel plaisir de retrouver ton écriture et tes personnages, ils m'avaient manqué. Même après quelques mois on reprend aisément la lecture sans avoir oublié où on s'en était arrêté. C'est amusant, cet Arwald qui ne panique pas d'une écaille alors que petit Merlin perd connaissance (bon, nous, on s'inquiète un peu, quand même), et prend le temps de caresser avec nostalgie la couverture du livre qui pourrait sauver notre marmot magique.
Coquillettes :
-dire tout ce qui lui passait par l’écaille,
-Le sens, et si justement il était parti dans le mauvais en comptant. => je ne comprends pas bien cette phrase
- jugé acrobatiquement => juché ?
A très vite, j'espère !
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