Le sommeil du petit Merlin fut agité. Un profond brouillard pesait sur ses songes. Tout s’entremêlait. Les motifs de la tapisserie prenaient vie. Le majestueux cerf blanc cherchait son reflet dans le petit miroir, mais c’était le visage d’un homme séduisant qui apparaissait. La dame lui souriait alors tendrement, elle se dirigeait vers l’immense aquarium d’un pas aérien, mais décidé. Merlin essayait de la mettre en garde, mais il était invisible pour les acteurs de cette scène. Elle plongeait le petit miroir dans l’eau et la créature fantastique s’enroulait autour, puis subitement se trouvait happée. C’est à ce moment là du rêve, qu’il s’éveilla tout nauséeux.
Il constata qu’il portait désormais une sorte de chemise en lin dix fois trop grande pour lui, mais qui possédait l’avantage d’être sèche. Arwald en serviteur zélé, lui avait sans doute ôté ses vêtements trempés par l’ouragan bleuté, qui s’était abattu sur lui. D’ailleurs, sa vue s’était troublée, il percevait désormais le monde comme nimbé d’un voile bleu. Un peu affolé, il ferma les yeux comme pour annuler cette étrange perception. Pourtant, lorsqu’il les rouvrit le filtre coloré à travers lequel il voyait désormais le monde ne s’était pas évaporé. Il scruta sa main et son bras aussi bleus que ceux d’un stroumpf.
« Le jeune monsieur se sent un peu mieux ? » demanda une voix familière derrière lui.
Arwald s’approcha et lui adressa un sourire triste.Merlin se redressa un peu pour lui parler.
« Pas vraiment, et puis c’est étrange depuis peu, je vois comment dire: tout en bleu ! confessa-t-il.
- Aïe ! " s’écria le serviteur en faisant claquer son impressionnante langue, mais par dépit, non par appétit.
Ce « Aïe » ne disait rien qu’y vaille à notre jeune héros. Il encouragea Arwald à lui livrer ce qu’il savait. Celui-ci réticent roulait ses yeux en direction du sol et se tordait les mains visiblement mal à l’aise. Le petit insista d’un air suppliant. Son compagnon de fortune ne put garder le silence plus longtemps.
« J’ai lu, il y a bien longtemps que le dragon des mers est une des plus redoutables créatures qu’un enchanteur puisse créer. Il s’agit au départ d’une ravissante hirondelle de mer. Grâce à une formule magique très puissante, le petit mollusque des océans devient un monstre redoutable. De son essence originelle, il garde l’art du camouflage et une beauté fascinante. Et je dois avouer que dans le premier domaine où je suis expert, la bête se révèle fort rusée et créative. Une fois provoqué, il peut broyer son ennemi à l’aide de ses six bras qui tournent comme des roues infernales, déchaîner un véritable ouragan en ouvrant sa gueule, ou encore le foudroyer d’un coup de queue. Vous en avez fait la tragique expérience. Son contact est … »
Arwald n’osait achever.
« Comment dire… venimeux… voire mortel. »
Le garçon effleura sa joue meurtrie, le serviteur baissa les yeux visiblement très affligé par la nouvelle qu’il venait d’assener. Il voulut ajouter une note positive à son compte rendu dramatique.
"La bête ne ressemble pas pour autant aux créatures mythologiques, qui voient leurs membres coupés repousser et se multiplier. C'est une chance, jeune monsieur. "
La chance, le mot semblait bien malvenu à Merlin vues les circonstances. Le dragon des mers n'était certes pas un gigantesque serpent couvert de têtes soufflant par ses gueules meurtrières une haleine fétide et empoisonnée, mais la créature ne l'avait pas pour autant épargné. Au moins, L'Hydre qui vivait dans un infâme marais ne trompait pas son monde. Pourquoi se méfier d'une belle liane dans un aquarium digne d'un musée océonographique ? Hercule avait tué la sanguinaire bête, Merlin sentait intuitivement que s'il survivait à cette épreuve, il devrait plutôt apprivoiser le fantastique animal. Ce dragon sauvage s'était sans doute cru attaqué dans son domaine par un ennemi en culottes courtes, venu s'emparer du précieux masque confié par l'Enchanteur.
Arwald releva soudain la tête, comme s'il avait réalisé une grande découverte.
« Vous êtes un héritier, dans vos veines coule assurément le sang de la magie, un genre d’antidot ! Rassurez-vous, ajouta-t-il d’un ton qui se voulait joyeux, mais sonnait faux, de toute façon si ce n’était pas le cas, le jeune monsieur n’aurait pas survécu aussi longtemps. Voir le monde en bleu est sans doute signe de la présence de poison dans votre blessure, mais … »
Lui, de nature si loquace, ne trouvait pas les bons mots pour réconforter l’enfant.
« Comment en savez-vous autant sur ce monstre ? questionna le garçon qui était plus pâle qu’un verre de lait.
- Je vous l’ai dit, je l’ai lu il y a fort longtemps dans un ouvrage très ancien sur les dragons bleus des océans.
- Mais ce livre contient certainement des informations très utiles, qui pourraient…. »
Merlin se prit à espérer qu’on pourrait peut-être le sauver, épargner à ses parents un tourment éternel et par la même occasion s’emparer du masque. Même si dans l’immédiat, cette quête insensée avait été reléguée bien loin dans l’ordre des priorités.
« J’ai bien peur de ne plus savoir où se trouve le dit ouvrage, mais je vais de ce pas me lancer à sa recherche au milieu de ces milliers de livres. N’ayez crainte dans quelques jours, nous… enfin je l’aurai trouvé, jeune monsieur. Je vous en fais le serment. Ce sera ma quête du Graal. »
Quel travail fastidieux ! Par malheur, les tranches des pensionnaires des bibliothèques ne livraient aucun secret. Pour l'instant, le valet caméléon avait décidé de consulter les étagères placées à sa hauteur. Sans le secours d'une échelle, il ne parviendrait pas à atteindre celles du haut qui touchaient presque le plafond. Il lui fallait extraire chaque exemplaire pour trouver des informations sur la couverture, d'autres fois il devait même l'ouvrir et parcourir la table des matières lorsqu'il y en avait une. Arwald s'acquittait de sa mission avec beaucoup d'application. Il replaçait avec soin chaque livre, comme la précieuse pierre d'un édifice, dont il ne fallait surtout pas bouleverser l'architecture mystérieuse. En découvrant certains titres, le fidèle serviteur éprouvait de la tendresse. Il caressait délicatement les pages en signe de reconnaissance silencieuse pour ces heures où il avait échappé à la solitude de sa bulle enchantée. Que d'aventures palpitantes, de vers émouvants, de héros touchants !
Il suspendit quelques instants ses recherches pour surveiller le petit Merlin. Comme il le sentait fragile ! Sa vie semblait tenir à un fil, à une page ! Plus le temps de se complaire dans de sentimentales retrouvailles livresques ! Il accéléra le mouvement, économisa ses gestes, les rendit plus mécaniques et décida de s'abstenir de toute sensiblerie ou nostalgie déplacée. Etre pragmatique, un point c'est tout ! A un moment, son coeur bondit et il esquissa un sourire. Il tenait en main un exemplaire dont la couverture bleue et rugeuse, lui paraissait familière. Il ne s'agissait pas d'un roman chevaleresque ou d'un recueil de poésies, il en avait la certitude. Quelle déception, quand il découvrit des gravures de plantes ! Les exemplaires suivants se révèlèrent être des chansons de gestes, un lai, quelques contes merveilleux, et un ouvrage d'astronomie. Pas l'ombre d'un traité de magie ou d'un bestiaire sur les dragons et autres créatures magiques. A son grand désespoir, aucune logique ne semblait régir l'ordonnancement des livres. Pas d'ordre alphabétique, il faut dire que la plupart étaient anonymes. Pas plus de classement par genre ou par chronologie. Tout cela s'entremêlait dans un joyeux hasard, qui devait offrir au lecteur le plaisir de la surprise. Une vraie chasse au trésor !
Merlin ferma les yeux. La douleur devenait plus intense. Disposait-il de quelques jours ? Les bibliothèques devant lesquelles s’affairait le fidèle Aswald, se teintaient d’un bleu vibrant plus intense. Il jeta un coup d’œil au fatal aquarium. La liane avait disparu, laissant place à une délicate petite fleur qui flottait à la surface, toujours aussi fascinante, toujours aussi destructrice. Il distingua six pétales qui ressemblaient à d’élégants éventails. Rien d'autre ! Soit le masque était invisible, soit il se trouvait ailleurs. Mais alors pourquoi un tel gardien ? Il détourna son regard, honteux de se sentir à nouveau attiré par ce qui causerait peut-être sa perte. C’est alors que dans cet océan de bleu, il aperçut une curieuse lumière très faible, au point qu’il crut l’avoir imaginée. Mais il la vit à nouveau briller, comme si elle lui adressait un clin d’œil complice. Etait-ce un mirage ? Les marins perdus au cœur d’une tempête éprouvent-ils le même fol espoir lorsqu’ils distinguent la silhouette d’un phare ? D’une voix faible, il appela Arwald. Celui-ci ne l’entendit pas tout de suite, trop concentré sur sa tache, qu’il accomplissait méthodiquement. Merlin pointa de sa main tremblante un point sous l’une des bibliothèques.
Le serviteur s’exécuta, même si lui avoua ne rien distinguer. Et puis, il s’allongea au sol, passa avec difficulté un de ses bras sous l’imposant meuble. Heureusement, qu’ils étaient maigres, ses doigts longs fouillaient à l’aveugle. Il pianotait à la recherche de quelque chose de solide, mais le vide s’offrait à lui. Le petit garçon ne pouvait le guider. Vidé du peu de forces qui lui restaient, il avait à nouveau sombré dans un sommeil fiévreux. Pourtant, Arwald ne renonçait pas. S’il y avait quelque chose, il le trouverait. Alors, il entreprit de fouiller chaque centimètre, comme un archéologue consciencieux. Enfin, ses doigts rencontrèrent un objet, qu’il tâta aussitôt avec curiosité. Il identifia un petit manche, qu’il saisit précautionneusement. L’opération s’avéra difficile lorsqu’il dut retirer son bras. Il crut qu’il n’allait pas parvenir à l’extirper et rester ainsi prisonnier. Il s’imagina en héros antique condamné par un dieu cruel à un horrible châtiment. Et puis, il reprit de l’écaille de caméléon, souffla, se contorsionna et parvint à délivrer son bras captif endolori, mais victorieux. Ses yeux ronds scrutèrent de tous côtés sa trouvaille, mais ils n’y trouvèrent rien de remarquable. C’était un objet bien banal, sans doute perdu par la dame du lac, des siècles auparavant. Il le déposa néanmoins respectueusement auprès du petit garçon.
Il posa une main bienveillante sur le front de son hôte et poussa un soupir. La fièvre était encore montée et sa joue paraissait plus enflée que quelques heures auparavant. Arwald reporta tous ses espoirs sur le petit objet insignifiant. Après tout, « le jeune monsieur » semblait y accorder de l’importance. Il repartit à l’assaut des rayonnages de la première bibliothèque. Des années, des décennies de désœuvrement, à trouver le temps long, si long à ne plus savoir que faire pour noyer son ennui. Et à présent, voilà que les heures filaient trop vite, et que ce temps assassin risquait de le priver du seul invité qu’il ait jamais accueilli depuis si longtemps. Qu’il avait été doux de voir ce petit visage inconnu, de lui faire la conversation, et qu’il serait plus doux encore de rentrer dans la légende en sauvant un héritier !
Quel est ce petit objet qui ne brille que pour Merlin ?
Un miroir, à avaler les dragons d'eau, j'espère ?
C'est toujours un plaisir de te lire, vivement la suite !!
- Ce « Aïe » ne disait rien qu’y vaille => qui
J'ai regardé ce que c'était qu'une "hirondelle des mers", mais c'est un oiseau, pas un mollusque, ou alors il y a aussi un mollusque dont le surnom est "hirondelle des mers"?
- un genre d’antidot => te
- j'aime bien "plus pâle qu'un verre de lait"
- j'aime bien aussi "reprit de l'écaille du caméléon"
A très vite !
Désolée de répondre si tardivement. Merci infiniment pour la précision et la pertinence de tes commentaires. Ils m'aident beaucoup et m'encouragent. J'espère avoir un peu plus de temps dans les semaines à venir pour lire la suite des aventures de Bell. A bientôt.
Arwald est un bien symptahique serviteur caméléon, plein d’attention et de bonne volonté. Espérons que le « bâton » soit l’une des clefs qui sauvera Merlin !
Le rythme et la tension sont bien soutenus, on tremble, on s’inquiète, on voit à travers les yeux de Merlin et tout devient bleu. L’intérêt ne fléchit pas, j’ai hâte de découvrir la suite. Ton univers s’enrichit de chapitre en chapitre. Je me répète : j’aime beaucoup.
Juste un petit oubli :
- même si lui avoua ne rien distinguer. : il manque un « il »
A très vite !
Désolée de te répondre si tard. Je te remercie pour ton commentaire enthousiaste qui m'encourage à poursuivre mon projet d'écriture. Merci infiniment pour tes retours de lecture réguliers et enrichissants. A bientôt.