L'entretien raté

3 décembre 2017

Sirotant un Nesquik à la sardine, Slyth, comme à son habitude, lit d'anciennes versions du journal Le PAen avant de retrouver les bras de Morphée. Elle qui a écrit pour ce journal durant de nombreuses années, elle a été renvoyée après qu'un des journalistes ait insulté Captain Hook devant elle. Suite à cette remarque, Slyth a sorti les poings, ce qui n'a pas plu à son collègue pris au dépourvu, et encore moins à sa hiérarchie.

Autrement, elle a passé de bons moments au sein de ce journal. Elle a parcouru les sept coins du globe. Elle a fait d'incroyables rencontres dont un certain Killian Jones qu'elle a eu l'honneur d'interviewer lorsqu'elle s'est rendue au Salon du Crochet.

D'ailleurs, ce dernier l'avait sauvée d'un vilain guet-apens. Le Salon du Crochet, à Toronto, était rempli d'hommes avec un crochet à la place d'au moins une de leurs mains. Certains avaient décidé de flirter avec la journaliste mais la séduction avait dégénéré assez vite. Des mains crochues et menaçantes étaient tendues en direction du visage de l'idole de Killian. Et fort heureusement, ce dernier était intervenu rapidement, avant que Slyth ne se retrouve défigurée. Autant dire que cet incident avait rapproché, le temps d'un instant, la journaliste de son Capitaine adoré. Cette anecdote restera à jamais gravée au crochet dans son cerveau.

Alors qu'elle repense à ce souvenir qui lui donne le sourire, elle se fige au moment où son regard s'arrête sur un article du dernier journal Le PAen, paru il y a deux jours :

Le milliardaire Monsieur Dé retrouvé mort dans son palace

Dans la soirée du 1er décembre, le célébrissime Monsieur Dé a été retrouvé sans vie dans sa chambre à coucher.

Celui qui aura retrouvé plusieurs millions d'euros sous son paillasson, un matin d'été de l'année 2013, et l'aura investi dans diverses actions en bourse, aurait été empoisonné au laurier rose, selon les dernières conclusions des médecins légistes. Nous ignorons si les trois détectives en charge de l'enquête ont un suspect sérieux lorsque nous rédigeons cet article.

Le poison aurait très bien pu être administré crapuleusement dans le dernier repas du millionnaire ou plus subtilement à petites doses depuis plusieurs mois. Une analyse approfondie du cadavre nous en dira davantage dans les semaines à venir. Les médecins légistes débattent à l'heure actuelle afin de déterminer si le laurier rose fait effet s'il est cuit. Effectivement, le poison ne serait visiblement pas mortel s'il était passé à la casserole. Néanmoins, le milliardaire n'aurait-il pas senti comme un hic si son repas contenait du laurier rose cru ? On s'accorde à dire que le laurier rose en poudre, même crû, passerait inaperçu sous la langue. Toutes les hypothèses sont pour l'instant plausibles. Quoi qu'il arrive, les spécialistes nous en diront davantage sur ce poison. Soyez-en sûrs...

L'ancienne journaliste ne se remet pas de la lecture de cet article. Choquée au plus haut point, elle vient d'apprendre qu'une ancienne connaissance avait déniché une belle fortune sous son paillasson et qu'il avait été tué récemment.

Elle s'en veut de ne pas avoir lu l'article plus tôt mais surtout, elle regrette leur première et dernière interaction...

La dernière fois qu'elle avait vu l'homme que l'on appelait aujourd'hui Monsieur Dé, tous deux passaient un entretien pour un poste de journaliste pour Le PAen. Après avoir sympathisé dans les couloirs étroits et sombres du journal, Monsieur Dé avait été appelé le premier. Au bout d'une vingtaine de minutes, il en était sorti assez content, ce qui avait fait un peu peur à Slyth. D'ailleurs, elle fut appelée dans la foulée et le feeling était tellement bien passé que l'on entendait des rires en écho dans tous les locaux. Monsieur Dé avait peu d'espoir. Et cet espoir fut réduit à néant lorsque Slyth sortit de l'entretien et se vit confier le poste. Folle de joie, la journaliste en avait oublié Monsieur Dé qui avait quitté le journal sur la pointe des pieds.

Désormais, Slyth se sent terriblement coupable de ne pas avoir pris les coordonnées du jeune homme, de ne pas lui avoir dit qu'elle est désolée de lui avoir pris sa place dans le journal. Elle ne l'avait vu qu'une seule fois mais ce Monsieur Dé l'avait marquée, en particulier maintenant qu'elle a appris sa mort tragique. Elle se sent un peu bête d'être aussi émotive pour quelqu'un qu'elle n'a pas connu tant que cela, au fond.

Mais quelque chose d'autre la tracasse davantage. La mort remonte au 1er décembre... Le 1er décembre. Cette fameuse date est peut-être une coïncidence. C'est une coïncidence, Slyth ne peut envisager une autre possibilité. Perturbée, elle referme le dernier Le PAen, éteint sa lampe de chevet et essaie de fermer les yeux. Rien n'y fait... La journée du 1er décembre la hante. Cette journée la hante depuis deux jours... Les coïncidences existent. Elle n'a pas d'autre choix que d'y croire dur comme fer. Sinon, elle va aux devants de grands ennuis...

Slyth est une femme qui est connue pour toujours garder le contrôle d'elle-même. Toujours. Sauf durant cette journée du 1er décembre. Avant de lire l'article, elle ne s'en était pas trop inquiétée. La journaliste n'a aucun souvenir de ses faits et gestes du 1er décembre. Absolument aucun souvenir. Et elle n'a aucune explication à cette amnésie. Elle avait mis ça sur le compte de la fatigue ou d'un Nesquik à la sardine un peu trop fort. Sauf que l'annonce de la mort de Monsieur Dé changeait la donne. Elle n'a pas le profil d'une tueuse machiavélique ni même de réel mobile. L'absence de souvenirs sème le doute dans son esprit.

Et si c'était elle qui l'avait empoisonné ?