L'enveloppe

2325. La Terre est surpeuplée et pour pallier ce problème, le GM, le Gouvernement Mondial, a instauré des mesures radicales. Trois règles, trois lois, et qui pourtant ont chamboulé la vie de milliards d’individus.

- Obligation formelle de ne donner vie au maximum qu’à un seul et unique enfant par couple.

-  La peine de mort est imposée à toute personne âgée de plus de vingt-cinq ans.

-  Si non-respect de l’une ou des deux premières lois, le criminel recevra son âge en coups de fouet sur la place publique et sera exilé en Terre des Glaces, anciennement appelée Alaska.

Noah, vingt-quatre ans et trois cent quarante-trois jours, se rendit chez son meilleur ami Josh pour passer la soirée en sa compagnie. À cause des trois lois instaurées et l’élimination massive des personnes âgées de plus de 25 ans, Noah avait perdu toute sa famille. Il ne lui restait plus que Josh et Jessica. Noah avait eu un véritable coup de foudre la première fois qu’il l’avait rencontrée, et depuis, ils vivaient un parfait amour. Cela faisait onze ans, et sept qu’ils habitaient ensemble dans un petit appartement de Laos, une petite ville au Nord de la planète.

Par chance, ces trois amis de longue date étaient nés le même jour, le 16 mars 2302. Ce qui signifiait également qu’ils devraient affronter la mort ensemble, main dans la main. Ils vivaient très heureux, malgré la promesse d’une mort prématurée qui planait sur leurs têtes.

Arrivé chez son ami, Noah gravit les deux étages qui le séparaient de l’appartement puis entra sans frapper. Son ami lui avait donné le double de la clef il y a quinze ans déjà, pour « s’assurer que quelqu’un puisse s’occuper de mon chat si je meurs avant 25 ans », avait-il expliqué alors. Jessica et Josh étaient affalés sur le canapé du salon, observant nonchalamment le Journal du Soir. Animée par les seules personnes âgées légalement de plus de 25 ans, l’émission se portait irréversiblement sur trois axes : l’économie, le respect des Trois Lois et la famille royale. En effet, celle-ci et son proche entourage demeuraient les seules personnes ayant droit à une longue vie sur Terre, comme si leurs vies valaient plus que celles du peuple, ce qui, d’après eux, semblait tout à fait correct. Pour ça, une effroyable quantité de révoltes et de manifestations avaient éclaté dans tout le royaume, malheureusement aucune n’avait porté ses fruits.

- Vous voulez vraiment mourir dans une vingtaine de jours ?

Josh avait éteint le téléviseur et fixait encore l’écran noir quand il posa cette question. L’idée de la mort, si ancrée en eux soit-elle, les révoltait. Un homme n’avait pas le droit de prendre la vie d’un autre par simple « arrangement politique » de cette façon-là. Enfin, des façons, le GM en avait inventé des dizaines : guillotine, poison, asphyxie, pendaison, arme à feu, saut du haut d’une falaise, noyade, coup de couteau, overdose… Tout était permis si le résultat donnait la mort. Le seul point positif semblait être le fait que chaque individu pouvait choisir la façon dont il mourrait le jour de ses 25 ans.

- Non… Mais on n’a pas le choix, argua Noah.

- On pourrait fuir.

- Pour aller où ? On deviendrait… on deviendrait des clandestins, murmura Jessica.

- C’est vrai. Sauf qu’on serait en vie, tous les trois. Libres d’exister. Si on part, loin, on pourrait vivre, soustraits à ces horribles règles.

À mesure que Josh parlait, une lueur de détermination s’installa dans ses yeux. Soudainement, l’idée qu’une échappatoire fût possible, lui semblait réelle. Ils n’auraient qu’à déménager en Terre des Glaces. Ça restait le milieu le plus hostile sur Terre, mais au moins, personne n’irait les chercher là-bas. Ils ne laisseraient rien derrière eux. C’était faisable. Noah comprenait son ami. En levant les yeux vers celle qu’il aimait, le jeune homme remarqua la même étincelle de détermination que la sienne brillant dans son regard. Cependant, un détail les empêchait d’être complètement enchantés par cette perspective. Ce fut Jessica qui le leur fit remarquer :

- Et les coups de fouet ?

- C’est un risque à prendre, lui répondit Josh. Mais tout bien considéré… On n’a que 25 ans. Ce qui signifie seulement 25 coups de fouet. Je ne trouve pas que c’est cher payer pour vivre.

- Alors, c’est quoi le plan ? demanda Noah.

- Eh bien… Dès qu’on reçoit la lettre officielle de convocation, c’est-à-dire une semaine exactement avant notre anniversaire, on en fait disparaître toute trace et on se retrouve à 22 heures au panneau Hollywood. Il n’y aura personne. Nous aurons exactement une semaine pour fuir en Terre des Glaces avant d’être officiellement des hors-la-loi. Essayons de se préparer chacun de notre côté, pour qu’ils ne découvrent pas nos projets avant notre départ.

Se concertant, Noah et Jess acquiescèrent d’un même mouvement de tête.

La lettre était écrite sur du vieux parchemin. Étrangement, la royauté avait préféré garder cet ancien papier fragile, malgré la technologie très avancée dont disposait le pays. Un sceau rouge la scellait, et une fine écriture avait calligraphié son adresse en majestueuses lettres rouges. Rouges comme le sang qui avait tant sali les mains du roi et du GM dont il faisait partie. Une enveloppe identique était destinée à Jessica, qui rentrerait bientôt à l’appartement après son travail au cinéma. C’était le grand jour. D’ici quelques heures, ils partiraient pour ne jamais revenir. Pour échapper à la tyrannie du gouvernement. Pour vivre.

Il prit l’enveloppe, qu’il n’avait même pas ouverte, et la jeta dans le feu sans aucun regret. Noah attendit qu’elle ne soit plus que cendres et fit de même avec celle de sa chérie. En entendant la sonnette l’avertissant d’une arrivée, il se dit que c’était Jess qui l’attendait avec les bras trop chargés des provisions qu’il lui avait demandé d’acheter pour pouvoir ouvrir la porte. Un énorme sourire étirant ses lèvres, il déverrouilla la porte… et se retrouva nez à nez avec un revolver. Recevant un coup de crosse sur la tempe avant d’avoir pu dire un mot quelconque, il tomba évanoui dans les bras des forces de l’ordre. Sa dernière pensée consciente fut dirigée sur Jessica, sur qui reposaient ses derniers espoirs.