Léonie • « La proposition des Pelletier »

Le soleil ne s'est pas encore levé lorsque mes paupières s'ouvrent. Le coq chante de sa voix puissante et les premières rumeurs s'élèvent dans le quartier. Je reste un instant allongée, encore en proie aux émotions de ce rêve. Chaque émotion se répercute dans mes fibres, comme une valse tendre. Mes yeux glissent sur le côté, dans le vain espoir d'y voir un quelconque félin. La chambre vide me déçoit, tandis que mon corps réagit encore aux sensations oniriques : les poils de mes avant-bras se dressent et des friselis parcourent ma peau.

Je ne me rappelle jamais de mes songes, d'ordinaire. Celui-ci, pourtant, demeure vivace dans mon esprit embrumé. L'excitation peu commune, comme si j'étais une enfant face à un présent qu'elle avait tant espéré, fait battre mon cœur si vite et si fort que j'ai l'impression qu'il va s'échapper de ma poitrine. Mes articulations fourbues craquent quand je me redresse ; un bon bain me permettrait de me détendre, mais je me contenterai d'une toilette de chat. Nous économisons l'eau, non pas parce que nous n'avons pas accès à l'eau courante, mais bien parce que la Compagnie Générale des Eaux nous taxe beaucoup.

Ma vie entière se résume à ça : devoir faire attention à la moindre dépense, économiser, thésauriser comme dirait Siméon. Il n'y a qu'en de rares occasions que nous nous permettons des folies comme acheter de la viande de veau ou de l'agneau pour les fêtes de Pâques. La routine s'amorce dès que je pose le pied sur le parquet froid de la maison. J'attrape mes vêtements, des dessous propres et file dans la salle de bain pour une toilette rapide. Je croise Emmanuel, une brosse en bouche. Une vague de fierté gonfle ma poitrine ; d'un côté, parce que c'est Ysoline qui nous a très vivement conseillé de prendre soin de nos dent, et de l'autre, parce que mon aîné m'a écoutée. Et c'est gratifiant.

Mon frère et moi ne nous croisons que très peu. Parfois, nous avons le temps de partager un verre de lait, mais rien de plus. Alors comme aujourd'hui, j'essaie de me dépêcher pour le voir un peu plus longtemps. À ma grande déception, hélas, je me retrouve seule dans la cuisine, ma boisson sous les yeux. J'inspire profondément, avale mon breuvage d'une traite et file hors de la maison encore endormie, prenant garde à ne surtout pas réveiller Marie-Ange ou ma mère.

Comme chaque matin, j'arrive in extremis au quai de gare pour monter dans le train qui m'amènera jusqu'à Paris. Je profite alors de faire partie des premiers voyageurs pour m'asseoir, profitant d'un des rares moments où je pourrais me poser. L'aube éclate au-dessus des toits de la capitale. Elle inonde d'une aura sanguine. À mesure que les arrêts défilent, la rame se remplie et je ne suis pas mécontente de m'en échapper lorsque j'arrive à destination.

Si l'air devenait irrespirable dans mon wagon, l'extérieur n'est pas mieux. Certains jours, l'épaisse fumée âcre des usines qui entourent la ville plonge la capitale dans une torpeur noire parfois difficilement respirable. C'est encore assez rare pour ne pas devenir réellement problématique, cela étant.

Le trajet entre la station de train et la maison d'Argant est compliqué. Mon cœur bat à toute allure et je tiens contre moi le gant en cuir que m'a offert Siméon hier. Mon attitude, somme toute ridicule, s'avèrerait complètement inutile si je devais me faire attaquer. Les doigts tremblants, je mets la mitaine et glisse mon auriculaire dans l'anneau. Cela doit devenir un réflexe, que je suis loin d'avoir.

Mon estomac se dénoue dès lors que j'ai le pied posé sur le perron de la maison de mes employeurs. Là, deux automates de sécurité tournent leur visage vers moi dans un mouvement parfaitement synchronisé. Je me souviens avoir eu peur d'eux lors de notre première rencontre. Désormais, ils m'assurent la protection que je n'ai pas en dehors de ces murs.

Une sonnette tinte un peu plus loin et j'ai à peine le temps de réagir que quelque chose frôle mon oreille.

— Pardon, mamzelle Léonie ! J'ai mal visé !

Je hausse un sourcil et ramasse le journal roulé qui a glissé plus loin derrière moi, le livreur disparaissant déjà de ma vue. Ce n'est pas la première fois qu'un de ses journaux me frôle. Peut-être tente-t-il d'attirer mon attention, comme nombre de garçon de son âge, mais j'ai bien autre chose à faire quand je suis chez mes employeurs que batifoler !

Un bâillement réprimé plus tard, je me retrouve dans la salle à manger. Une autre domestique a déjà préparé le déjeuner de nos maîtres, mais seule Ysoline arrive. La tête légèrement inclinée sur l'avant, nous attendons un mot de sa part pour vaquer à nos occupations. Mon aînée est renvoyée à ses tâches quotidiennes, tandis que je me dois de patienter, même si d'avance, je sais déjà ce que l'on va me demander.

— Avez-vous le journal, Léonie ? interroge Ysoline, tout en remuant une cuillère dans son infusion.

— Oui, madame ! Je l'ai déposé près de la place de monsieur. Sera-t-il présent pour le petit-déjeuner ?

— Siméon a travaillé toute la nuit, je crains qu'il ne dorme encore un peu. Il viendra plus tard. Venez vous installer à côté de moi, nous allons lire le journal !

D'ordinaire, Siméon se réserve cette activité. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi, chaque matin, le couple s'attachait à me lire le journal. J'y apprends cependant de nouveaux mots et cela étanche ma curiosité. Ysoline se prête rarement à cette routine, mais j'apprécie passer du temps avec elle. Alors, avant de m'installer, je m'empare de la broderie commencée quelques temps auparavant.

La jeune femme, toujours aussi élégante dans le moindre de ses mouvements, déplie le journal et débute sa lecture. J'y découvre ainsi que le procès de François-Joseph Carbon et Pierre Robinault de Saint-Régeant s'est ouvert. Bien que n'étant pas juge, je sais d'ores et déjà que les conspirationnistes seront déclarés coupables et condamnés à la plus haute peine. Mes doigts glissent par réflexe sur ma gorge, attirant l'attention de ma maîtresse.

— Tout va bien, Léonie ?

Mon visage se fige et un sourire crispé étire mes lèvres.

— Oh... Oui, madame, tout va bien. Excusez-moi.

Madame d'Argant hausse un sourcil et son regard se reporte sur le journal. Elle inspire profondément et je manque de me piquer le bout du doigt. Je me fustige d'avoir oublié de mettre le dé à coudre et répare immédiatement mon impair. D'un coup d'œil discret, j'observe mon employeuse. Le pli sévère de sa bouche se renforce et ses lèvres s'entrouvrent, mais elle n'ajoute rien de plus.

Elle reprend sa lecture et moi, ma broderie. Je veille à être la plus minutieuse possible dans la confection de mon ouvrage. Les fleurs prennent forme à mesure que l'aiguille entre et sort du tissu. Je plisse du nez, consciencieuse, tout en écoutant encore ma maîtresse. Mais, quand la sonnette retentit, je sursaute et me pique le bout de l'index.

— J'en avais presque oublié notre invitée de ce matin. Léonie, chère enfant, vous voulez bien préparer une autre théière.

— Qui est-ce ? interrogé-je sans pouvoir réfréner ma curiosité. Je n'ai eu aucune information à ce sujet en arrivant ce matin.

En même temps, je suis la plus jeune des domestiques et mes aînées ont tendance à ne pas m'adresser la parole. Comme la gouvernante du couple est sur le point de se retirer – ses vieux os ne supportant plus le poids de son travail – une insidieuse compétition s'est déclenchée il y a peu. Je n'y participe pas ; un tel poste ne m'intéresse pas pour le moment.

Ysoline m'observe un moment, puis s'approche de moi. Ses longs doigts se glissent dans mes cheveux d'albâtre et refont l'un des nœuds noirs qui retiennent quelques mèches.

— Une vieille amie à moi qui vous appréciera à coup sûr ! Allez ! Au travail !

Je ne comprends ni son geste, ni le sourire à la fois nostalgique et tendre qui illumine ses traits et encore moins sa phrase. Je n'ai guère le temps de rajouter quoique ce soit qu'elle s'en va, me laissant à mes pensées et à ma tâche.

Je veille ainsi à ce que la table soit bien garnie ; des fruits, des tranches de brioche, du beurre et différentes sortes de confitures. Quand j'entends des bruits de pas s'approcher de la porte d'entrée, je trottine jusqu'à un coin et jette un regard à mon reflet : pourquoi diable Ysoline a-t-elle vérifié mon apparence ? Je refais un de mes flots, croise mes mains devant moi à l'instant même où mes maîtres, suivis de leur invitée, arrivent.

Les chaises raclent et griffent le parquet et, tant qu'on ne me le demande pas, je reste immobile. Le silence ne règne pas très longtemps en maître qu'une voix féminine inconnue s'élève :

— C'est elle ?

Il n'y a ni mépris, ni dédain dans ce timbre, juste une forme de curiosité que je ne saurai déterminer exactement.

— C'est bien Léonie Carron, oui, précise Siméon.

« Ah ! Il est debout. » Et sa voix exprime toute sa lassitude. Je l'imagine presque s'être levé d'un bond pour honorer cette visite, lui qui doit sûrement rêver de retrouver son lit confortable.

— Elle me semble très timide, et jeune. Terriblement jeune, reprend la voix douce, durcie par quelques accents de sévérités.

Je redresse un peu le nez, pour observer l'invitée. Son air sévère me surprend et mes mains gantées serrent ma blouse blanche. Jeune, peut-être, mais je suis travailleuse.

— Quand les gens de l'Agence m'ont envoyée ici, ils m'ont dit de veiller à rester à ma place, à ne pas sortir du rang, à ne pas faire de vague.

L'inconnue hausse un sourcil et Ysoline sort son éventail. Du coin de l'œil, je repère le sourire approbateur de Siméon. Il remue sa cuillère dans sa tasse et je m'enorgueillis quelque peu. J'y vois là un signal d'encouragement à continuer.

— Mes employeurs n'ont pas tellement tenu à ce que je respecte cette règle, et si je suis jeune, je ne suis pas timide.

Enfin, pas tout le temps. Madame remue son éventail et Monsieur pose doucement sa tasse sur la soucoupe. L'inconnue pose son menton sur ses mains croisées devant elle.

— Je suis Hyacinthe Pelletier.

— Léonie Carron, madame. Mais, ça, vous le saviez déjà.

Cette fois, la sévérité de Hyacinthe disparaît pour laisser place à une forme d'amusement que je ne saurais expliquer. Je gonfle ma poitrine et me redresse, alors que je cherche à lui tenir tête.

— Mon époux et moi-même quittons Paris à la fin du mois, et notre gouvernante ne peut nous suivre pour des raisons qui lui sont personnelles.

« Et donc? » Mes sourcils froncés forment une ligne d'incompréhension. Je tapote désormais ma blouse.

— Quand vous dites « quitter Paris », c'est pour les vacances ?

Hyacinthe éclate d'un rire cristallin et au sourire crispé d'Ysoline, qui tente de ne pas suivre son amie dans son hilarité, je réalise ma méprise.

— Nous quittons définitivement Paris et vos employeurs vous ont très chaudement recommandée pour la remplacer à ce poste.

— D'accord, soufflé-je d'une voix absente.

Ysoline s'immobilise et Siméon manque de s'étouffer. Quant à moi, j'ai besoin d'un certain moment pour réaliser d'une part, ce que je viens de dire, et d'autre part, pour réaliser l'offre de madame Pelletier. Mes paupières clignent, lentement et mes lèvres s'entrouvrent. En fait, je ne crois pas comprendre correctement la situation.

— Mais quand vous dites « remplacer », c'est temporairement, n'est-ce pas ?

Hyacinthe m'offre un regard tendre. Je suis du regard ses longs doigts gantés de cuir blanc s'enrouler autour de sa tasse de thé. Elle secoue la tête, négativement.

— Je vous propose un emploi, mademoiselle Carron, de gouvernante auprès de notre famille. Votre salaire serait doublé et vous aurez une chambre de bonne au sein de notre domaine, à Oléron.

Un salaire doublé ? Une brique tombe sur mon estomac. Je suis rémunérée à hauteur de cinq francs par jour, et je m'estime déjà bien heureuse. Je regarde mes mains et comptes mentalement, en suivant mes doigts. « Dix francs par jour. Je pourrais mettre de côté de quoi payer une école pour Marie-Ange. » J'inspire profondément et Ysoline désigne une chaise près d'elle.

Je m'installe, après une courte hésitation. Mes jambes se serrent l'une contre l'autre et j'agrippe le rebord de ma robe brune. Madame Hyacinthe m'observe toujours, dans l'attente sûrement d'une réponse de ma part.

— Si j'accepte...

— Vous aurez un mois pour préparer vos effets personnels. Un de nos gens viendra les chercher et vous nous rejoindrez pour faire le trajet avec nous jusqu'à Oléron. Vous aurez aussi le temps de vous familiariser avec les enfants.

Je tourne une première fois ma langue dans ma bouche. Devenir gouvernante impliquerait d'éduquer des enfants. Or, suis-je seulement capable d'apprendre à quelqu'un des notions que je n'ai même pas ? Je n'ai que les bases pour bien des domaines, alors m'occuper de l'apprentissage de bambins ? J'ai beau me savoir déterminée et résiliente, je ne suis pas non plus capable de gravir une montagne à mains nues !

La tête redressée, je plonge mon regard dans celui de madame Hyacinthe et lui offre un sourire poli.

— Je sais à peine lire et écrire, madame. Je ne suis pas faite pour ce poste. Je serai incapable d'enseigner à vos enfants...

— Nous ne sommes pas en Angleterre, me coupe madame Pelletier. Mes enfants bénéficient d'une éducation privée et d'un précepteur. Nous n'avons pas besoin d'un autre enseignant, mais de quelqu'un pour les surveiller, les occuper et s'occuper de la maison. Vous avez bien d'autres talents, n'est-ce pas ?

Elle désigne du menton ma broderie et le sang me monte aux joues. J'ai oublié de la ranger.

— Je sais faire ce que d'autres domestiques savent très bien faire. Coudre, broder, cuisiner.

— Et vous savez vous défendre.

Je pâlis et mes doigts se portent à ma gorge. Hyacinthe secoue la tête.

— Pas ce genre de défense. Vous me l'avez prouvé à l'instant. Vous saurez faire face aux autres domestiques et vous imposer. Je n'apprécie pas particulièrement les mijaurées qui n'ont pas un minimum d'aplomb.

La tête légèrement penchée sur le côté, je considère madame Hyacinthe avec curiosité. Sous-entend-elle par ses mots que je serais supérieure aux autres domestiques ? J'ai seize ans ! Je serai incapable d'avoir le dessus sur qui que ce soit ! Pourtant, Ysoline hoche la tête, avec lenteur, là où Siméon continue de siroter son thé, comme si de rien était.

Et mes employeurs, justement ! La perspective de devoir les quitter me fend le cœur. Je suis bien, là où je suis. Je connais cette maison et ces gens depuis cinq ans, j'ai grandi – et continue de grandir – avec eux. Ils n'ont pas forcément le temps de pallier à mon éducation lacunaire, mais ils m'offrent les bases pour m'en sortir dans ce monde qui change très vite.

Mon amour pour ma famille entre aussi dans la balance, en sus de ma loyauté pour la famille d'Argant. Accepter la proposition de madame Hyacinthe, c'est quitter Paris et risquer de ne les revoir que rarement, voire jamais. Cette perspective peu réjouissante ne m'enchante pas et me fait hésiter plus encore.

Hyacinthe ne s'impatiente pas. Elle se contente de me regarder, alors que je me plonge dans une profonde réflexion de laquelle rien ne me tirera.

— Je vous laisse jusqu'à la fin de la semaine pour y réfléchir, intervient finalement madame Pelletier. Je comprends bien qu'il s'agisse là d'une décision qui n'est pas sans conséquence.

— Oui, surtout que j'ai encore du travail.

Ma voix n'a été qu'un murmure, mes pensées virevoltent en tout sens. J'imagine ce que je pourrais faire de cet argent, de la qualité de vie de ma famille qui s'améliorerait. Mon père s'épuiserait peut-être moins dans les mines, mon frère passerait peut-être un peu plus de temps à la maison. Marie-Ange pourrait être scolarisée.

Hélas ! dès que je pense au positif, tout ce que je perds me revient en plein visage avec une violence inouïe.

Je salue mes employeurs et madame Pelletier avant de me retirer. Étrangement, cette fois, la journée m'a semblée terriblement courte. Ni même fatigante. Juste brève. La sensation de ne plus être aux commandes de mon corps m'étreint, à l'instar de ces automates qui gardent le domaine des d'Argant. Les odeurs de transpirations, les corps massés dans le train ne me dérangent même pas. Mes yeux restent rivés sur l'extérieur, mais mon cerveau n'enregistre aucune information, aucun décor.

Aussi, je suis presque étonnée d'arriver aussi vite à Suresnes, quand bien même le temps de trajet n'ait pas changé. Mes yeux furètent à droite, à gauche et si j'hésitais encore avant de rentrer chez moi, la porte d'entrée, solide mélange de métal et de bois, chaque pas que je fais dans ma maison me rapproche de mon choix final.

Peut-être que l'expression de mon visage est suffisamment claire pour que ma mère soit interpellée. Elle dépose le plat de blettes et de chou-rave sur la table et s'installe. Là aussi, j'aimerai que notre alimentation change. J'aimerai qu'on puisse manger plus de viandes, avoir plus de légumes, plus de pain. J'apprend que la paie d'Emmanuel est plus faible qu'à l'ordinaire, que le porteur chargé de nous ramener celle de notre père n'est pas encore arrivé. J'écoute, sans l'interrompre, les propos de ma mère, immuables dans leurs banalités et criant d'une détresse qui va nous plonger dans la difficulté pour les semaines à venir. Non, vraiment, l'offre de madame Pelletier n'est pas de celles que l'on refuse. J'inspire profondément et lui souris.

— Une certaine madame Hyacinthe Pelletier m'a fait une proposition que je ne peux pas refuser. Du coup, je quitte le couple d'Argant dans un mois.

Maman reste silencieuse et croise ses bras sur sa poitrine. Son dos se voûte un peu et je baisse un peu la tête. La tristesse imprègne autant mes traits que les siens.

— Je vais devenir une gouvernante et je serai bien très bien payée. Cet argent-là, il pourra bien vous aider et c'est important pour moi que vous soyez mieux alors...

— Où est-ce que tu pars ? interroge ma mère en rompant le silence qui s'installait.

— À Oléron.

— Tu es trop jeune, Léonie ! Tu ne peux pas partir aussi loin ! Tu as déjà un travail très pénible, il est hors de question que tu partes si loin chez des inconnus !

— Maman ! C'est une amie à mes employeurs actuels. S'ils m'ont recommandée, c'est qu'ils la connaissent un peu, tu crois pas ? Je pense pas que Siméon... enfin... que monsieur d'Argant me mette dans une mauvaise posture.

Cinq ans. Je travaille pour eux depuis cinq ans et j'ai toujours été bien traitée. Ils s'assurent de me garantir au moins un bon repas par jour, ce qui me permet, dans les moments les plus sombres que ma famille a eu à traverser, d'avoir quelque chose dans le ventre. Ma mère baisse la tête et je soupire.

— J'ai déjà donné ma parole de toute façon, le contrat est signé !

Bon, j'ai menti, mais je n'ai pas le choix. Si je ne mets pas maman devant le fait accompli, elle trouvera à redire. Je la comprends, dans un sens ; elle s'inquiète pour nous, parce que nous sommes ses enfants, mais il faudra bien que je parte un jour. Et ce, même si ma majorité est encore très loin !

Les larmes qui pointent dans les yeux de ma mère serrent mon cœur d'une douleur que je n'ai jamais ressentie. D'un pas précipité, je m'approche d'elle pour la prendre dans mes bras et enfouir mon visage dans ses cheveux. Elle ne dira rien, se contentera de pleurer en silence, avec une dignité que je lui ai toujours connu. Je la laisse se calmer dans notre étreinte et respire son odeur.

Mais, je ne peux pas profiter très longtemps que, déjà, ma cadette hurle à plein poumons sa frustration. Trois ans, et un caractère déjà bien trempée.

— Elle ne dort pas ? demandé-je à ma mère en prenant une madeleine.

— L'un de ses caprices, elle voulait attendre que tu rentres. Si tu l'avais vue ! Ninie maison pas dodo !

Je retiens un rire devant l'imitation de ma mère et quitte la cuisine. Je mangerai un peu plus tard, après avoir couché ma sœur.

Arrivée dans ce qui nous sert de salon, je l'y trouve installée sur un cheval de bois. Elle me fixe de ses grands yeux chocolat et un sourire espiègle illumine son visage.

— Ninie ? Gâteau !

Je hausse un sourcil, alors qu'elle se répète. Je relève le bas ma robe et m'agenouille à côté d'elle.

— On dit le mot magique. Sinon, pas de gâteau !

Elle fait la moue, croise les bras sous sa poitrine et tourne la tête, son petit nez retroussé levé vers le plafond;

— Na ! Gâteau !

— Le mot magique, Marie-Ange.

Sa lèvre inférieure se replie et tremble, comme si elle était sur le point de se mettre à pleurer. Si elle cherche à m'amadouer, elle peut toujours courir ! Elle ne gagnera pas, elle s'en doute.

— Sotoplé !

— S'il te plaît, la reprené-je en articulant.

— Siiiltoooplé !

Mes dents pincent mes lèvres, mes épaules se secouent et j'ai toute la peine du monde à ne pas rire devant les grimaces de ma sœur pour tenter de dire les choses correctement. Et puis, la triste réalité me rattrape. Ma mère a beau rester à la maison, l'éducation de ma sœur n'est pas prioritaire. Son langage peine à se développer et j'en suis consciente.

Mon poing se serre, mais je lui donne son gâteau. Oui, ce travail nous fera du bien à tous !

Il me reste un mois, avec eux ; et je compte bien savourer chaque seconde passer avec eux avant de partir pour Oléron. Alors chaque soir, quitte à grignoter un peu sur mon sommeil, j'essaierais d'apprendre plus de choses à ma sœur. Et comme ça, j'apprendrai aussi à m'occuper d'un enfant !

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HarleyAWarren
Posté le 19/01/2021
Il y a du changement dans l'air pour cette brave Léonie. Reste à voir si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Évidemment, c'est le début de l'histoire donc on se doute bien que notre héroïne n'est pas au bout de ses peines. Reste à savoir quel genre de peines ce sera. Je ne sais pas encore trop ce que je pense de Hyacinthe, elle a l'air trop normal, c'est suspect haha
AislinnTLawson
Posté le 23/01/2021
"Elle a l'air trop normal" mdr si tu savais ♥ C'est quand je vois ce genre de commentaire que je jubile comme l'autrice fourbe que je peux être bwahah ♥
akasdraawr
Posté le 09/01/2021
Re ! C'est de nouveau moi hihi

C'était un rêêêve de Léoniiie :o
Bon, mes hypothèses restent donc les mêmes, peut-être que je te les dirai à l'occasion en pv pour pas spoiler ici x) Mais en vrai je pense que tu t'en doutes

Et Ysoline… Qu'est-ce qu'elle a lu dans le journal… ? :suspicious:

J'aime beaucoup Hyacinthe, et avec Ysoline elles sont l'air grave douces. J'espère en apprendre un peu plus sur elle/elles :3

Je suis un peu triste pour bébé Léonie :sob: elle fait un si grand sacrifice pour mettre sa famille à l'abri du besoin et de la faim ;-;
Marie-Ange a un caractère bien trempé mais elle est hyper mimi

En tout cas je cours lire la suite !
AislinnTLawson
Posté le 23/01/2021
Cours donc cours ! Même si je sais que tu as lu la suite jpp mais voilà XD Fallait que je réponde un petit coup ♥
Samy
Posté le 09/09/2020
Et moi qui commençais à m’attacher à ses employeurs et à sa famille. Mais ce n’est pas plus mal de partir à l’aventure !

Juste une chose, je trouve son changement d’attitude trop soudain. Je m’explique : Léonie passe de jeune fille peureuse/timide/effacée/consciente de sa condition/très respectueuse de ses employés, à quelqu’un qui répond vertement à une amie de sa patronne (alors que celle-ci n’a rien dit de bien méchant).
Ce n’est que mon point de vue mais en tant qu’ancienne timide professionnelle, ce changement est trop brusque. Pour réagir de la sorte il faut vraiment avoir été poussé à bout, or la remarque « terriblement jeune » dite d’une voix « douce » ce n’est pas bien méchant.

Egalement le « mais ça vous le saviez déjà » est un peu trop pétant/arrogant pour une simple employée à une inconnue de la même catégorie sociale que ses employeurs.

Voili voilou ! (。^‿^。)
AislinnTLawson
Posté le 10/09/2020
Coucou et merci d'avoir pris le temps de continuer à lire. J'espère qu'en dépit des imperfections de ce premier jet ça te plaît 🙏🏻 !

Je note le moindre de tes retours avec sérieux et te remercie d'avoir relevé ce qui te gêne ! Il est évident que je reprendrais tout une fois ce premier jet terminé histoire de m'assurer ou modifier de ce qui ne va pas

Merci pour ton temps et à très bientôt ❤️
drawmeamoon
Posté le 01/09/2020
Je suis fan de Léonie, quelle femme !
Elle ne pense pas une seule seconde à elle mais à sa famille et je trouve ça tellement adorable, elle est si altruiste ;;
Elle m'a fait rire aussi avec son "d'accord" sortie si naturellement avant de réaliser que euh non, ne dis pas d'accord comme ça xD
Bref, je l'aime !

J'ai trouvé une petite erreur de conjugaison je crois dans la phrase : "Si l'air devenait irrespirable dans mon wagon, l'extérieur n'est pas mieux." Je sais pas du tout si c'est moi donc si j'ai tort ignore ma remarque mais je crois que tu as un changement de temps dans ta phrase ? Et perso ça m'a perturbé, mais je sais pas du tout si j'ai raison ou non ;;

Et je te relève une autre phrase pour quelque chose totalement différent : mais cette phrase était sublime : "L'aube éclate au-dessus des toits de la capitale." Elle m'a fait faire un "wow" intérieur !

J'ai adoré découvrir un peu plus avec la relation qu'elle a avec sa famille et c'est a la fois touchant et si triste, j'espère que leur condition de vie s'arrangera ;;

J'ai hâte de lire la suite <3
AislinnTLawson
Posté le 03/09/2020
Pour la remarque sur la phrase, je ne sais pas trop, j'avoue que ça me paraît normal, mais je vais poser la question à mes alphalecteurices, pour savoir ce qu'iels en pensent ♥

Oui, Léonie est très altruiste, enfin, elle se plie en quatre pour sa famille (c'est peut-être pas dit qu'elle en fasse autant pour de parfaits inconnus haha)

Le coup du "d'accord" me fait aussi beaucoup rire, alors ça me rassure si ça fait aussi rire les autres, je me sens moins seule ♥

J'espère que la suite te plaira ♥
Vous lisez