L'épée

Par Sebours
Notes de l’auteur : Note de l’auteur : Ome sait forger car il assistait son père, maréchal ferrant pour les centaures à Panamantra. Je rédigerai ultérieurement un chapitre sur le sujet. Cela explique d’ailleurs pourquoi Ome et Fame habitaient dans le quartier des centaures.

Seules les elfes des cinq premières castes sont autorisés à ceindre l’épée à leur taille. Une exception est néanmoins accordée aux représentants des autres castes.

« Les us et coutumes de la cour du roi des elfes »

extrait du Traité sur les sociétés du bouclier-monde

du maître architecte Vinci

« Il est hors de question que la troisième caste te procure une épée de cérémonie à un proscrit ! Le général Ull s’y oppose ! Sache d’ailleurs que le général a fait également fait passer la consigne aux gens de la manufacture. Et leur représentant, le maître architecte Vinci est d’accord avec notre chef militaire. Personne dans la sixième caste ne te forgera de lame ! Malgré tout mon poids politique, je suis pieds et poings liés ! Je suis dans l’impossibilité de contredire mes alliés politiques ! Et puis, le dauphin m’a également mis une certaine pression pour que je n’agisse pas. Tu comprends mon garçon ? »

Oh oui ! Ome comprenait bien au-delà du discours mielleux du grand chambellan. Pour son « protecteur officiel », il devait se contenter d’être un gentil pion obéissant sagement à ses consignes. L’émancipation promise n’était qu’un leurre, à présent, c’était une certitude. Chacun se forge sa propre destinée par ses actes, lui répétait sans cesse Hector. Et c’était vrai. S’il n’avait pas secouru cet imbécile de prince Sirius, jamais le roi Roll n’aurait eut vent de son existence. Son intronisation serait restée dans l’anonymat. Alors c’était décidé. Le premier des hommes remuerait ciel et terre pour se procurer une lame. Il serait l’égal des représentants des neuf castes ! Il ceindrait l’épée pour la cérémonie de demain.

« Tu comprends mon garçon ? » réitéra le baron Ugmar impatient.

Sans un mot, Ome hocha la tête. Tentant péniblement de ne pas exploser de colère, il fit volte-face et quitta le bureau du grand chambellan. Il traversa les couloirs du palais d’un pas énergique. Par où commencer les recherches ? Il pouvait soudoyer un forgeron, mais il prenait le risque que celui-ci le trahisse. Il pouvait en commander une aux nains, mais le délai semblait interminable et le prix prohibitif. Il pouvait demander à Igor le Boiteux d’envoyer ses monte-en-l’air, mais le vol serait signalé et l’épée d’apparat identifiée rapidement. Il aurait été fou d’afficher des accointances avec la ligue des ombres lors de son intronisation.

Alors le jeune homme se dirigea vers la bibliothèque royale après un crochet par les cuisines. Ome n’avait même pas idée de ce à quoi devait ressembler une épée de cérémonie. Il n’avait jamais porté son attention sur celle du grand chambellan. Dans son souvenir, elle était ouvragée mais fonctionnelle. Ses pas énergiques claquaient sur les dalles de marbre. Il entra dans le lieu suprême du savoir elfe. Il portait ostensiblement un torchon rempli d’un gâteau sortant du four. Une vieille elfe aussi décatie que Cléandre notait à la plume d’oie des informations dans un grimoire. Les lèvres pincées, elle lança un regard glaçant par-dessus ses lunettes au visiteur impromptu.

« L’accès à la bibliothèque royale est limité à la famille régnante et au conseil royal. Je vous prierai donc de faire demi-tour ! »

« Laissez-moi d’abord faire les présentations. Bonjour, je m’appelle Ome. Deami, je serais officiellement nommé représentant des derniers nés de Nunn. Je suis un futur membre du conseil et j’aurai dès demain accès à tout ce savoir dont vous êtes la gardienne, madame...Madame ? »

« Arcante. Je préfère d’ailleurs qu’on m’appelle maître bibliothécaire Arcante. Ainsi, c’est pour vous tout ce remue-ménage depuis le début de la semaine ? Revenez demain quand vous ne serez membre du conseil et donc habilité à consulter les ouvrages. Je serais alors ravie de vous assister dans vos recherches car ce n’est pas souvent que l’on sollicite mes services ! »

« Eh bien, maître bibliothécaire Arcante, j’aurai une faveur à vous demander. C’est Cléandre, la servante du grand chambellan qui m’a dit que vous étiez de bon conseil. »

« Cléandre, vous dites ! Comment va-t-elle ? Cela fait une éternité que je ne l’ai vu ! Pourtant, seulement quelques couloirs nous séparent ! »

« Cléandre va très bien. Elle vous transmet ses amitiés. D’ailleurs elle vous prie d’accepter ce gâteau de sa confection pour s’excuser de ne pas prendre le temps de vous visiter plus souvent. » Ome avait suivi à la lettre le manuel du parfait espion. Slymock n’aurait pas fait mieux pour amadouer la vieille bibliothécaire.

« Vous la remercierez bien pour cette délicate attention. Eh bien mon garçon, qu’elle est votre requête ? »

« Maître bibliothécaire Arcante, connaîtriez-vous le nom d’un ouvrage décrivant l’intronisation des membres du conseil royal ? Étant dernier né, j’ignore tout de la cérémonie, des us et coutumes, de la tenue, du port de l’épée, des conventions à respecter. Je me permets de mettre à profit vos connaissances. J’irai par la suite chercher l’ouvrage à la bibliothèque universitaire. »

« Vous vous inquiétez pour votre entrée dans le grand monde, c’est ça ? » Ome hocha la tête en s’efforçant d’afficher un sourire timide et maladroit fidèle au personnage qu’il incarnait. « Je vous conseillerai sans hésitation « La cérémonie d’intronisation au conseil royal » du maître architecte Vitruve, le grand-père de l’actuel maître architecte Vinci. Malheureusement c’est un exemplaire unique et le maire du palais vient de l’emprunter, certainement pour la cérémonie de demain. » La vieille bibliothécaire continua à parler en cherchant dans les rayonnages poussiéreux. « Sinon, il y aurait bien un traité sur les symboles d’apparat du conseil royal, mais nous sommes là plus sur une description technique. Il y a surtout des croquis des différentes pièces à porter...Ah ! Le voici ! Théoriquement, vous n’auriez le droit de l’emprunter que demain. Je veux bien vous le prêter si vous promettez de garder le silence sur ce petit secret ! »

« C’est promis, maître bibliothécaire Arcante ! » La main sur le cœur, Ome jura dans une attitude solennelle. « J’emporterai ce secret jusque dans ma tombe ! »

Dans un éclat de rire, Arcante donna volontiers le précieux petit livre au premier être vivant à avoir égayé son quotidien depuis bien longtemps. Après une révérence, le représentant des hommes fila dans sa chambre. Avec un peu de chance, il venait de trouver ce qu’il cherchait. Avec anxiété, il feuilleta le volume dans un sens, puis dans l’autre jusqu’à tomber sur l’objet de son désir, un croquis d’une épée d’appart. Enfin, il obtenait les informations dont il avait besoin ! Les esquisses détaillaient les éléments de l’arme, de la longueur de la lame à la matière de la poignée. Ome savait déjà que la garde en forme de lemniscate constituait la difficulté majeure de la confection d’une telle épée. Il était néanmoins décidé à se forger la sienne. Et il n’avait pas attendu la dérobade prévisible du grand chambellan pour s’activer. Le futur guide des hommes pressa la boucle d’oreille offerte par Hector.

« Bonjour Hector ! J’ai enfin mis la main sur un plan d’épée d’apparat. Les éléments que je t’ai demandé sont-ils prêts, mon frère ? »

« Oui mon frère ! Iphigénie a déposé les lingots à l’ambassade ce tantôt. »

« Merci mon frère ! Je te raconterai plus tard si mon projet a abouti. Pour l’instant, j’ai du pain sur la planche ! »

Ome traversa les couloirs comme une furie puis couru à en perdre haleine dans les méandres de Zulla jusqu’à l’ambassade dryade. Un émissaire y attendait le garçon et lui donna avec bienveillance un sac de lingots. Le dernier né de Nunn disposait de tous les éléments nécessaires à son entreprise. Le vassal du prince Hector lui mis à disposition une petite pièce dans laquelle il s’empressa de s’enfermer. Le « premier des hommes » introduit les matériaux dans le sac microcosmique avant de pénétrer lui-même dans son royaume de poche.

Même si en ce lieu, le temps s’écoulait plus lentement, il devait agir vite. Il installa méthodiquement les outils et lingots autour de l’enclume qu’il avait précédemment importée dans son univers privé. Heureusement, il ne s’épuiserait pas à faire monter une forge en température. Ome noua son tablier de forgeron puis souffla dans un appeau et les trois rokhs tournoyèrent dans le ciel au-dessus de sa tête avant de plonger pour atterrir majestueusement à quelques mètres de lui. Il saisit un lingot de fer avec sa tenaille puis siffla trois coups secs. Flèche cracha son feu jusqu’à rougir le métal. Le proto-forgeron frappa le morceau de matière incandescent avec son marteau. Un sifflement long et Voile à son tour projeta son émanation brûlante. Puis à nouveau le choc du fer contre le fer. Un son court puis un autre long, et Caresse chauffa l’ébauche de lame.

Les trois Rokhs semblaient prendre plaisir à cet exercice nouveau et l’accompagnaient de leurs cris mélodieux. L’intelligence de ces oiseaux surprenait chaque jour un peu plus leur éleveur. Façonner ainsi le fer pour le transformer en acier rappelait à Ome les tendres années de bonheurs de son enfance avec son père. C’était lui qui lui avait enseigné les secrets de la forge. Il fallut un jour pour obtenir une arme fonctionnelle et deux autres pour la décorer. La garde en or en forme de lemniscate et ornée de diamants nécessita des efforts gigantesques. Puis vint le moment de l’affûtage. Au premier contact avec la pierre, la lame chanta au diapason un rokh. Les trois mythiques rapaces répondirent en chœur. En un battement d’aile, le forgeron amateur le fil de l’épée apparut. Était-ce dû à la qualité de l’acier, le travail de l’acier dans le sac microcosmique ou bien à la magie du feu de Flèche, Voile et Caresse ? Ou peut-être des trois facteurs réunis ?

Fou de joie, Ome brandit l’arme d’apparat. Son mouvement vif provoqua une légère oscillation de la lame et celle-ci cria d’une voix cristalline. Les rokhs s’élevèrent dans les cieux et se positionnèrent en vol stationnaire de chasse en amont. Le dernier né aperçut un groupe de chèvres gambader au loin. Il la pointa en abaissant son épée. L’arme chanta de plus belle et les rapaces fondirent sur les malheureuses proies. Il venait de forger un objet capable de commander aux oiseaux mythiques que lui avait confié le prince Hector. Il venait de forger un artefact digne des sept présents des Sept et qui le placerait à l’égal des elfes !

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