Les bateaux de l'espace (Chap. 2): Groboulon sur Mer

Par Cyrmot

 

— Des moulins à vent ! précisa le buraliste. Et avec ce que ça souffle par ici, croyez-moi ça c’est quelque chose qui ne tombera jamais en panne ! Mon père prit la monnaie par-dessus les bâtons, la cartouche de gitanes et le sourire de Pierre Cosso en couverture du Ok de la semaine. Il n’avait plus évoqué le type au hangar depuis la veille, l’idée de nous accompagner en jean retroussé jusqu'aux genoux, à gratter des rochers ou courir derrière des crabes l’avait peut-être quittée sur la route. Il nous avait finalement trouvé des bâtons à hélices au bureau de tabac.

Après cela on avait trainé dans l’appartement, une fois le repas fini il avait improvisé une sieste sur le canapé. Je m’étais attendu plusieurs fois à ce qu’il se réveille en sursaut puis bondisse à la fenêtre en s’écriant Mais qu’est-ce qu’on fout ici les enfants, allez venez, on se taille j’en peux plus. Puis je l’avais juste vu se retourner, faire pfllupflluu de la bouche et redormir de plus belle.

Mon frère m'avait appelé à ce moment pour me montrer un truc. Il avait finalement trouvé UN JOUET sur une étagère de la bibliothèque. Je fus d’abord un peu déçu devant l’espèce de poterie qu’il me montrait fièrement. Ça représentait trois grands mecs tout gris sur un petit socle en métal, genre troupe de soldats de plomb, mais habillés bizarrement, avec des têtes d’enterrement. C'était pas si mal, je me dis finalement en inspectant le truc, le bonhomme au centre avait la tête d'Ulysse 31, celui à droite plutôt celle de M. Lademon, le directeur de l'école primaire, mais avec un gros pisto-laser entre les mains.

Ça serait notre commando d'élite, ils auraient été contaminé au plutonium durant une de nos missions, alors ils faisaient quatre mètres de haut et pouvaient évoluer sans oxygène sur les planètes hostiles. On avait filé dans la chambre, notre base martienne en J’ai lu empilés sur le dessus de lit était attaquée par les sinistres Doggers et leurs deux Etoiles de la mort, les deux bâtons à hélice qu'on avait plantés dans les tiroirs de la commode et du chevet.

Je plaçai le commando en première ligne, alors que le vaisseau de mon frère patrouillait au-dessus de ma jeep d’exploration, j'avais trouvé des capsules dans la cuisine pour faire les minerais précieux qu'on récoltait. La sortie s'annonçait périlleuse, même si la Tour de Contrôle Sel Cérébos nous prévenait de toute attaque surprise, et que la rampe de lancement VHS 240 permettait un repli rapide entre les murs de la Base.

Une ou deux heures plus tard, on avait entendu mon père bailler à tout rompre à côté, puis se faire couler un café. Il était venu voir ce qu’on fabriquait, avait souri en allumant une cigarette, puis nous avait dit de nous préparer pour sortir. Vu sa mine, les cartes et autres guides historique qu’il avait sous le bras, je me dis qu’on ne partait pas pour la fête foraine.

 

*

 

Il nous trimballa ainsi trois jours d’affilée, à la fin je n’en pouvais plus. Je n’imaginais pas possible qu’on puisse fouiller une ville dans tous les sens comme ça, qu’un simple mur d’église était à voir, un bout de jardin public à découvrir, un quartier perdu et sans boutiques à visiter. On partait en voiture, les bâtiments défilaient autour de nous, des ficelles étaient tendues un peu partout entre les façades, avec des fanions jaune et bleu, comme si c'était la fête. On s'arrêtait devant une église, on marchait sur les remparts, puis on remontait en voiture. On passait dans le centre-ville, une fois on avait roulé jusqu'à la campagne derrière Boulogne, puis on revenait, on roulait jusqu'à la plage, puis on poussait jusqu'au phare. Et on roulait encore jusqu'au port pour trouver une crêperie devant les bateaux.

Avec tout ce qu'on roulait je voyais peu à peu les fanions comme des triangles de course au-dessus du petit bolide familial, qui de tour en tour retombait toujours sur la mer, quoiqu'on fasse, à la moindre sortie, la moindre balade, c'était la mer à l'arrivée : une mer chiante et inutilisable, grise et austère, sans baignade et sans fin. Une mer à travail, à pêche, à transport, une cuve glaciale, industrielle, battue par les vents, juste bonne à fourguer du poisson, des bulletins météo obscurs et des oiseaux qui gueulaient tout le temps. J’en finissais même par m’attacher à la chambre minuscule qu’on retrouvait le soir, j’avais chaque fois une nouvelle idée pour nos missions spatiales. Puis quand mon père venait pour éteindre, que ne subsistait que la lueur bleue de la montre de mon frère, je nous voyais alors nous-mêmes comme des astronautes reprenant des forces dans notre capsule pressurisée, après une journée d'exploration sur la planète Groboulon. Je m'endormais en cochant mentalement le jour achevé, le jour trente fois plus long par ici que sur Valdwazz, notre monde lointain.

Une ou deux fois je m’éveillais dans l’obscurité, j’allais au salon puis longeais le canapé-lit de mon père jusqu'aux fenêtres. Dehors la nuit semblait aussi épaisse et froide que la mer qui remuait dessous. Je regardais les bâtiments éteints, les rues allumées, je pensais aux gens pour qui vivre ici était tout à fait normal. Peut-être parlaient-ils naturellement de vent dominant fraîchissant, de secteur ouest agité sur Casquets tout en mâchant leur poisson.

Le soir avant de se coucher ils se réunissaient en famille à la flamme d’une bougie autour d’un transistor, pour écouter Les Contes de Maitéhault Marine, la folle dans son phare oublié, en tunique avec de longs cheveux, chantant les vents violents, les avis de tempête, les trombes et la houle forte. Et tous ne devaient dormir que d’un œil, à veiller indéfiniment sur les flots, sur toute l’eau ténébreuse du nord qui les assiégeait, comme sur une créature légendaire rôdant dans les parages depuis des siècles.  Avec le bruit des vagues roulant sans cesse dans leurs crânes, les odeurs du port et des usines pénétrant jusqu’au fond de leurs maisons, et la voix de Maitéhault venant glisser continuellement sur leurs toits.

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