Les chaussures dans l’entrée,
Les manteaux trop lourds posés sur la machine à laver.
Dans le cagibi, le réfrigérateur rempli.
On échappait à nos besognes d’enfants,
On se voulait au-dessus du monde, au-dessus des « grands ».
On n’avait pas besoin de se parler,
On avait juste à se regarder.
Le signal, et on se réfugiait dans l’énième chambre de l’appartement.
Les matelas au sol accueillaient nos jeux d’enfants,
Des plus précoces aux plus innocents.
On ne comprenait rien au monde,
Mais on comprenait tout à la vie.
On la découvrait chacun à son rythme,
Et on en faisait profiter les non-initiés.
On était tous frères et sœurs,
Enfants d’une même génération, d’une même portée.
On s’aimait comme une fratrie,
On s’enviait, se jalousait,
Comme des enfants pourris.
On se liguait contre les « grands » qui n’y comprenait rien,
On réclamait la paix, sans vraiment y croire,
Comme si c’était notre droit le plus inaliénable,
Sans trop d’espoir.
On débarquait en bande organisée, téméraires,
Les plus petits devant, pour quémander.
A coups de petites voix portées à l’unisson,
Pour faire exaucer nos souhaits les plus culottés.
Les verres de Coca qu’on rotait,
La bouteille qu’on piquait sur la table,
Et qu’on gardait jalousement avec nous dans la chambre.
Breuvage délicieux, nectar festif,
On s’enivrait de ses bulles,
A l’abri dans la nôtre.
On collectionnait les papillotes, leurs dictons cachés.
On troquait nos pétards contre des pâtes de fruit,
Et on se gavait jusqu’à en avoir la nausée.
L’absence de verrous sur les portes,
Pour nous ôter toute intimité.
Quelle intimité ? Les enfants ça n’a rien à cacher.
Les secrets chuchotés à l’oreille,
Pour que nos voisins de chambre n’entendent rien,
Les chaussettes blanches qui devenaient grises,
Les pyjamas élimés aux genoux.
Les plus petits qu’on nous refilait,
Parce qu’on était les « grandes ».
La chambre interdite dont on nous refusait l’entrée,
Et ses placards remplis de trésors,
Qui nous appâtaient avec leurs portes coulissantes qui ne fermaient pas à clé.
L’odeur de cigarette froide qui imprégnait nos vêtements.
Le huit-clos de ma mère et des plus grandes,
Qui en allumait à la fenêtre de la chambre, en commérant.
Cachées sous les matelas, les pelures de mandarine encore molles,
Les graines de couscous collées sous les bas,
Les télécommandes confisquées,
Les parties de Gameboy à trois, autour d’une même console.
Les rires, les cris, les petites mains posées sur la nappe en plastique,
Les discussions sans fin auxquelles on n’y comprenait rien,
Les histoires fantastiques, et celles mystiques.
Le sommeil perdu, les gobelets de Fanta renversés,
Les confidences, les excursions chez les voisins,
L’écho des voix dans l’escalier, les débats animés.
Vingt ans après,
Les mains tenant les gobelets sont plus habiles,
Les secrets se sont tus,
Les boucles de mes cheveux, à nouveau, frisent,
Le placard aux trésors s’est vidé,
Le temps a passé,
Il a lavé nos chaussettes grises.
J'ai bien aimé ce poème, on y ressent de la nostalgie, je trouve qu'il dégage quelque chose de vrai, de sincère. Continue comme ça.
Merci pour ce poème
"On s’enivrait de ses bulles,
A l’abri dans la nôtre."
"Quelle intimité ? Les enfants ça n’a rien à cacher."
Qu'est-ce que l'enfance si ce n'est pas la plus belle période de la vie ? Les adultes ont souvent raison : "Tu comprendras plus tard" , ou plutôt "tu t'en rendras compte plus tard", bien que cette phrase soit très agaçante x)
Ton texte a une vraie musicalité à la lecture, as-tu déjà essayé de le mettre en musique ? ^^
Le plus beau dans tout ça c'est qu'on revit des émotions à travers des mots, sans même se rendre compte qu'on ne fait que les lire et les interpréter. Ils glissent sous nos yeux et les images défilent. C'est magique ^^
Merci pour cet instant de souvenirs,
Au plaisir de lire d'autres de tes écrits !
Fy
Seul bémol sur ce texte, les "on" disséminés, ça et là, ça enlève de la couleur et rend le texte très imprécis par endroit. Mis à part, ça, c'est vraiment chouette.
Ah, et j'oubliais le rythme aussi. Le texte est très bien rythmé et on le lit jusqu'au bout sans aucun effort.
Bref, bravo pour ce texte et merci pour le partage !
Ce poème est extrêmement émouvant par son témoignage de l'enfance, qui a raviver mes propres souvenirs. La fin tout particulièrement, très abrupte, dure, m'a fait un bon pincement au cœur.
J'ai noté cet enchaînement:
"On ne comprenait rien au monde,
Mais on comprenait tout à la vie."
C'est un véritable terreau de vérité ces deux vers, je trouve ;).
Merci encore pour ton partage :).
A bientôt !
A très bientôt ! :)