Les créatures et la nuit

Par Pouiny

Le soleil tourna jusqu’à la lune. Et le pauvre insecte continuait de sauter, appelant son groupe de toute ses forces. Mais rien ne sorti du sable. Et à la nuit tombée, quand le froid commença à geler ses pattes, il abandonna. Il regarda saturne, la belle et imperturbable saturne comme pour la dernière fois en soupirant.

« C’est fini. Les criquets ne peuvent pas survivre seul dans le désert. Si je ne meurs pas de froid cette nuit, je me ferai manger demain… Comment ai-je pu être aussi bête… »

Mais malgré tout, il s’enfonça légèrement entre les grains de sable, pour rechercher la chaleur. Il avait beau se répéter qu’il allait mourir, cela restait, au fond de son cœur, impensable. Alors qu’il commençait à fermer les yeux, un souffle chaud lui fit faire un bond.

« Qu’es-tu ? »

Un mammifère étrange le surplombait dans l’ombre.

« Ne me mange pas ! Cria le criquet. »

Bien que l'immense créature ne semblait pas être agressive, rien d’autre ne pouvait lui venir à l’esprit. Mais malgré toute sa peur et la puissance de son bond dans les airs, il ne put se résoudre à fuir.

« Pourquoi te mangerai-je ? Tu es bien trop petit. Qu’es-tu ? »

L’animal avait de grands yeux noirs, dans lequel la lune se reflétait. Son nez qui semblait renifler le pauvre insecte était plus grand que trois fois le criquet. Mais plus étrange était ses oreilles ; plus grandes que sa propre tête, couchées sur le coté comme en crainte de quelque chose, elles semblaient capable de capter le moindre son, la moindre vibration. Couvert de poils blancs et roux, ressemblant à la couleur du sable au crépuscule, il semblait être véritablement curieux de cette créature qu’il n’avait jamais vu en ces lieux.

« Toi, qui es-tu, plutôt ! Répondit le criquet avec aplomb.

– Je suis un fennec, lui répondit le fennec avec calme. Et toi, qu’es-tu ?

– Je suis un criquet, lâcha le criquet avec amertume. Mais à quoi ça t’avances ? »

Le nez de l’animal s’approcha de lui davantage. Paniqué, il lui sauta sur le museau.

« Ne me mange pas, je te dis !

– Je ne te mangerai pas !

– Alors, pourquoi fais-tu cela ?

– Quoi donc ? »

Ne voyant que des reflets sincères dans les yeux du potentiel prédateur, le petit criquet se détendit.

– Tu me regardes. Tu ne devrais pas.

– Pourquoi ?

– C’est évident, non ? Je suis bien trop petit ! »

Sautillant sur le long nez du fennec, celui-ci s’assit sur le sable calmement, louchant presque.

– Ah bon ? Pourtant, je te vois bien. Comment ça se fait que je ne t’ai jamais vu avant dans les parages ? »

Le petit criquet, un peu gêné, se posa sur le sable.

« Tu n’as vraiment jamais vu de criquet avant moi ?

– Non, jamais. J’aurais du ?

– Les miens se déplacent par groupes de centaines. Quand l’essaim passe dans le désert, personne ne peut nous rater ! »

Il y avait, malgré tout, un peu de fierté dans les paroles de l’insecte.

– Oh. Je n’ai pourtant jamais vu d’essaim de criquet par ici, assura le fennec.

– Alors je suis bel et bien perdu... »

Oubliant presque son interlocuteur, le criquet s’enfonça dans le sable. Mais avant qu’il s’enterre vivant, le fennec posa doucement une patte a coté de lui pour le forcer à s’arrêter.

« Pourquoi es-tu perdu ?

– Et toi, répliqua l’insecte sur la défensive, où est ton essaim ?

– J’ai toujours vécu seul, répondit le fennec. Pourquoi ? J’aurais du vivre autrement ?

– Évidemment que non. Car toi, tu es capable de vivre seul. Tu peux survivre en ne comptant que sur toi-même. Mais nous, les criquets si petits, on n’est seul que face à la mort.

– Tu vas donc mourir ?

– Sans doute. Si ce n’est pas par toi, ce sera par un oiseau ou n’importe quel autre prédateur traversant le désert. Et si aucun prédateur ne me mange… Je mourrais alors de froid durant une nuit comme celle-ci. »

Intrigué, le fennec ne répondit rien. Il contemplait son interlocuteur dont les ailes reflétaient les étoiles.

« J’ai du mal à imaginer que tu puisses mourir aussi facilement. Après tout, on vit tous dans le désert.

– J’espérais retrouver mon essaim au plus vite, et ainsi j’aurais pu survivre… Mais tu me dis que tu n’en as jamais vu de ta vie. Je ne l’ai pas cherché dans la bonne direction. Et désormais, comment pourrais-je savoir où il se trouve…

– Comment as-tu pu perdre de vue quelque chose qui paraît aussi essentiel à ta survie ? »

Le mammifère le regardait avec des yeux ronds. En soupirant, le criquet se posa sur sa patte. La chaleur qu’émanait l’animal le réconforta un peu.

« Regarde par là. »

Et en sautillant légèrement vers le ciel, il pointa de ses antennes une étoile en particulier.

« Le ciel est beau, ici, avoua le fennec.

– C’est cette beauté qui m’a perdu. »

Pensif, l’animal regarda le criquet. Celui-ci resta un moment silencieux pour trouver comment transmettre ses idées. Dans l’essaim, il ne lui arrivait jamais de communiquer avec les autres.

« Les criquets d’ordinaires ne suivent que deux astres durant leur vie ; le soleil et la lune qui en est son reflet. Leur lumière, leur beauté, sont des repères faciles et évidents pour pouvoir toujours se diriger droit dans un désert sans repère. Ainsi, on est presque fait pour les aimer. Mais… Ce n’est pas mon cas. Depuis ma naissance en tant que criquet, j’ai beau regarder la lune et ses cratères sombres et vide, le soleil et ses reflets vifs sur le sable chaud… Rien ne résonne en moi. Comme s'ils appelaient tout le monde, sauf moi. Je suis insensible à la beauté et l’utilité qu’ils apportent. Moi, ce qui me fait vibrer depuis les premières secondes de mon existence, ce qui me donne envie de vivre et de voyager vers elle, c’est cette étoile. Cette étoile toujours en mouvement, bien plus que les autres. Cette étoile si grande et si petite, presque jaune, aux reflets si mystérieux. Parfois, elle est proche de la lune, et dans ce cas, j’arrive à me diriger vers elle sans me perdre. Mais souvent, elle en est bien plus éloignée…

« Toute ma vie je n’ai que rêvé de m’approcher de Saturne. De la voir de plus près. Mais, parmi les miens, j’étais le seul dans ce cas. Alors… Je me suis perdu. Peut-être m’ont-ils abandonnés. Je ne pense pas, néanmoins. Je pense plutôt qu’ils ont continué leur route, vers le soleil, vers la lune, et qu’ils ont oublié que j’ai pu mener un jour une existence différente…

– Pourquoi ne leur en as-tu pas parlé ? »

Le fennec, curieux, avait écouté attentivement le petit criquet, contemplant avec interrogation l’astre tant aimé. L’insecte qui venait d’exprimer tant de chose en quelques instants, avait oublié comment il avait pu se taire. Après quelques instants de contemplation, il répondit :

« Je ne sais pas. Peut-être parce que parler fait sortir du groupe.

– Je vois. C’est vrai que c’est sans doute plus facile de parler tout seul.

– Tu parles tout seul ?

– Tu as bien dit que je ne pouvais pas te voir, non ? Déclara le fennec amusé avec un regard vers lui. »

Il restèrent un moment ainsi, au milieu des vagues, au dessus de la lune. Silencieux, contemplatifs, ils restèrent immobile et silencieux, oubliant pour un instant qu’il existait autre chose que les étoiles dans ce monde paisible et endormi. Le vent soufflait doucement sur les dunes et faisait vibrer le long pelage du fennec. Posé sur sa patte, le criquet sentait les poils s’agiter comme des grains de sable. La chaleur qui s’en dégageait semblait couler dans son corps. Avec un frisson, le fennec fini par demander calmement :

« Si l’on fait un bout de chemin ensemble… Tu survivras, non ? »

Étonné, le criquet ne répondit pas de suite.

« Peut-être. Mais pourquoi voudrais-tu être accompagné d’un criquet aussi petit que moi ?

– J’ai toujours vécu seul. C’est à peine si je sais à quoi ressemble les autres fennecs de mon espèce. Et contrairement à toi où aux tiens, je n’ai aucun attrait, ni pour la lune, ni pour une étoile. Je vis, c’est tout. Alors, je te propose un échange ; donne moi un but, et je te donnerai Saturne. Est-ce que cela te convient ? »

L’insecte n’eut même pas besoin de répondre pour que l’accord soit conclu. Pendant le reste de cette nuit étoilée, un léger bourdonnement l’éleva dans l’air. Perdu au milieu du désert, protégés par les dunes de sable qui les cachait du reste du monde, un criquet chantait de bonheur, posé sur la patte d’un fennec qui s’endormait sous la lune.

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Amusile
Posté le 27/03/2021
Me revoilà.
J'ai beaucoup apprécié cette rencontre entre le fennec et le criquet. Il y a beaucoup de poésie dans leur dialogue à tous les deux, et c'est un petit moment très doux que tu m'as offert avec ce chapitre. J'avais un peu l'impression de relire "Le petit prince", c'est dire...
Pouiny
Posté le 28/03/2021
Étant donné que le petit prince est un de mes livres préférés, ça me fait très plaisir,merci !
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