Les disparus

Les disparus

Deux jours après le lancement du Walrus game, Ulys entra en coup de vent dans l’appartement des Sailor peu avant l’heure du dîner. Oxan ne l’avait presque pas croisé depuis l’avant-veille ; à peine les repas ou les corvées terminés, il s’échappait on ne savait où.

– J’ai trouvé plein de trucs ! annonça-t-il fièrement en brandissant un mediacom.

– Quels trucs ? interrogea aussitôt Teddy avec avidité, espérant sans doute une avalanche de cadeaux.

– J’ai demandé à Skull si je pouvais fouiller dans la base de données du WOW. Comme il était d’accord, j’ai fait des recherches sur les space-hikers. J’en avais marre que tout le monde nous en parle sans en savoir plus. Et cette histoire de disparition me trottait dans la tête, aussi.

Déçu par le sujet, Teddy s’allongea sur le sol et entonna doucement une ode à ses dents manquantes en massant ses gencives du bout de l’index. Les autres, en revanche, se rapprochèrent d’Ulys.

– Intéressant ! approuva Oxan, les yeux fixés sur le mediacom. Et alors, qu’est-ce que tu as trouvé ?

– Au début, rien du tout. Pas un mot sur le sujet. J’ai même fini par me dire que c’était une légende. Mais cet après-midi, j’ai enfin déniché ça, dit Ulys en leur montrant l’écran.

Il affichait un article intitulé « Où sont les hikers ? » publié quatre ans auparavant, en temps unifié. La journaliste, nommée Max Angel, y relatait la longue enquête qu’elle avait menée durant plusieurs années sur une cinquantaine de planètes.

– Elle explique que le phénomène des hikers date d’une centaine d’années et qu’il est parti du milieu du bras d’Orion, résuma Ulys en se balançant d’un pied sur l’autre. Pas très loin d’ici, d’ailleurs. Ensuite, ça s’est répandu quand les communications galactiques se sont améliorées, mais c’est dans cette zone qu’ils ont toujours été les plus nombreux. Il y a cinquante ans, c’était même une espèce de mode : des adolescents sans problèmes se mettaient à partir de chez eux juste pour tenter l’aventure.

– N’importe quoi… commenta Tan.

– Ça n’a pas duré très longtemps. C’est vite redevenu comme au début : seuls les « vrais » hikers, ceux qui n’avaient pas trop le choix, ont continué.

– Pourquoi, pas le choix ? demanda Oxan.

– Des orphelins pour la plupart, comme nous l’a dit Paddy. Ou bien des adolescents en fuite. Apparemment, il y a pas mal de planètes où tu risques gros à la moindre bêtise. Parfois plusieurs années de prison pour avoir volé des bases-repas.

– C’est horrible !

– Attends, c’est pas fini. Il y a à peu près vingt ans, une organisation humanitaire, la Space-Hikers Rescue ou SHR, s’est intéressée à eux.

– La SHR ? s’exclama Tancred en arrachant le mediacom des mains d’Oxan.

– Tu connais ? lui demanda Ulys, surpris.

Tan leva les yeux de l’écran, regarda son frère comme s’il avait oublié sa présence, puis pinça les lèvres en rendant l’appareil à Oxan.

– Euh… le nom me dit vaguement quelque chose, expliqua-t-il enfin, mais je ne savais pas que c’était une organisation humanitaire.

Ulys lui jeta un regard qui affichait clairement ses doutes sur la santé mentale de son frère, puis poursuivit :

– La SHR a fait plein de campagnes de communication pour faire savoir aux hikers qu’ils pouvaient les rejoindre, qu’ils seraient pris en charge, et caetera… Ils envoyaient des gens un peu partout dans la galaxie pour les trouver et les emmener avec eux. Les hikers étaient méfiants alors ils ne se laissaient pas toujours convaincre, mais ils ont continué leurs activités pendant quinze ans.

– Ils ont même réussi à trouver des foyers d’adoption pour presque tous ceux qu’ils avaient récupérés, confirma Oxan en parcourant l’article.

Toute cette histoire la mettait mal à l’aise, comme si elle connaissait personnellement chacun des jeunes voyageurs. Comme si elle faisait partie du lot.

– Et puis, presque tout d’un coup, poursuivit Ulys, plus personne ne s’est présenté. Ils ont refait des annonces, ils ont cherché partout, mais plus personne ne croisait de hikers. Privée d’activité, la SHR a perdu ses subventions ; elle a dû fermer ses portes. 

– Impressionnant, tout ce que tu as appris, admit Tan du bout des lèvres. Et depuis, plus rien ? Tout le monde les a oubliés à part cette journaliste ?

– C’est tout ce que j’ai trouvé. Mais à la fin de l’article, Max Angel émet l’hypothèse que les hikers ont été victimes d’une énorme organisation criminelle qui s’occupe, entre autres, de trafic humain. Qu’ils ont été vendus dans des réseaux d’esclavage ou de prostitution.

–  C’est horrible ! s’écria Oxan tandis que tous les autres grimaçaient.

Un silence s’installa tandis que les Sailor — moins Teddy qui chantonnait toujours — réfléchissaient à ce qu’ils venaient d’apprendre. Fébrile, Tan avait repris le mediacom et ses yeux sautaient d’un côté à l’autre de l’écran. On aurait dit qu’il frôlait le bug, comme si les informations apportées par Ulys ne s’emboîtaient pas dans sa logique.

–  Vous croyez que le WOW appartient à cette organisation ? souffla enfin Ulys avec un froncement de nez.

–  Non ! intervint Calixt dont les paupières battaient nerveusement. Je suis sûr que c’est pas vrai !

Il serrait les poings si fort que ses bras en tremblaient.

–  C’est peut-être Blacky qui en fait partie ! hurla-t-il avec un air de défi. Si ça se trouve, c’est lui le méchant et il essaie de faire croire que c’est les autres !

Sur ce, il partit à grands pas vers la chambre qu’il partageait avec Ulys et claqua la porte, laissant ses cousins et sa sœur interdits.

Jusqu’ici, ils n’avaient fait qu’échanger des hypothèses, pensa Oxan. La réaction de son frère semblait donc très virulente, comme si c’était lui qu’on avait accusé. Elle se promit de creuser le sujet avec lui dans les jours suivants. Sans doute l’avait-elle un peu trop délaissé depuis leur arrivée à bord. En attendant, elle allait déjà essayer de le convaincre de les accompagner au réfectoire pour le dîner. Elle sentait bien que ce ne serait pas une mince affaire.