À présent, je vais tenter d’établir la « recette » pour une bonne histoire effrayante comme je les aime : les différentes étapes nécessaires à leur écriture. Pour chacune des étapes de création, j’ai glissé quelques exemples provenant de certaines des histoires que vous avez pu lire précédemment.
Naturellement, vous pouvez, à partir de ces éléments, faire vous-même l’analyse de chacune des histoires de ce recueil !
Situation initiale :
Pour qu’une histoire effrayante prenne rapidement et sur de bonnes bases, il nous faut décrire un cadre en peu de mots, une ou deux phrases en général. Cette situation initiale doit être vraisemblable, normale au possible, voire rassurante. On y présente rapidement les principaux protagonistes (lambdas), les lieux, et à quel moment les évènements se déroulent (souvent le soir ou de nuit, vous remarquerez). Pour ma part, je ne donne jamais de nom aux personnages : on s’y identifie plus de cette manière. Exemple : « une petite fille habite avec ses parents dans une maison à la campagne. ». Voilà, en une phrase c’est bouclé. Mais ça peut être aussi « Un chasseur se perd en forêt », ou « Un soir, un couple se retrouve pour une partie de béquotage. ». Mais si l’histoire est racontée de manière originale, comme pour celle de L’homme dans le jardin, la situation initiale peut ne pas être énoncée d’entrée de jeu, mais être sous-entendue (mais il s’agit d’un cas à part). Dans cette histoire, la situation initiale est rapportée au policier, et donc au lecteur, par l’homme qui lui explique ce qu’il s’est passé précédemment. Il s’agit donc d’une alternative à : « Un soir, chez lui, un homme aperçoit un individu louche dans son jardin à travers sa baie vitrée. Après lui avoir demandé de partir sans succès, l’homme appelle la police. ».
Particularités (facultatif) :
Décrites suite à l’exposition de la situation initiale, ce que j’appelle les « particularités » sont indispensables à la suite de l’intrigue. Il s’agit en fait, par définition, de « fusils de Tchekhov », c’est-à-dire des détails – qui peuvent paraître en premier lieu superficiels – que l’on énonce pour qu’ils prennent un sens dans la suite des évènements. Il peut y en avoir un, plusieurs, ou aucun si l’intrigue n’en a pas besoin pour se développer (c’est ce pourquoi j’ai indiqué plus haut « facultatif »). Pour être sûr d’être clair, je vais citer les « particularités » de chacune des histoires précédentes, et expliciter leur rôle pour la suite de l’intrigue :
- « Ses parents ont décidé de lui acheter un chien pour lui tenir compagnie et la rassurer ». Ici, la particularité est l’achat du chien, et c’est un élément indispensable car permettant à la double chute d’avoir lieu : que le chien soit tué, et que quelqu’un d’autre prenne sa place. Le fait que la fille lui fasse lécher sa main est indispensable lui aussi.
- « Avec la voiture du garçon », « un bois non loin de leur quartier », et « la radio allumée ». Dans cette histoire, ces trois éléments sont utiles à l’intrigue car : 1. Si le jeune homme conduit, il peut accélérer en trombe (car tous les jeunes hommes vexés et énervés font ça, bien entendu), et arracher le crochet du bras du tueur ; 2. Si c’est dans un bois, une branche peut craquer et effrayer la fille ; 3. Si ce bois est non loin de leur quartier, cela explique que le tueur y soit, puisqu’il est dit qu’il a été vu dans le quartier ; 4. Si la radio est allumée, le couple peut être informé qu’il y a un tueur, et la fille peut s’inquiéter.
- L’étrange voiture n’en a pas vraiment, à part peut-être le fait que la femme soit en voiture, ce qui permet au tueur d’être près d’elle, sur la banquette arrière, sans être visible. De même pour Un père couche sa fille et Baby-sitting 1, il n’y a pas vraiment de « particularité particulière », si j’ose dire.
- Par contre, « Il est seul », « pas de réseau » et « la nuit tombe » sont autant de particularités à la situation de notre pauvre chasseur qui attestent du fait qu’il n’a pas d’autre moyen que de trouver un abri.
- Dans Baby-sitting 2 : « les enfants sont couchés ». Cette particularité-là permet que la baby-sitter ne tombe pas directement sur l’individu probablement caché dans la chambre des enfants, en allant coucher ceux-ci. (D’ailleurs… Qui nous dit qu’il y a vraiment des enfants qui dorment là-haut ? Ne serait-ce pas un coup monté depuis le début ?…).
- Pour les deux garçons dormant « dans des lits superposés », la particularité est là : s’il s’était agit de deux lits simples, rien n’aurait expliqué – hormis son éventuel sadisme – pourquoi le tueur sans jambe n’aurait pas zigouillé le deuxième frère.
- Dans Cours particulier : l’étudiante fait au garçon « un lit de fortune au pied du sien ». Ainsi, il peut finir par lui révéler la présence de l’inconnu, ayant pu le voir de la place où il était.
- Et pour finir, la « baie vitrée » de la dernière histoire est quand même une particularité non dispensable, puisqu’elle permet à l’homme et l’inconnu du jardin de se voir en direct.
Imprévus :
Une fois la situation initiale et ses éventuelles particularités posées, nos protagonistes se retrouvent face à une situation hors de leurs habitudes, provoquée par un premier imprévu. Ce premier imprévu n’est évidemment pas une volonté des protagonistes. Il peut être simplement étonnant et/ou intriguant (Exemple : le petit garçon demande soudainement à l’étudiante de sortir manger en ville), ou mystérieux (Exemple : l’étrange voiture faisant des appels de phares), voire directement effrayant (Exemple : le clown dans la chambre). Il peut également prendre la forme d’une « proposition alléchante », se révélant être une sorte de piège (Exemple : la cabane que découvre le chasseur).
Dans tous les cas, ce premier imprévu amène toujours une « valeur inconnue » stimulant l’imagination du public, qui va automatiquement émettre des hypothèses plus ou moins morbides sur la suite des évènements, ou tenter de relativiser. Cette « valeur inconnue » va devenir de plus en plus effrayante à force d’être titillée : en effet, d’autres imprévus liés au premier vont avoir lieu, créant alors par accumulation une certaine pression sur le moral des protagonistes (et sur celui des lecteurs ou du public, puisqu’ils sont plongés dans l’histoire et empathiques envers les personnages). Cet effet d’accumulation se retrouve dans presque toutes les histoires précédentes, hormis Baby-sitting 1, par exemple, puisque la révélation survient assez vite.
Prises de décision :
Suite à l’évènement étrange ou l’imprévu, nos héros se retrouvent face à un choix. Les protagonistes prennent alors une décision, faisant avancer l’intrigue, pour fuir la situation ou comprendre ce qu’il se passe. Le choix qui s’offre à eux est toujours, en quelque sorte, pervers : dans tout les cas, l’option choisie est angoissante, frustrante, ou dangereuse (du point de vue du personnage, ou de celui du public qui sait qu’il va peut-être lui arriver malheur). La prise de décision peut venir du personnage principal, ou d’un secondaire (Exemple : c’est l’officier de police qui décide de tracer l’appel, dans Baby-sitting 2). La décision à prendre peut aussi aller de soi, et c’est souvent le cas, comme lorsque la petite fille va fermer un robinet, ou lorsque le père va voir sa fille qui pleure, etc.
Les personnages peuvent donc choisir d’agir pour régler le problème ou élucider le mystère (Exemples : la petite fille au chien se lève et va resserrer un robinet ; la femme suivie par une voiture change de direction pour voir si elle la suit). Ils peuvent aussi décider de ne rien faire, juste attendre, les sens à l’affût, et dans ce cas l’intrigue avance d’elle-même (Exemple : l’un des garçons dans les lits superposés entendant les bruits). Sinon, ils peuvent décider de retourner à la situation initiale (Exemple : le jeune homme demandant à sa petite amie de ne pas s’inquiéter, afin qu’ils en reviennent à leurs baisers langoureux). Plus spécifique : si les personnages sont face à une proposition alléchante, ils peuvent l’accepter, ou non (Exemple : le chasseur allant dans la cabane).
Parfois, une prise de décision ne semble pas faire avancer l’intrigue (comme pour le fait que la fille fasse lécher sa main au chien, dans la première histoire), mais prend sens une fois que la révélation a eu lieu (il s’agit dans ce cas, également, d’une « particularité » ou fusil de Tchekhov).
Fausses résolutions (facultatif) :
Après avoir pris une décision et avoir agit, ou non, les protagonistes peuvent pour un moment croire avoir résolu le problème, que le danger est écarté, puisqu’il n’y a plus – pour le moment – d’évènements inattendus. La tension au sein du public baisse à ce moment-là. Ce mécanisme n’est pas présent dans toutes les histoires, mais apparaît notamment dans La petite fille et son chien, à deux reprises, lorsque celle-ci retourne se coucher après avoir resserré les robinets. On l’observe également lorsque le jeune couple décampe du bois pour retourner chez la fille, lorsque le chasseur se couche, ou encore lorsque les bruits s’arrêtent, dans Tchac ! Tchac ! Tchiiiiic….
Chute :
C’est à chaque fois suite à un énième évènement inattendu que la révélation finale, ou la chute, a lieu. À ce moment-là, le mystère s’éclaircit, au moins partiellement. L’histoire doit s’arrêter là, pour être marquante et que la tension créée dans le public ne baisse pas ensuite. Il ne faut pas qu’il y ait de retour à la « normalité ». Typiquement, on ne va pas dire « Et là d’un coup, le tueur sortit de sous le lit et massacra la pauvre jeune fille ! Les parents rentrèrent et découvrirent avec horreur le… », Non. La révélation du danger, de la « valeur inconnue », suffit à effrayer. Ainsi, toutes ces histoires se terminent sur une note effrayante, ou au moins un sentiment d’insécurité (Exemples : … toutes les histoires.). Donc, en fin de compte, même si le mystère s’éclaircit, il nous reste une dernière « valeur inconnue » : « Que va-t-il se passer ensuite ? ». L’imagination du public continue de tourner, mais ceux-ci n’auront pas de réelle réponse, puisque l’histoire s’arrête là. C’est là le secret des vraies bonnes histoires horrifiques, selon moi.
Il peut aussi y avoir une ou des révélations intermédiaires dans certaines histoires, comme par exemple dans La petite fille et son chien, lorsque celle-ci découvre que le son étrange provient de son placard, juste avant la révélation finale.
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