Les glaces

Alors bien sûr, les nourritures n'ont pas toutes des origines charmantes ou bénéfiques, certaines naissent du froid et des ténèbres. En sont elles pour le moins...dangereuses ? Devrions nous arrêter d'en manger, d'en consommer ? La question se pose, mais je n'y répondrai pas, c'est à vous qu'appartient ce choix.

Je parle tout de même de glaces, après tout, c'est quand même très bon... Vous n'imaginez pas toutes les saveurs qu'elles ont pu avoir un jour.

Imaginez un village de montagne, recouvert de neige douce et brillante, des chalets de bois vieillis par le Soleil, solides et droits comme les sapins centenaires dont ils sont issus.

Imaginez le temps qui passe délicatement, dans le cœur chaud et généreux des habitants.

Imaginez deux amis, deux hommes forts et courageux, deux frères d'âme que rien ne pouvait séparer.

Voilà, le décor est planté ; la tragédie peut commencer.

Alors que les deux amis chassaient le lièvre des neiges, ils aperçurent une charmante jeune femme au sommet de la montagne. Elle avait de longs cheveux bleus, des vêtements de soie blancs, amples, volants avec la moindre brise. Elle tenait dans sa main une boule de neige qu'elle léchait à intervalle régulier.

Les deux hommes, intrigués, allèrent la voir et lui demandèrent ce qu'elle trouvait à cette boule de neige.

Elle leur répondit timidement que cette boule lui rappelait le souvenir d'un être cher. Elle leur proposa d'y goûter, et les deux amis acceptèrent.

La boule avait le goût de la neige, mais cela les fit rire : ils trouvaient que cette jeune femme était charmante et délicieuse. Et, jours après jours, à force de discuter avec elle, ils la désirèrent, tous les deux. Ils s'en rendirent compte, et cela les éloigna.

L'un d'eux voulu faire le premier pas, mais afin de déclarer sa flamme, il devait éloigner l'autre prétendant. Il lui tendit un piège, en lui disant que la demoiselle voulait lui parler de toute urgence au sommet de la montagne, seul à seul.

Il n'y vit que du feu et il partit en direction des hauteurs enneigées. Pendant ce temps, le traître demandait en mariage la jeune femme dans son chalet.

Elle accepta le sourire aux lèvres.

Cependant, une tempête éclata, et celui qui attendait dans la neige ne revint pas. Il disparut avec le vent. Son ancien ami tenta de le retrouver, mais il n'y parvint pas.

Les jours passèrent, la vie reprenait son cours. Mais alors que le traître profitait de sa nouvelle existence avec sa femme, il entendit quelqu'un hurler dans la nuit : « Je l'ai perdu. Perdue. Perdu ! »

C'était la voix de son ami.

Il se leva en sursaut, ouvrit la porte, appela dans les ténèbres, mais seul le vent lui répondit.

Il alla se recoucher, en demandant à sa femme si elle avait entendu quelque chose ?

Mais elle n'entendait que le vent.

Les supplications revinrent la nuit suivante, et la nuit d'après, toujours les mêmes paroles : « Je l'ai perdu. Perdue. Perdu ! »

Un soir, il n'y tint plus. Il demanda à sa femme de garder le chalet et il sortit.

Armé d'une lanterne, il marcha longtemps dans le froid, appelant son ami, criant plus fort que le vent, et il finit par voir des traces de pas dans la neige. Elles allaient en direction du sommet de la montagne.

Il les suivit et arriva finalement à voir une forme avancer d'un pas pesant, et cette forme répétait : « Je l'ai perdu. Perdue. Perdu... »

Le jeune homme sourit, soulagé d'avoir enfin retrouvé son ami, il posa sa main sur son épaule, mais celle ci était gelée. La forme se retourna, et ce que vit l'homme lui arracha un cri d'effroi.

Il s'agissait bien de son ami, mais celui ci n'était plus qu'un cadavre de glace, bleu et boursouflé. Des yeux sans vie le fixèrent et un large sourire déchira les lèvres et le visage du mort vivant.

« Retrouvé ! Je l'ai retrouvé... Maintenant il va payer...»

Et deux grosses mains froides se refermèrent sur la gorge du pauvre diable, étouffant ses supplications.

Le lendemain, la jeune femme se dirigea au sommet de la montagne, et alla à la rencontre de deux statues de glace : le vengeur entrain d'étrangler le traître, l'un jubilant, l'autre hurlant.

Les deux statues étaient silencieuses.

La jeune femme aux cheveux bleus les regarda, plongea ses deux mains dans le cœur de ses deux amants et en ressortit deux boules de glaces. Et alors que les deux statues s'effritèrent, rejoignant les neiges éternelles, elle goûta aux cœurs glacés, avant de disparaître dans la brise.

La Mousse