Ulysse
Compagnons, malgré la fureur des Dieux, nous sommes sains et saufs. Mais ces 9 jours à dériver dans la houle fiévreuse des mers de Poséidon doivent nous rappeler qu’il n’est pas prudent de les offenser. Remercions Zeus de sa grande clémence et à présent, partons explorer l’ile. Et cette fois, soyons plus aimables avec les habitants.
Ils croisent une habitante de l’ile. Celle-ci est souriante, très détendue et fume un narguilé électronique.
Ulysse
Bonjour autochtone.
Euryloque
N’ai crainte, nous ne sommes pas là pour te massacrer, piller ta demeure et te violer.
Ulysse
Était-il besoin de le préciser, Euryloque ? (A la Lotophage) Peux-tu nous dire sur quelle ile nous nous trouvons et si nous pouvons nous ravitailler en eau fraiche ?
Lotophage
Bonjour étrangers. Bienvenue sur l’ile des… (Elle s’arrête soudainement de parler et sort un papier de sa poche) attendez une seconde… (Elle lit) Bienvenue sur l’ile des Lotophages.
Elle lui tend sa vapoteuse.
Ulysse
Quelle est cette étrange fumée qui sort de ta bouche et de tes narines ? Es-tu un Dieu ou un dragon à forme humaine ? Et cette amphore étrange de laquelle tu tires ces vapeurs, est-ce de la magie ?
Lotophage
Ça ? Non, c’est un narguilé. Fume, c’est de la bonne. C’est à base de lotos.
Amphidamas
Vous fumez des jetons avec des numéros dessus ?
Lotophage
Le lotos est un fruit au goût de miel. On l’appelle aussi Lotas, Lotès, Lotis ou Lotus… comme tu veux, ça marche avec toutes les voyelles. Tu peux boire sa fleur en infusion avec du thé, la cuisiner pour en faire un gâteau, la manger toute crue ou la fumer directement comme cela. Essaye.
Euryloque essaye et aussitôt il commence à oublier qui il est. Après avoir fumer un peu du Lotus, il se met à sourire et à rire bêtement.
Politès
Que t’arrive-t-il Euryloque ? Pourquoi souris-tu benoitement de la sorte ?
Euryloque
Qui êtes-vous ?
Politès
C’est moi, Politès.
Euryloque
Pardon. Bonjour, qui êtes-vous, s’il vous plait ?
Ulysse
Tu ne nous reconnais pas ?
Euryloque
Je devrais ? Je ne sais même pas qui je suis.
Ulysse
Tu es Euryloque, le mari de ma sœur.
Euryloque
Je ne me souviens de rien. Elle est jolie, ta sœur ? (A la Lotophage) Dis donc, c’est génial ici. Je crois que je vais rester. Tu es jolie, toi aussi. Tu es mariée ?
Amphidamas
Ulysse. Je ne sais pas ce qu’est cette plante, mais elle est diabolique.
Lotophage
Diabolique la fleur de Lotus ? Au contraire. Avec elle, tu oublies tous tes soucis, tous tes problèmes. Tu as un problème ? Fume, tu n’en n’as plus. Plus besoin de se soucier de savoir qui on est, d’où l’on vient, où l’on va. Imagine à quel point cela est reposant. Tu ne sais qu’une chose c’est qu’ici tu es bien et que tu ne veux plus en partir. Moi, je suis là depuis… ? J’ai oublié. Mais c’est trop bien.
Euryloque
Quaich! Carrément cool sister.
Ulysse
Euryloque, arrête d’inhaler cette chose, tu commences à parler étrangement.
Il arrache le narguilé des mains d’Euryloque.
Euryloque
Qu’est-ce que tu fais ? (A la Lotophage) J’en veux encore !
Lotophage
Ne t’inquiète pas. Ce fruit pousse partout ici. Même si tu ne l’ingère pas, son effluve finit par s’insinuer en toi. C’est la fleur de l’oubli.
Amphidamas
On est là pourquoi au fait ?
Politès
Le visage de ma femme s’estompe. Est-ce que je suis marié ? (A Ulysse) Je sais qui tu es, mais ton nom m’échappe.
Ulysse
Vite, suivez-moi, retournons sans tarder sur notre embarcation. Bientôt nous ne pourrons plus repartir.
Amphidamas
Moi, si j’étais un homme, je serais capitaine d’un bateau, vert et blanc.
Ulysse attrape Euryloque dans les bras et l’entraine vers le bateau.
Euryloque
Lâche-moi, qui que tu sois ! Je veux rester ici avec ma copine dont j’ai oublié le nom ! Je suis bien ici.
Ulysse
Pèlitos, petite fesse, attrape Amphi… amphithéâtre, en filet de pêche, lui là et rejoignons notre… notre quoi ?
Politès
Par où ? Part là ? Il faut rejoindre le visage, le radeau accosté au virage…
Ulysse
Au rivage. Vite ! Nous ne saurons bientôt plus ce qu’est le langage. Nous ne saurons plus qui nous sommes !
Amphidamas
Je pense donc je suis. Mais qui, quoi, qu’est-ce ?
Politès attrape son ami sur ses épaules et tous les quatre se sauvent alors que la Lotophage leur tend une fleur.
Lotophage
Restez les amis. Vous serez bien ici. A quoi sert la mémoire ? A ce souvenir de nos pires maux ? Pourquoi se faire du mal ? Oublions le passé et ne vivons que dans le présent, un présent qui l’instant d’après devient un passé aussi vite oublié. C’est formidable ! Je ne sais même plus ce que je viens de dire, et pourquoi je vous dis tout ça, mais c’est formidable ! Restez ! (Un temps. Elle a oublié ce qu’elle vient de vivre) Qu’est-ce que je fais là, moi ? Ah oui ! (Un temps) Ah non.
Elle s’en va en rigolant et en fumant. Les hommes d’Ulysse arrivent sur la plage.
Les Lotopahes rendent bien en Junkie rasta' - c'est comme ça que je me les représente en tout cas dans ton adaptation. Avec un petit Bob Marley ou "We are the world" en fond -
"Moi, si j’étais un homme, je serais capitaine d’un bateau, vert et blanc." Très marrante celle-là aussi, et j'ai apprécié toutes les petites trouvailles blagueuses égrenées dans cette scène alors que la mémoire les abandonne.
Pauvre Ulysse au milieu de tout ça, mais qui garde sagesse et philosophie et s'échine à sauver la mise. J'ai beaucoup aimé "Nous ne saurons bientôt plus ce qu’est le langage.", qui amène une réflexion intéressante autour du délitement du langage en même temps que de la mémoire. Et classe, l'alexandrin, au passage !