Les migrateurs - Anne Sylvestre

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/GCbiKHCK6Xc

Je n’ai jamais connu un monde sans musique. Je pense qu’enceinte, les premières recherches de ma mère furent celles de trouver des chansons adaptées pour les enfants. Car dès le début de notre enfance, nous possédions tant de CD de tant d’artistes différents. Elle avait acheté des livres de naissance où elle consignait nos habitudes de bébé. À chacune des années, elle a noté les chansons que nous préférerions. J’ai pu ainsi remarquer des années plus tard que c’était la même artiste qui gagnait chaque fois la palme de la musique favorite de mon frère, ma sœur et moi. Anne Sylvestre est la chanteuse qui a fait de notre enfance ce qu’elle fut.

 

Dans les films de caméscope de mes parents, on entend toujours dans le fond au moins une chanson de ses Fabulettes. Je ne pense pas que nous les avions tous, mais je me souviens encore de la grande pile d’albums blancs, avec les dessins de Pef sur la couverture. Quand nous étions des bébés, ma mère nous faisait écouter surtout les chansons pour les plus petits, basés sur des mots simples comme « merci », « bonjour », ou « bonne nuit». Puis, quand nous avons appris à parler et que nous étions assez grands pour comprendre les chansons les plus difficiles, elle nous a fait découvrir les Fabulettes sur la lumière ou sur les oiseaux. Elle passait le CD sur un poste radio pour nous aider à dormir, qui allait tourner jusqu’à ce que nous fermions les yeux. Entre la musique et les babillages de trois jeunes enfants, le silence était quelque chose d’inconnu dans notre maison familiale.

 

Anne Sylvestre est très certainement la meilleure chanteuse pour les enfants de tous les temps, tout simplement parce qu’elle était une poétesse avant d’être une artiste pour les petits. Elle a écrit pour ses deux filles, lassée de ne voir adressé pour eux que des œuvres mièvres et ineptes de sens. Elle a donné à la musique jeunesse une instrumentation riche, des chansons magiques, avec des histoires captivantes. Elle a tant marqué mon enfance que je mettais sans le vouloir le visage de ma mère à la place du sien quand j’écoutais sa voix. Elle a eu une influence si puissante, qu’elle m’a permis de garder des bribes de souvenirs, d’une époque où je ne vivais pas dans les Cévennes, d’un temps où il n’y avait pas école.

 

La chanson préférée de ma sœur, de ses trois à dix ans, était « les migrateurs » et comme elle avait le plus fort caractère de nous trois, c’est cette chanson qui, par la suite, a coloré ma mémoire. Aujourd’hui, quand j’entends son introduction à la flûte, avec un son que je reconnais entre mille, je doute sur le hasard. Est-ce que ce n’est pas à cause d’elle que plusieurs années plus tard, je choisissais de jouer de la flûte traversière ?

 

De jour comme de nuit, la voix d’Anne Sylvestre accompagnait nos rires et nos larmes. C’était une époque qui m’est désormais floue, où mon cerveau remplace ce dont il ne se souvient plus avec de la lumière. Tout me semblait très blanc. Mon animal préféré était le canard, si bien que pour moi aussi, la chanson des migrateurs était incroyable. J’étais émerveillé par les oiseaux, j’adorais l’idée que mon sac canard que l’on m’avait offert pour ma rentrée prochaine à la maternelle puisse avoir une boussole dans le cœur. J’étais persuadé qu’en l’ayant sur moi je trouverais toujours le chemin de la maison grâce à lui. Mon frère partait à l’école et apprenait avec fierté à lire alors que je restais avec ma sœur jouer à la poupée et aux lego. Ma mère nous surveillait et parfois nous filmait, pensant déjà à la décennie suivante. Et quand mon père retrouva les cassettes filmées de ces petits instants de vie, ce fut « les migrateurs » qui se fit entendre en premier. Son calme et sa mélodie douce enveloppaient les jeux d’enfants, comme créant une bulle sur des souvenirs qui pouvait éclater et disparaître à tout moment de ma mémoire d’adulte.

 

Ma formation de musicien intervenant nous mit en garde sur le répertoire dit « classique » comme celui d’Anne Sylvestre. Il était nécessaire, pour les professeurs, de ne pas se reposer que sur elle et d’aller chercher dans ce qui se fait à l’heure actuelle dans la chanson pour enfant. On nous a donné beaucoup de références, beaucoup d’autres artistes, dont jamais je ne nierai le talent. Mais même si je sais qu’il est toujours intéressant de ne pas se déconnecter de la musique actuelle et de rester curieux, je serai incapable de l’appliquer à moi-même. Si un jour, j’ai des enfants, je voudrais qu’ils aient les mêmes bribes que moi. Qu’ils aient ces jours heureux, où le soleil semblait briller intensément, et où la musique les rassurait en une voix grave. J’aimerais que cela fasse partie d’eux comme cela fait partie de moi désormais. Ce serait très certainement parmi les plus belles choses que je pourrai leur offrir.

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