Ma fille ? ce vide.
Elle erre fantôme, fantomatique. Un drap blanc sur les fesses, quelques trous pour la tête : les morts respirent.
Ma fille est dans un trou, est dans une cave, est dans un sac, elle est partout. Mes bras ont la mémoire de sa forme, ils sont tordus depuis des mois. Ont gardé la position de l'étreinte, celle d'elle, prises dans mes doigts. J'avance, en avant le dos, le cou courbé, les bras lourds, gourds et tendus loin, mimant comme un gros ventre avec les mains. Enceinte, oui de forme, mais le ventre vide.
Maddëlys, ma fille – petite fille –, a disparu. Dans la nature, dans une voiture, dans un lac, dans un champ, dans une maison. Elle a déménagé sans nous demander, est partie sans nous dire je m'en vais. Elle a quatre ans, et si elle ne revient pas rapidement, j'oublierai peut-être un jour son âge exact.
Elle dans deux ans, elle dans dix ans, elle dans trente ans. On se croiserait dans un supermarché, une rue, on ne se reconnaîtrait plus. Ma gueule démolie par son néant, par son rien - le nulle-part de ma fille - je ne serais à ses yeux qu'une vieille parmi les vieilles. Qu'une triste parmi les tristes, qu'une mère démolie de plus. Elle, belle, passerait devant moi, je passerais devant elle. Nos chariots se toucheraient presque, leurs roues balbutiant sur le carrelage : attention.
Nous n'entendrions pas - nous n'entendons jamais ce que nous disent les roues des chariots. Nous irions droit, elle aux légumes, moi aux conserves.
J'arrêterais un jour de penser à elle. De penser la voir ici, là. Dans elle, dans elle. Dans toutes ces filles qui pourraient être la mienne. Aussi grandes, aussi femmes, aussi belles, mais là. Mais présentes. Mais vivantes.
Pour l'instant, je fais comme si elle était à la piscine, au cinéma. Je fais comme si elle était chez ses copines, chez son papa. J'attends qu'elle revienne, qu'elle me sourit, et qu'elle m'embrasse. Même qu'elle fasse la gueule, qu'elle chiale la peste, qu'elle claque les portes, qu'elle hurle qu'elle me déteste : qu'elle préférerait mourir que de manger son assiette. Mais qu'elle soit là, encore là : ma fille encore.
Encore un an. Encore deux et j'arrêterai.
Encore un an, encore deux, je vais attendre.
Attendre de l'oublier.
Oublier de l'attendre.