Les mots enfouis

 

                           Chapitre 4 
Enfin libéré de ma prison, je découvre que deux magnifiques juments noires, à la crinière ondulée, nous attendent sagement. Sur le dos de la première, il attache solidement nos affaires puis il me fait signe de m’approcher de l’autre.

Une certaine appréhension me saisie les entrailles. Car j’ai beau avoir grandi dans une ferme, je n’ai côtoyé ses animaux là que de loin. La faute à qui ? Mes parents bien sûr ! Ils prétextaient que c’était trop dangereux pour moi. Ce qui a eu pour effet d’alimenter ma peur aux fils des années.  

Leur frayeur constante qu’il m’arrive quoi que ce soit, était pour moi normal pour des parents, du moins jusqu’à récemment. Les dernières révélations à leur propos mettent bien en mal la confiance aveugle que j’avais en eux.

Soudainement, des mots prononcés par ma mère lors de l’arrivée des soldats, que mon esprit avait momentanément enfuie, remontent douloureusement à la surface. 

« Fais-moi confiance Esther, et surtout n’oublie jamais que je t’ai aimé sincèrement durant toutes ces années. » 

Les larmes me montent instantanément aux yeux.  Je revis le moment mentalement. Respirer devient un supplice. Tout mon être souhaite que ses mots soient la vérité. Comme je ne parviens pas à me maitriser, je cache mon visage entre mes mains.

Je sens la présence de Jacob à mes côtés, toutefois il se contente de me tendre un mouchoir. Il a la bonté d’âme de me laisser l’espace nécessaire en s’éloignant un peu. Je lui suis reconnaissante du temps qu’il me laisse pour que je puisse me ressaisir, ce malgré la situation. 

Quand je reviens vers lui, les yeux probablement bouffis, il fait mine d’arranger les sacs alors qu’il semble déjà parfaitement en place. Son comportement me tire un léger sourire complètement inattendu.  Cet homme n’est certes que maladresse, mais contre toute attente, il n’est pas entièrement dépourvu de compassion. 

-Approchez vous plus près, ne vous inquiétez pas, je vous aiderai si besoin.  Posez votre main ici et mettez votre pied gauche dans l’étrier, puis poussez avec votre jambe droite de toutes vos forces.

Je suie ses indications avec une concentration infaillible, ce qui me permet d’oublier mes peurs. Miraculeusement, j’ai atterri sur la selle indemne.  

-Félicitation Princesse, vous n’avez même pas eu besoin de mon aide.

L’intonation de sa voix me fait me sentir fière de moi, pour une fois. Puis la réalité me rattrape rapidement, dire que j’ai l’impression d’avoir soulevé des montagnes alors que je soupçonne que ce n’est rien par rapport aux évènements auxquels je vais devoir faire face à l’avenir.  Ce constat envoie valdinguer au loin mon semblant de fierté pour ma petite personne.

Je soupire longuement.

 -Accrochez-vous bien, Princesse, je vais monter derrière vous.

Perdu dans mes pensées, je n’ai pas complètement assimilé ses mots, du moins jusqu’à ce qu’un tremblement me saisisse. Je me rattrape de justesse. Le pire, c'est qu’il n’a pas l’air d’avoir remarqué. Comment est-ce possible de monter à cheval si indélicatement. Je sais, comme un ogre. Je me fais cette remarque avec moins de négativité que les premières fois.

-Tout est bon pour vous ? On peut y aller ?

Je secoue la tête de haut en bas.

Un claquement de langue plus tard, les juments se mettent en mouvement dans une parfaite synchronisation.  

Quant à moi, je m’inquiète de ne faire que gamberger. Mais en même temps que pourrai-je faire d’autre ? Je ne peux ni dormir sur ce cheval ni converser avec lui. 

*

-On va faire une petite pause. Attention, je descends en premier.

Ce n’est pas trop tôt, l’escapade à tout bonnement était un calvaire. Déjà toutes ces heures sur une selle m’ont provoqué des douleurs à des endroits insoupçonnés. En plus, je n’ai même pas eu le paysage pour me tenir compagnie, car nous sommes passés par les profondeurs de la forêt. Et le voir constamment aux aguets m’a donné l’impression d’être une fugitive en cavale.

J’avoue que la raison m’échappe totalement.

-Besoin d’aide Princesse ? (Je lui fais signe que non) C’était dur pour vous pas vrai ? Je suis désolé de devoir vous faire endurer cela, mais c’est qu’on doit être au palais le plus rapidement possible. Plus vite, vous serez auprès de votre frère, mieux ce sera pour vous Esther.

Tout en disant cela, il s’occupe des juments, ce qui est certes plus que nécessaire, toutefois je me demande si au passage, il n’en profite pas pour éviter mon regard.   

- Excusez-moi pour l’attente.  Avez-vous faim ? Si c’est le cas, je vous ai préparé un petit quelque chose.

Ma main étant trop lente, mon estomac répond avant en gargouillant bruyamment. Je me mordille la lèvre inférieure, un peu embarrassé.

Un bref amusement traverse ses yeux gris à la façon d’un brouillard.

-Je présume que ça veut dire oui. (Alors qu’il dispose une couverture par terre, je suis presque sûr d’apercevoir l’ombre d’un sourire sur sa figure anguleuse.)  Installez-vous Princesse, je vous apporte ça aussi vite que possible.

J’obtempère, la mine légèrement boudeuse.

-Tenez. (J’attrape l’en-cas avec nonchalance alors que je suis morte de faim, je ne sais même plus à quand remonte mon dernier repas.) Je vais aller me procurer de l’eau, les gourdes sont vides, mais vous pouvez rester ici, je n’en ai pas pour longtemps. Manger tranquillement pendant ce temps. 

Apparemment, il a décidé de me faire confiance et j’admets sans en être fière que je ne compte pas m’enfuir.  Ma honte face à ce choix vient du fait que cette décision est bien plus dirigée par la crainte et la lâcheté que par du courage.

Du tissu se retrouve en contact avec mes lèvres, c’est vrai les bandages, je ne peux plus me ronger les ongles et fort heureusement.  Avec le sentiment d’être pathétique, je laisse retomber ma main mollement. C’est vraiment la seule chose que j’ai eue envie de faire dans cette situation ?

De discrets bruits de pas provenant de derrière moi me parviennent. Mais je ne m’en inquiète pas plus que cela.

-Tu t’es perdu ma jolie ? Peut-être bien que nous, on peut t’aider.

Je me lève si vite que j’en ai le tournis.

Deux hommes similaires de petites tailles me lorgnent, un sourire carnassier déforme leurs figures étroites.

Je jette des regards affolés tout autour de moi en espérant voir Jacob.  Mais aucunes traces de lui. Je tremble comme une feuille.

-Tu as froid ma petite, viens là que je te réchauffe.

Mon sang se glace.

-Moi aussi, je veux la prendre dans mes bras la jolie rouquine.

Les deux hommes explosent d’un rire malsain. Je secoue la tête, plus pour moi-même que pour eux, non, je refuse, je dois agir !

Je me précipite vers les juments. Mais sentant probablement ma panique, elles s’agitent tant que je ne parviens pas à monter sur l’une d’elle. Pourquoi tout le monde m’abandonne ?

Alors que les deux hommes réduisent la distance entre nous, la seule chose qui me vient à l’esprit, c'est le prénom de Jacob que je voudrais pouvoir hurler de pleins poumons.

-On est bientôt tout à toi.

Mon mutisme est enfin parvenu à bout de moi. Mes jambes cèdent face à cette constatation.    

-Fermez vos yeux et bouchez vos oreilles. M’ordonne Jacob.

Pendant un moment, je me demande si mes yeux ne me jouent pas des tours tant je suis désespéré.

-Faites donc ce que je vous demande Esther !

Son exclamation a pour résultat de me faire sursauter.

-S’il vous plaît. C’est pour votre bien.

Les deux hommes commencent à s’éloigner à pas de loup. L’inégalité de l’attaque face à moi, était jouissive, mais face à un homme à la carrure d’ogre, c’est tout de suite plus terrifiant.

-Messieurs, vous partez déjà ? Je ne me suis même pas encore présenté à vous.

Son timbre de voix est à la fois posé et terriblement menaçant.

 Instinctivement, je me plie aux ordres de Jacob.  Cependant, malgré cela, des hurlements étouffés me parviennent, suivie de deux craquements d’os abominables, qui me provoque des frissons dans tout le corps.  Puis le silence s’impose de nouveau, mais je n’ose pas rouvrir mes yeux ni retirer mes mains de mes oreilles. Les pulsations rapides au niveau de mes poignets font écho aux battements de mon cœur. 

- Esther, regardez-moi, vous ne craignez plus rien.

Je l’entends, mais je refuse d’obéir cette fois-ci. Je secoue énergiquement la tête de droite à gauche, à m’en faire mal à la nuque.  Rien qu’imaginer voir ce qu’il est advenue de ses deux hommes met insupportable. Je ne suis pas taillé pour ça. Et je crois bien pour tout ce qu’on attend de ma personne au palais.

Il se relève en émettant un reniflement qui le caractérise bien. 

-J’ai éloigné les corps pour que vous ne soyez pas dérangée par ce spectacle inadapté à votre statut. Je m’excuse, je n’aurais pas dû vous laisser toute seule. (Il se racle la gorge). Je fais honte à ma profession.  Dit-il avec dureté.

Je me décide à sortir de ma bulle, car je trouve injuste de le laisser parler de lui ainsi.  Je recherche à capter son regard, mais il fixe l’horizon.

Alors que j’entreprends de sortir mon nécessaire à écrire, il stoppe mon geste en saisissant mon avant-bras.  Comme il me regarde enfin, mes yeux se font compatissants. Il semble étonné que j’affiche cette expression.

-Ne vous donnez pas cette peine Princesse. Nous devons écourter notre pause dès maintenant. (Il s’humecte les lèvres d’un air mal à l’aise) Mais c’est gentil à vous.  Dit-il en me tapotant très brièvement la tête, comme on le ferait avec une enfant.

L’incrédulité et la gêne s’emparent de moi.

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