L’exécution mentale

                            Chapitre 3 

 

Jacob entre dans la pièce en donnant un coup de pied dans la porte, car il tient une énorme baignoire en bois, à bout de bras.  Sans un mot, il prépare tout le nécessaire de manière rapide et efficace. Heureusement que les sauts d’eau chaude semblent légers pour lui. Toutefois, cela ne m’empêche pas d’être un peu gêné par cette situation, mais je pressens que je vais devoir m’y faire.  

-Votre bain est prêt. J’ai posé la tenue de rechange juste à côté. Faites-moi signe quand vous aurez terminé et je viendrai vous mettre de nouveaux bandages.

Involontairement, je dois avoir fait une drôle de tête, car il s’empresse d’ajouter :

-Si vous m’y autorisez bien sûr.

J’opine du menton. 

-Bien je vais vous laisser tranquille un petit moment. Je m’excuse de ne pas pouvoir faire davantage. Dit-il en inclinant légèrement la tête en avant.

Qu’est-ce qu’il lui prend ? J’ai beau être moins terrorisé en sa présence, je n’en reste pas moins sur mes gardes. 

Devant mon regard suspicieux, il pose sur la pile de vêtement propre une clé qui était dans l’une de ses poches. En suivant le mouvement des yeux, je me rends compte qu’il ne porte plus les deux poignards au niveau de la ceinture. Je n’avais pas fait attention à ce détail-là. 

-Pour que vous puissiez verrouiller la porte. Je pense que vous aurez l’esprit plus tranquille.

Sans autre cérémonie, il quitte la pièce. Essaie-t-il de me montrer qu’il me fait confiance, en espérant avoir la même chose en retour de ma part ?

Perplexe, j'insère la clé dans la serrure, cependant je réfléchis quelques secondes avant de la tourner. Je décide finalement de m’exécuter, il devra patienter encore pour obtenir ma confiance. En admettant que cela soit possible.

Je m’enfonce dans l’eau chaude avec délice. Mes muscles se détendent un à un. Ce qui a pour effet de réduire ma migraine. Malheureusement, quel que soit le temps que j’y reste, cela ne suffira pas à apaiser mon cœur blessé. Alors, avant que mon bain ne refroidisse, j’utilise la savonnette à la lavande. C’est probablement idiot, mais je me demande si le choix de la senteur est un hasard ou pas. Sûrement, je ne pense pas qu’il soit un homme très attentionné.

Je m’extirpe de l’eau, maintenant tiède, avec regret.  Une fois habillée, je récupère bien évidemment tout mon nécessaire à écrire. Je m’autorise un dernier coup d’œil rêveur à la fenêtre avant d’affronter la dure réalité.

Des coups peu délicats font exploser la bulle dans laquelle je m’étais réfugié.

-Esther, tout va bien ?

  Quelle patience dites-moi. Je n’ai pas l’impression d’avoir tardé tant que cela, et puis j’estime qu’il me le devait bien.

Il frappe de nouveau, cette fois-ci avec légèrement plus d’ardeur.  Je tourne la clé à contre-cœur. 

Il affiche une mine soulagée.

-Je peux ? Dit-il en pointant du doigt mes blessures.

Je réponds par un hochement de tête positif, non sans une petite appréhension. 

Mon estomac se contracte à chacun de ses contacts. Je m’interroge sur la raison de ce symptôme.

-Voilà, j'ai fini de vous embêter. (Il fouille dans un sac en toile) Essayez ses chaussures pour voir.

C’est la première fois de ma vie, que je vois de si jolies chaussures. Rose pâle avec des fleurs de cerisiers brodés dessus. Alors que j’entreprends de les saisir, je suspends mon geste, car bizarrement, je ne me sens pas légitime à les recevoir.

Jacob arque un sourcil face à ma réaction.  Puis silencieusement, comme toujours, il m’enfile les chaussures lui-même.

-Eh bien la pointure m’a l’air parfaite. Vous vous sentez bien dedans ? Demande-t-il avec nonchalance.

Gêné, je fais quelques pas de démonstration.  L’idée saugrenue de lui offrir un petit sourire me traverse l’esprit, mais heureusement qu’au dernier moment, je me ravise, frappé par un éclair de lucidité. 

- J’allais oublier (Il fouille de nouveau dans le sac, j’avoue que je jette un coup d’œil curieux) je vous ai acheté une brosse à cheveux aussi. Dit-il d’un ton désinvolte.

Au vu de son attitude, on pourrait croire qu’il a honte de ses attentions envers moi. Si c’est le cas, pourquoi fait-il tout cela ? Décidément cet homme est entouré de mystère.

Alors que je fronçais les sourcils, l’objet qu’il m’offre me faits arrondir les yeux.  C’est tout aussi splendide que le présent précédent.  Au dos de la brosse, des motifs printaniers sont gravés dans le bois clair puis peint minutieusement.

Il affiche un sourire presque imperceptible devant ma réaction. Qu’il efface immédiatement au moment où il remarque que je l’ai pris en flagrant délie.  

Quelque chose que je ne peux nommer flotte dans l’atmosphère.  Histoire de faire comme si de rien n’était, je décide d’inaugurer mon second cadeau.

Sans grande surprise, mes longs cheveux roux et bouclés me donnent du fil à retordre.  Comme si dompter ma tignasse n’était pas assez compliqué, je peine à tenir le manche de la brosse, car la chair grignotée à l’extrémité de mes doigts me picote fortement.  Mais pour cela, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.

-Si vous le souhaitez, je peux vous apporter mon aide, j’ai deux petites sœurs, Vania et Anastasia, donc c’est dans mes cordes.

La stupéfaction que me provoque sa déclaration, m’empêche sur le coup de protester, ce qui fait que pendant ce laps de temps, il me prend la brosse des mains. 

-M’autorisez-vous à vous faire une tresse après le brossage ? J’ai appris grâce à mes petites sœurs qui adoraient que je les coiffe. J’espère ne pas avoir perdu la main, car cela fait maintenant bons nombres d’années que je ne les ai pas revues. Disons que c’est l’inconvénient du métier. Achève-t-il sur un filet de voix. 

L’idiote que je suis n’ose pas l’en empêcher tout ça parce qu’il s’est ouvert. Je serre les poings de contrariété.

Visiblement, il a bien pris mon silence pour un oui.  Je soupire résigné.

En revanche, n’étant pas très conciliante avec ma propre chevelure, j’aurai mis ma main au feu qu’il allait faire de même au bout d’un moment. Toutefois, non.  Ses gestes sont terriblement doucereux.  L’ai-je si mal jugé ?

Penser cela me rappelle mes parents, enfin puis-je encore les appeler ainsi ? Je porte la main à ma poitrine et sens mon cœur palpiter douloureusement sous mes doigts.

-J’ai quasiment terminé Princesse, il ne me reste plus qu’à attacher le ruban à l’extrémité de la tresse.

Je le remercie d'un mouvement de tête timide.  C’est là qu’il croise ses bras contre son torse, puis se plie clairement en deux jusqu’à ce que nos visages soient au même niveau. Il est si près que son nez touche presque le mien.  

Je suis complètement déconcerté.  Qu’est-ce qu’il lui prend ? La panique s’infiltre dans les pores de ma peau à une cadence incontrôlable. Le fait de mettre faite avoir m’effleure l’esprit quelques instants.

- Même en sachant que vous étiez sa sœur jumelle, je ne mettais pas préparé à une telle ressemblance. C’est encore plus flagrant maintenant que votre visage est dégagé.          Vous êtes vraiment son portrait craché.

Il dodeline la tête avec une moue impressionnée. Je respire de nouveau à peu près normalement. C’était donc tout ?

Soudainement, je réalise, je ne suis donc pas simplement la sœur du prince héritier, mais également sa jumelle. Cette révélation alimente davantage les questions que je me posais déjà sur les véritables attentions de la famille royale à mon sujet.

-Prête pour le grand départ Princesse ? 

Pas vraiment, mais ai-je le choix ? Je ne le pense guère.

 Mes derniers espoirs pour que cette situation soit un affreux malentendu, bien qu’ils fussent maigres, se sont envolés pour de bon.

Mon envie à le suivre s’apparente à l’envie que je pourrai ressentir si on m’emmenait au buché. Tel est mon ressenti.  

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez