Lorsque je regarde le marbre, j'ai l'impression de voir des courants, des flots, qui emportent des étoiles dans les océans. Les marins, la nuit, naviguent entre deux mondes, entre la Lune et l'abysse, suspendus entre ciel et mer, voguant comme dans un rêve. Et c'est l'histoire d'un rêve dont je vais vous parler.
Le rêve d'un certain Matthew.
Matthew était marin. Il parcourait les eaux comme un troubadour parcourt les terres. Avec son équipage il se rendait partout où le vent les emmenait, leur cale remplit d'épices et de trésors, moitiés marchands, moitiés pirates. Matthew connaissait les étoiles, et servait de guide pour le capitaine lorsqu'ils se perdaient dans la nuit.
Hors, lors d'une nuit, Matthew fit un rêve bien étrange, alors qu'ils dérivaient, perdus, sous la lumière de la Lune. Il se trouvait dans un champ où le blé poussait à profusion, balayé par le vent. Il était seul, et devant lui brûlait un buisson, d'un feu couleur terre, avec des cristaux rouges et noirs qui pétillaient dans les flammes. Matthew fut attiré par ce feu si particulier, il marcha au travers et apparu dans un labyrinthe, dont les murs étaient faits de buissons qui montaient haut dans le ciel, et qui était garnis d'épines. Cela lui rappela son enfance, dans les champs, mais les buissons frémissaient, ils poussaient et se tordaient, comme des serpents. De l'un d'eux sortit une figure humaine recouverte de ronce, elle portait une épée, et elle attaqua Matthew. Ce dernier dégaina son sabre et abattu la monstruosité en lui coupant la tête. Il s'en échappa sept abeilles, une de chaque couleur de l'arc en ciel, alors la chose s'écroula, et un passage dans le mur de ronce apparu. Matthew rangea son sabre et continua sa route.
Sur le chemin il croisa le capitaine qui se battait contre d'autres soldats de lianes et d'épines, alors Matthew l'aida dans son combat. Une fois les créatures abattues le capitaine et Matthew reprirent leur route, guidés par le matelot qui se repérait grâce aux étoiles qui brillaient au dessus de leur tête.
Matthew s'inquiétait pour son capitaine car il était blessé à l'abdomen et saignait abondamment, mais lorsque le marin le fit remarquer à son capitaine, ce dernier rétorqua : « Concentrez-vous sur les étoiles Matthew. Mon sang coule mais les étoiles ne vont nulle part ; seul le firmament a son importance, car seules les constellations peuvent nous guider sur ces flots où a coulé le sang des marins, des marchants et des pirates, comme vous et moi. Il est étrange toutes fois, la Lune est bien rouge ce soir. On dirait que Mars nous accompagne dans ce méandre d'épines et d'épées. »
Après un temps qui paru à la fois infini et très court pour Matthew, ils arrivèrent au centre du labyrinthe. Il s'agissait d'une place circulaire où se battaient bon nombre de guerriers à épines, des guerriers de toutes les époques, de tous les pays : des samouraïs, des vikings, des templiers et bien d'autres. Ils se tuaient et riaient, ils se frappaient et se relevaient, comme s'il s'agissait d'enfants qui jouaient à la guerre. Et au centre de ce champ de bataille se trouvait un buisson ardent, arborant de petites baies noires : des mûres.
Le capitaine posa sa main sur l'épaule de Matthew et lui sourit, puis il fonça dans la mêlée, pour se frayer un chemin vers les fruits, pour lui et Matthew, et ce dernier le rejoignit. Ils tentaient surtout d'atteindre le buisson ardent, ils esquivaient le plus de combat possible mais on les poursuivait, jusqu'à ce que le capitaine pousse à terre Matthew, pour prendre le coup d'épée qui lui était destiné.
« Par devant mon ami ! » lui cria le capitaine, avec le sourire, un épée plantée dans le dos. « Je reste ici, mais toi tu dois partir, le reste de l'équipage compte sur toi. Mon sang coule, mais les étoiles ne vont nulle part. »
Abandonnant son capitaine, ainsi que quelques larmes, Matthew se jeta dans le buisson ardent et mangea la première mûre qui fut à sa portée, l'avalant à même la branche.
Et il se réveilla, avec le goût du fruit dans la bouche, oubliant peu à peu son rêve. Le capitaine, lui, ne se réveilla pas. On s'aperçut avec horreur qu'il était mort dans son sommeil, avec quelques mûres dans sa main droite. Il eut droit à une célébration digne de son rang, et Matthew, le seul connaissant suffisamment le firmament pour mener l'équipage à bon port, devint le nouveau capitaine du vaisseau.
Il les guida durant de nombreuses années à travers les étoiles. Mais lorsqu'il dormait la nuit, il construisait un rêve, comme lorsque l'on construit un royaume. Il parcourait les landes de son enfance et de son avenir. Il créait des joyaux et des animaux juste en les imaginant, consciemment. Il parlait de projets et de philosophie avec d'autres qui, comme lui, avaient bravé le labyrinthe et avaient pu goûté aux fruits du buisson ardent.
Il chercha toute sa vie son capitaine et ami, qui s'était sacrifié pour que lui et l'équipage vivent ; mais il ne le trouva jamais, ce dernier étant déjà parti pour un lieu que Matthew n'a jamais pu imaginer.
La Mousse