« Parler de liberté n’a de sens
qu’à condition que ce soit la liberté
de dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas entendre. »
George Orwell
« La meilleure information est celle
qui vous raconte ce que vous savez déjà. »
Winston Smith - 1984.
Montéhus se tient face à la baie vitrée, gigantesque, d’une cinquantaine de mètres de long, trois mètres de haut. Il observe la Terre, solitaire. Le soleil se couche sur l’Amérique. L’Europe dort. L’empire chino-russe s’éveille. Il est perdu dans ses pensées. Mais Montéhus n’est jamais perdu dans ses pensées. Il y navigue, il erre d’idée en idée, d’objectifs en stratégies. Non, il n’est jamais perdu dans l’antre de ses pensées, en retraite du monde, claustration volontaire et salvatrice. Il semble étonnamment petit dans cette pièce immense. Il semble étonnamment petit alors qu’il est le maitre du monde.
« Bonjour et bienvenue pour notre journal télévisé mondial.
Notre programme d’aujourd’hui les derniers bons plans pour de super vacances.
Pour les citoyens méritants qui participent activement à la Guerre Économique,
nous ferons un tour du monde des conflits armés et nous vous donnerons l’évolution des dernières côtes.
Nous ferons ensuite le tour des potins et des derniers scandales et nous finirons par un appel à témoin.
Et comme tous les soirs, Amis de la délation, préparez vos dénonciations ! »
Un écran géant incrusté dans le mur sur la droite de Montéhus s’est allumé. L’écran est plus grand que Montéhus. La pièce est un cube constitué de trois gigantesques murs de bétons, sinistres, sans décors, sombre. La quatrième paroi est la baie vitrée par laquelle Montéhus observe la Terre et les étoiles environnantes, compte les levés et les couchés de soleil sur son monde. Au centre de la pièce, trône une table basse, entourée de trois fauteuils à mémoire de forme. Le seul meuble est une bibliothèque vitrée, placée au centre du mur gauche de la pièce. La seule lumière provient du reflet de la Lune sur la Terre. Elle projette l’ombre de Montéhus tout le long de la pièce.
Alors que Montéhus se repaît du spectacle de la Terre conquise, sombrant dans l’hombre, comme dans un abîme, une marionnette de bois, un triste clown numérisé style vieux bois, bien usé, débite les nouvelles à la population sur le canal général. Montéhus écoute ces informations du fond de sa tour d’ivoire.
« Petite annonce : une nouvelle résidence satellitaire va être inaugurée à trente six kilomètres au-dessus de Paris.
Offrez-vous votre résidence avec télescope hyperpuissant et participez à la guerre économique,
trente pourcent de votre achat sera reversé à la Compagnie au titre de l’Effort de Guerre. »
Montéhus, porte son regard sur l’Europe qui lui fait face. Il aperçoit un nuage lumineux au dessus de la France. La distance rend les détails invisibles, mais il devine la petite galaxie de résidences orbitales conçue pour créer un nouveau marché.
« Des nouveautés, il faut toujours vous trouver des nouveautés pour que vous ne vous ennuyez jamais. Vous êtes prêts à payer pour ce confinement rassurant, au dessus de Paris, ville-magasin, capitale des supermarchés du Luxe, attraction centrale de l’Europe que j’ai transformée pour être le plus grand centre touristique de la planète. »
Et le clown sinistre continue : « Offrez-vous des vacances bien méritée en Égypte,
dans un parc entièrement naturel avec de véritables reproductions des pyramides ou
un séjour sur l’un des satellites de plaisance de la Compagnie. Assurez-vous auprès
de votre manager que vous pouvez disposer de vos crédits d’heures auxquels
vous pourrez ajouter vos Crédits Bonus Performance au carré. »
Montéhus ressent un sentiment de déprime en observant cette population dont le seul objectif est l’oisiveté. Il refoule ce moment de faiblesse sans difficulté.
« Toute cette énergie, cette main d’œuvre perdue pour le grand combat de la Guerre Économique. Heureusement, je suis parvenu à transformer cette paresse en bénéfice. »
Doucement il sort de sa déréliction et se rappelle que cette partie de son industrie n’est pas la plus lucrative.
« Mes medpsys m’ont convaincu que cette « détente » est nécessaire pour le bien être des employés, ces êtres faibles. A l’avenir je vais devoir engager des travaux pour trouver la solution à ce problème de l’oisiveté et le besoin de repos des humains. Faute de mieux je vais continuer à exciter vos convoitises et à répondre à vos envies, à vos désirs, à vos faiblesses. Ah cette faiblesse ! Transformée en besoin, celui de la consommation. Payer c’est exister ! Finalement ce n’est pas si mal ! C’est encré maintenant dans vos esprits. Merci aux nouveaux programmes scolaires ! »
Et le clown angoissant continue son laïus :
« Le service funéraire de la Compagnie vous rappelle que vous pouvez vous
offrir un enterrement digne des dieux, un voyage en capsule qui se terminera au
cœur de notre soleil. Seule condition, léguez vos points bonus à la Compagnie.
Vous ne les emporterez pas au Paradis ! »
« Et la boucle est bouclée, pensa Montéhus, toujours immobile, observant la planète avec un sourire furtif. J’ai réussi en peu de temps à ramener l’âge moyen de la mortalité à cinquante ans. Un niveau raisonnable en termes d’efficacité économique. Quelle avancée ! Quelles économies ! Économie sur les retraites, économie sur les médicaments, la recherche, les soins, les hôpitaux, vous n’en n’avez plus besoin, vous mourez trop tôt. Économie sur les formations, seuls comptent les métiers utiles à la Guerre Économique. Mourir tôt est une chance si vous avez dépensé tous vos crédits. Mourir tôt n’est pas un drame si vous avez produit vos enfants. Très tôt ils vous sont retirés et placés pour aller apprendre un métier utile, de l’autre coté de la planète. La jeune génération ignore la génération précédente et quand cette dernière disparait, personne ne s’inquiète. Personne ne réagit ! J’ai détruit les liens familiaux et sociaux, ils ne rapportaient rien. Grâce à ces ajustements et un contrôle des naissances, je suis parvenu à annihiler la notion de famille, de parents, de grands-parents et avec eux ont disparu les notions de transmission, de mémoire collective et d’histoire. En deux génération, je suis capable de changer la mentalité de la population d’une région ou de la planète. »
Mais la mort, ce n’est pas pour lui. Autrefois, Google avait promis de créer le premier être immortel. Alors Montéhus a acheté Google. Non, la mort ce n’est pas pour lui.
« L’Inde a annoncé avoir apporté la paix entre les descendants de la Palestine et
ceux d’Israël en annonçant avoir découvert la preuve que le Dieu Juif et le Dieu arabe avait la même mère.
Dieu ! Pourquoi ne pas y avoir pensé avant ! »
Montéhus a fait de l’inde le leader économique de la planète. Il y a quelques dizaines d’années, ce pays a patiemment attendu que toutes les sociétés occidentales soient pieds et poing liés en délocalisant leur savoir faire en développement informatique dans ce pays, alors émergeant. L’inde a ensuite avoué ses motivations expansionnistes. Elle a envahi le Pakistan puis la zone sud de l’Asie, créant une crise internationale. Elle a pris en otage tous les moteurs d’intelligence artificielle hébergés sur les serveurs indiens.
« Autrefois la chine s’était offerte comme l’atelier du monde, j’ai fait de l’inde le cerveau. Elle est devenue le maitre du monde visible, la plus grande économie mondiale avec un taux de chômage de 0%. Tout le monde à un job, du plus merdique au moins merdique. »
De sa prison dans les étoiles, Montéhus a déjà prévu la phase suivante. Le statut quo n’est pas acceptable et l’expansion est limitée sur un si petit terrain de jeu. Alors il faut transformer, casser et reconstruire. Il a déjà mis en place les futures crises, les futurs cycles.
« Le centre d’Intelligence Collective de Bangkok annonce la création de nombreux centres de bulles
en Chino-Russie. Bon salaire garanti et promesse d’évolution sont au rendez-vous !
Si vous êtes intéressé, contacter le manager de votre zone d’habitation ! »
L’économie de la chine s’est ensuite effondrée à la suite d’une révolution bien menée.
« Les Chinois ont commis l’erreur de ne jamais faire la guerre. Une bonne économie, expansionniste ne peut être renforcée que par la guerre et la conquête. Ça coute très cher la guerre et ça rapporte aussi beaucoup. »
La Chine a alors été rachetée par la Russie. A eux deux ils forment le vieux bastion communiste, le plus inégalitaire de la planète, avec la population la plus pauvre. Aux yeux du monde cet empire s’est refermé sur lui-même et semble impénétrable. Isolement volontaire, mis en place par Montéhus et sa Compagnie pour y cacher quelques secrets. Mais il est temps de réouvrir les opportunités de ce nouvel espace, maintenant libre de toute loi.
« Les Méga-Etats-Unis annoncent l’ouverture de leurs frontières à toute personnes cherchant du travail.
Les dates d’ouverture des passerelles vous seront annoncées prochainement, sur votre réseau préféré. »
Cette année, les États-Unis et l’Amérique du Sud ont fusionné créant ainsi une migration des états du sud vers les états du nord.
« Depuis longtemps les Américains ont été les seuls à associer la politique et la le business. Cette claire-voyance à permis autrefois de poser les bases de la Guerre Économique. Quel grand pays ! Pour fournir du travail a tout le monde, nous avons autorisé le travail sans salaire, nouvelle forme d’esclavage, a condition que les employeurs subviennent aux besoins des leurs employés. »
Montéhus a une petite pensée pour un de ses mentors :
« Théorème de Trump : La richesse de la minorité dominante est exponentiellement proportionnelle au carré du volume de la population vivant sous le seuil de pauvreté.
L’inégalité est le poumon de la Guerre Économique ! L’entretenir c’est assurer l’avenir de la Compagnie. »
« Un nouveau conflit vient d’éclater entre L’Australie et la Nouvelle-Zélande. Une nouvelle application a
été créée afin de vous permettre de parier sur les résultats du conflit : gagnant, nombre de morts, nombre de blessés,
jours de victoires de chaque pays. Dépêchez-vous, ce conflit ne devrait pas durer
plus de 3 semaines. Nouveauté, avec l’abonnements Premium, vous pourrez décider de payer des armes aux
soldats de votre choix et ainsi influer sur les résultats du conflit … et des paris.
Amusez-vous bien ! »
« Nous avons créé des réseaux sociaux, un par communauté, un par parti politique, genrés, orientés. Ils me permettent de maintenir les populations asservies. La foi a remplacé l’intelligence. Les croyances ont colmaté votre ignorance. J’entretiens les fantasmes et je joue avec, pour maintenir une ligne d’équilibre là où j’en ai besoin, à la limite de votre avidité. »
« Ce matin, nous avons appris que le Président des Etats-Unis à été inculpé,
jugé et incarcéré pour fraude. Il détournait de des crédit pour on propre compte,
visant à réduire l’effort de son pays à la guerre économique. Il purgera sa peine
dans son pénitencier personnel. Un mandataire privé assurera la direction du
pays pendant son absence. »
« Il n’y a plus besoin de gouvernement, sauf pour laisser croire, laisser croire à la démocratie et à la liberté et au vote, qui n’est plus nécessaire puisqu’il suffit de quelques messages orientés sur vos réseaux pour construire votre opinion collective. Les gouvernements et leurs politiciens se sont longtemps plantés, pensant que la souffrance et la peur étaient les outils idéals pour tenir les populations en laisse. Mais ces stratégies ont souvent mené à des révolutions, des vraies, celle qui naissent sans contrôle, dans le chaos. La peur n’est pas bonne économiste. Les populations se méfient, se terrent ! Alors que l’envie et le besoin sont des outils bien plus efficaces.
Seul le pouvoir intéresse les politiciens, alors je leur vends. La richesse c’est le vrai pouvoir. Notre Dieu collectif, c’est l’argent. J’ai affirmé mon pouvoir en créant le besoin et non la souffrance. La souffrance comme outil de manipulation est un concept bien expliqué par un ancien écrivain (1984). Mais la souffrance opprime, rend méfiant, alors que le besoin, l’envie rend docile. »
Montéhus esquisse un léger sourire.
« Ah ces politiciens, se dit-il, toujours à en vouloir plus. Je suis obligé de les recadrer régulièrement. Ils sont à la recherche de toujours plus pouvoir et franchissent les limites. Ils n’ont toujours pas compris que c’est l’argent le vrai pouvoir ! L’argent. Ils sont tous élus, mais Dieu merci, je les ai tous sous contrat. »
Il tique en pensant à cette expression « Dieu merci ». Il ne croit pas en Dieu, il a tué Dieu, il ne rapportait pas assez.
Le clown, riant continue d’égrener ses nouvelles avec un ton riant, presque moqueur.
« La Japon à nouveau frappé par une épidémie. La Compagnie et ses états membres ont à
nouveau offert leur aide que le gouvernement indépendant japonais a refusé,
arguant qu’ils trouveront le vaccin peur eux même.
Nous leur souhaitons un prompt rétablissement ! »
« L’écosse et le japon sont restés neutres, isolés. Comment font-ils pour résister, à une vie sans progrès, asservis par des traditions qui n’ont plus aucun sens ! »
Montéhus et la Compagnie n’ont jamais réussi à asservir quelques états insulaires comme le Japon et L’écosse. Ces populations ont bien essayé de s’intégrer, mais rapidement les « traditions » ont repris le dessus.
« Je ne comprendrai jamais ces insulaires ! Personnes de les comprends ! les Japonais préfèrent vivre sous le joug des anciennes triades et respecter des lois tribales et sévères. L’argent les intéresse moins que l’honneur. Les écossais eux vivent sans loi, « libres » disent-ils !
Et puis il y a les bas fonds, un peu partout, toute une vie et une économie qui se cachent. Mois je dirige une fourmilière, eux ils sont les cafards, hors radars, increvables !»
« La dernière œuvre d’art encore connue « La Muse Endormie » est toujours activement recherchée
par l’Organisation Mondiale D’Alignement Artistique pour destruction.
Quiconque fournira des informations permettant de la retrouver sera récompensée
de Crédits Bonus Performance, qui vous permettrons de vous offrir la folie de votre choix. »
« Qu’ils cherchent, pensa Montéhus, qu’ils cherchent. »
Il a créé ce service pour seul objectif de rechercher toutes les œuvres d’art et de les détruire. Autrefois, il fallait que les populations puissent exprimer leurs angoisses, leurs réflexions, avec la littérature, la musique, la danse, la peinture et tous les autres arts. Les arts permettaient de canaliser ces névroses collectives.
« Aujourd’hui, il n’y a plus besoin d’art. Vous êtes auto-asservis aux besoins de la Guerre Économique, au système. Je vous ai trouvé une place pour chacun, les originaux, les inventifs, les rebelles, les leaders, les forts, les faibles, les mécontents. Chacun a une place sauf l’art et personne ne s’en ai aperçu ! »
Montéhus, jette un coup d’œil vers le seul meuble de la pièce. Une petite bibliothèque vitrée dans laquelle est posée une tête en or : « La Muse Endormie » de Brancusi. Cette œuvre est un symbole et Montéhus n’a pu se résoudre à la détruire. Un visage lisse, sans œil, sans oreille, sans expression, à part celle de la soumission. Elle lui rappelle sa réussite et notre inconscience.
Et le clown, tout de bois numérisé, termine dans un rire aigre
« Merci à tous pour votre attention et votre participation à la Guerre Économique.
Les nouvelles du chaos vous ont été proposées par la Compagnie.
A demain ! »