Ils étaient trois, debout dans un angle mort de la pièce, à le dévisager. Au début, la faible lueur ne permit pas à Dean de les voir clairement. Puis sa vision s'habitua à la pénombre et il les observa.
Tous trois étaient revêtus d'une combinaison moulante en tissu d'aspect grossier, qui les enveloppait entièrement. L'un des deux hommes était très grand et musclé, avec un regard perçant, et respirait l'autorité. Ses cheveux bruns lui retombaient sur les épaules. Il tenait une arme inconnue de Dean, mais qui n'était pas pointée sur lui. L'autre homme, plus mince et aux cheveux blonds coupés en brosse, jouait nerveusement avec une balle qu'il tripotait dans sa main.
La femme qui le regardait avec un sourire amusé portait admirablement son uniforme moulant. Ses longs cheveux noirs étaient ramassés en une natte épaisse, terminée par un noeud vert de couleur assortie à ses yeux. Il émanait d'elle un mélange de souplesse et de vivacité.
"Quelle impression çà fait de revenir parmi les vivants?" fit celui qui semblait être le chef.
- Ou est-ce qu'on est ? répondit Dean
- La question est plutôt en quelle année, pas vrai ?" répliqua l'homme.
Bien sûr. Quand Dean avait décidé de recourir à la plongée dans le Teravers, c'était pour un voyage supposé sans retour...
"Oui, alors ? Il n'avait aucune idée du nombre d'années écoulées depuis son immersion.
- 2177. En quelle année on vous a mis dans le caisson ? L'homme avait l'air intrigué.
- En 2173, il y a 4 ans. Quelque chose n'a pas marché on dirait, fit Dean qui réalisait que son projet avait échoué.
- T'inquiètes, mon gars, fit le chef. On va s'occuper de toi. C'est clair que tu ne peux plus retourner à ta vie d'avant, poursuivit-il en regardant le costume de chat angora revêtu par Dean.
- Au fait, tu peux m'appeler Amos. Voici mon adjoint Swann et elle c'est Zélie."
Swan émit un vague signe de la tête et continua à triturer sa balle. Zélie fit un "Bonjour" d'une voix cristalline et sensuelle, en s'amusant du trouble qui apparaissait malgré lui sur le visage de Dean.
"Tu as de la chance qu'on ait repéré ton signal et qu'on n'était pas loin" fit Amos. Bon, il faut y aller maintenant."
Quand ils sortirent de l'entrepôt, Dean aperçut un drone stationné à quelques mètres. Un drone de transport à quatre places, qui semblait avoir connu des jours meilleurs. Un modèle solaire à pales, qu'on ne voyait plus depuis longtemps. Mais Amos en semblait très fier.
"On n'est pas des sauvages, même si on nous appelle les parias", dit-il pendant que l'engin prenait son envol puis se stabilisait à une vingtaine de mètres du sol.
A un moment, ils furent enveloppés d'un nuage de poussières rouges qui provenait du sol, à quelques dizaines de mètres en dessous d'eux.
"Le broyage des roches volcaniques," fit laconiquement Zélie.
Dean n'en demanda pas plus. Il ne connaissait rien de l'univers des parias, et devrait s'attendre à des surprises.
Quand le drone se posa, ils étaient au milieu d'un ensemble de maisons aux couleurs rouges, parfois jaunes ou blanches, ne dépassant pas trois étages. Rien à voir avec les tours argentées de 100 ou 200 étages de Thètys - son ancien lieu de résidence - qui brillaient au soleil.
Les rues du village étaient pavées de pierres de couleur presque noire, taillées irrégulièrement.
"Bienvenue au faubourg 17. On va d'abord commencer par t'installer." Amos jouait le parfait accompagnateur.
Sur le chemin, un groupe d'enfants piaillait en poursuivant un animal ressemblant à un gros rat rayé. Ils s'arrêtèrent en voyant Dean dans son déguisement de chat, et repartirent en riant. Dean devrait vite se mettre à la mode des faubourgs. Le Similar n'était pas d'actualité ici.
Amos conduisit Dean vers un bâtiment jaunâtre, alors que Swann et Zélie prenaient un chemin oblique vers une autre destination.
Devant la maison à étages attendait une femme vêtue d'une tunique bleue et verte au tissu brodé. Elle lui montra son appartement: une pièce avec une douche et une cuisine, meublées simplement et décorées d'objets hétéroclites en bois ou en pierre. Un écran mural lumineux diffusant des informations en relief détonnait du reste; le mélange d'archaïsme et de technologie était surprenant.
Après s'être changé, Dean sortit et se dirigea vers un magasin, muni d'une bourse remplie de pièces de monnaie remise par la femme. Elle lui avait précisé que cette avance devrait être remboursée quand il aurait touché sa paye future. Ses immersions dans les années 80 l'avaient heureusement habitué à ce type de société où il fallait tout acheter soi-même en utilisant de l'argent.
Après s'être acheté des légumes et des plats préparés à base de poisson, il visita le bourg, qui ne devait pas compter plus de 1000 habitants.
Les quelques personnes présentes dans les rues marchaient, mais certaines se déplaçaient sur des planches étroites à propulsion magnétique; toujours ce mélange de traditionnel et de modernité.
Il aperçut un artisan qui fabriquait des meubles à la main, avec des outils rudimentaires. Dans une allée, un groupe d'hommes et de femmes s'affairait à mouler des briques de construction à base de poudre rouge, la même matière volcanique que celle qu'ils avaient traversé, pensa-t-il.
Avec une société si peu industrialisée, il se demanda comment ils se procuraient les objets technos qu'il avait vus. Il faudrait qu'il se renseigne.
Mais il en avait assez fait pour aujourd'hui. Il rentra dans son appartement et s'affala sur le lit, qui grinça sous son poids et s'effondra. Trop fatigué pour voir çà, songea-t-il. Demain est un autre jour.