Les pirates de l'A.I.R

Alors que tout semblait tranquille dans l’espace – souvent il se passe rien, mais des fois il se passe des trucs – trois mystérieux points luminescents apparurent à l’horizon. Ces points s’approchèrent, devinrent des étraves, des mâts des canons. Pour sa plus grande horreur, le personnel du transporteur reconnut les navires pirates de l’archipel galactique Ahod-Ïabud-Rataq (A.I.R), jusque-là tenus éloignés par les radiations socio-fiscales de Pantagus.

Ces pirates micro-entrepreneurs et influenceurs étaient véritablement redoutables et redoutés dans tout l’univers. Ils se nourrissaient principalement du sang des enfants en décrochage scolaire.

Les distances se resserraient de plus en plus entre les trois frégates et le transporteur. Un astéroïde flottait, bien visible, à mi-chemin. L’un des trois vaisseaux fonça droit dessus. La chose n’est pas surprenante si l’on considère que les pirates de l’A.I.R pilotent l’œil constamment rivé sur leurs réseaux. Pris de panique, l'équipage du navire endommagé jeta les chameaux par-dessus bord pour se délester, chameaux qui étonnamment respirent très bien dans le vide intersidéral – braves bêtes.

Platitov était monté sur le pont. Le capitaine du transporteur avait bien intimé l’ordre aux passagers de se barricader dans les salles de secours, mais Platitov désirait hâter sa mort. Les vaisseaux pirates furent suffisamment proches pour lancer des projectiles. La première bombe atterrit aux pieds de Platitov. Sur celle-ci il était marqué à la peinture blanche « veux-tu agrandir ton pénis de dix centimètres ? » Tenté, Platitov allongea sa main. Fort heureusement pour notre héros, un autre passager tout aussi imprudent toucha la bombe avant lui. « Non !!! » hurla le capitaine du transporteur. La bombe explosa, dégageant un épais nuage devant les yeux de la victime. Ce nuage écrivait les mots suivants « il est impossible d’agrandir son pénis. » Le passager se liquéfia. « La pompe norvégienne n’est-elle donc qu’une légende ? » Une seconde bombe explosa inopinément, formant une autre fumée « Oui ». Désespéré, il se jeta au-dessus du bastingage (que l’on se rassure, il fut recueilli par une colonie de chameaux, qui sont dans l’ensemble – je dis bien dans l’ensemble, des divergences s’observent – assez neutres sur ce que devrait être la juste taille du pénis humain).

Cependant, les explosifs pleuvaient sur le transporteur. Les plus meurtriers étaient les bombes à captation algorithmatique. Il suffisait d’une victime pour que le vaisseau se retrouve infesté de pirates. A quelques encablures, les pirates de l’A.I.R, en tongs et maillot de bain, souriaient de toutes leurs soixante-quatre dents. Une bombe à captation, pour une fois très bien lancée, fit une cloche au-dessus du vide pour se fixer sur la dunette juste devant Platitov. Elle frétilla, émit quelques Bipbips colorés, avant de propulser un hologramme tapageur : « coaching mâle alpha, comment pécho plein de meufs et qu’elles soient folles de toi sans débourser un centime ». Artem ne put résister, il se laissa éblouir.

Aussitôt, les pirates déferlèrent. Par chance pour le personnel du transporteur, ils abordèrent en chorégraphie (sur un reggaeton portoricain) ce qui leur laissait le temps de réfléchir à une défense. Le capitaine du transporteur se concerta avec le personnel : « il y a plusieurs moyens de les ralentir. La première est de couper la musique en coupant le wifi.

- Et notre partie de bilboquet en ligne…s’exclama un mousse.

- Je sais camarade, je sais, la vie en haute-mer exige des sacrifices...

- Etes-vous sûr capitaine…

- Camarade, répondit le capitaine la voix tremblotante et les yeux bordés de larmes, c’est un ordre. »

Le wifi coupé, la musique s’arrêta. Stupéfaction parmi les pirates. « PUTAIN, le wifi M'an ! 

- Antonio, pourquoi tu blâmes ta mère ? interrogea le capitaine des pirates, tu ne vois que ce sont ces maudits soviétiques les responsables ?

- Pardon Capitaine Lucien, simple réflexe.

- Remettez-nous le wifi, que nous puissions terminer notre chorégraphie d’abordage…et après on traitera votre cas comme il faut. »

Les pirates rièrent méchamment. « Antonio, une couille te sort du slip…intervint le capitaine Lucien.

- Ah oui…

- Remets-moi ça. Heureusement que j’ai l’œil ! Il y a de quoi foutre en l’air notre partenariat avec Okaïdi avec des conneries pareilles…Tiens, j’y pense, ajouta le capitaine Lucien, Pirate Djihadiste, si tu crois que je ne t’ai pas vu dans le fond. Ta danse était minable ! aucun entrain. »

Il se tourna vers un pirate barbu et enturbanné, beaucoup moins souriant que ses confrères. « Je sais bien que TikTok est pour tout le monde, mais bon quand on s’est décidé sur une chorégraphie avec les copains, on l’exécute un point c’est tout. Donc maintenant, t’as intérêt à bouger ton petit cul comme tout pirate digne de ce nom. » 

Un petit groupe de pirate descendit dans les cales du transporteur. Ils constatèrent que la boite wifi avait été sabotée. Ils appelèrent le centre de maintenance de l’opérateur. Une dame à l’accent africain répondit. « Bonjour, je suis Sylvianne, centre Orange mobile, en quoi puis-je vous aider ?

- Bonjour, nous sommes les pirates de l’A.I.R, nous avons un problème avec la boîte wifi.

- D’accord. Donnez-moi votre adresse dans un premier temps.

- Euh…ça va être difficile. On est dans l’espace là…

- À Annemasse ? Pas de bol.

- Non, dans l’ES-PA-CE.

- Je ne vous entends pas très bien monsieur. Vous pouvez vous déplacer ?

- Laissez tomber, on vous rappellera. »

Faute d’une prompte réparation de la boîte, ils résolurent d’activer leur propre clef 36G avant de se repositionner sur le pont. L’ambiance parmi les danseurs, de détendue et collaborative virait à l’exécrable. Pour couronner le tout, la musique se coupait par intermittence. Les pirates vinrent à bout de la chorégraphie en sueur et profondément insatisfaits d’eux-mêmes. « Putain Antonio ! s’exclama le capitaine Lucien.

- Quoi encore ?

- T’as pas oublié de filmer j’espère ??

- Nous ne sommes pas en train de commettre un abordage ?

- Un abordage sans abonnés ? t’as perdu la raison ? un abordage sans abonnés, c’est comme chier sans Doodle jump, ça sert à rien.

- Capitaine, vous allez être déréférencé avec tous vos vilains mots…

- Je m’en fous ! Des mois qu’on la bosse cette trend ! des mois… »

Le capitaine Lucien se tenait les ailes du nez, abattu. « Bon, attaquons, finit-il pas se résoudre, on aura qu’à faire un live. »

Pendant tout ce temps, l’équipage du transporteur avait eu le temps de s’armer. Platitov s’était vu remettre un pistolet dans les mains, dont à vrai dire, il ne savait que faire. La bataille s’engagea. Elle tourna à l’avantage des pantagusiens. Le principal atout des pirates était leur puissance de frappe médiatique ; mais lancer une campagne de haine, mobiliser sa communauté, donner dans la culture du clash, cela avait beau être rapide, ça l’était toujours moins qu’une balle de blaster. Ce fut la débandade pour les cors’A.I.R. Platitov quant à lui, revenant de ses envies de suicide, s’était enfui dans les étages du vaisseau. Un pirate l’avait suivi. Platitov se retourna. Il était acculé, toutes les portes avaient été verrouillées par le système de sécurité du transporteur. Artem n’avait d’autre choix que d’affronter l’homme en face de lui : manque de chance, c’était le Pirate masculiniste, une montagne de muscles bronzés et épilés. Bien qu’impressionnant avec ses lunettes de soleil, son cigare, et ses tatouages, il semblait ne pas en mener plus large que Platitov. Artem et le pirate s’observèrent en chiens de faïence pendant quelques secondes avant que le pirate ne brise la glace. « Avant que nous commencions, hasarda-t-il, ça te dirait de m’acheter des compléments alimentaires ?

- Attendez…vous essayez de me vendre quelque chose là ?

- Oui, les pilules Vélokiropractors ®.

- En plein combat ?

- Un vrai businessman saisit chaque occasion de faire du business.

- Rien compris. »

Platitov et le Pirate masculiniste venaient de deux mondes très différents. Ils avaient beaucoup de mal à s’entendre. Le pirate enchaîna, d’une voix qu’il forçait dans les graves : « avant de m’affronter, es-tu sûr d’en être bien capable ?

- Ma foi…

- A quelle heure as-tu commencé ta journée ce matin ?

- A 8 heures.

- Pauvre merde, c’est à 5h30 que les vrais hommes se lèvent.

- …

- Décris-moi ta morning routine ?

- Ma cousine Josine ? euh…elle est plutôt moche.

- Ta routine du matin ducon ! Moi je commence par une série de deux cents pompes, puis je passe mes appels pros.

- A 5h30, c’est les mineurs de Koursk que vous appelez ? plaisanta Platitov, affolé de son culot.

- Tais-toi, espèce de merde communiste…Que disais-je ? Oui, vers 7 heures, je prends mon jus de carotte détox.

- Ah vous aussi ?? On mange que des carottes sur Pantagus en ce moment.

- Sans morning routine, sans efforts, impossible d’acheter sa liberté financière… on reste l’esclave dépourvu d’amour-propre d’une société décadente.

- Ah oui, c’est tout moi ça !

- Eh oui mon petit bonhomme, pour que les meufs te regardent, il faut faire de l’argent…parce que dis-moi, parmi tous les hommes qui leur tournent autour, aux meufs, pourquoi elles te choisiraient toi ? » Platitov songea tout à coup à Sacha. « Les femmes, reprit le pirate, elles n’ont pas changé depuis la préhistoire, elles choisissent toujours l’homme avec la plus grosse caverne.

- Vous pensez que Sacha aime les grosses cavernes ?

- Aucun doute là-dessus. Plus t’as d’argent, plus t’as de meufs. Tu tournes à combien de K par mois ?

- Environ toute la reconnaissance du régime.

- Moi, je suis à 60K. Et je ne compte pas les revenus de mes trois sociétés de crypto, qui me rapportent 35KK par an.

- Il n’y a pas un K de trop non ?

- (Mais comment a-t-il deviné ?) Oui, enfin 34 KK si on arrondit.

- …

- J’oublie les revenus de mon site de coaching, de mes pilules, mes parts dans mon restaurant de burgers, dans le leasing automobile, le trafic de chèvres pour l’Aïd etc.

- Vous avez une copine ?

- J’ai DES copines.

- Je vois bien que je n’ai pas votre science Monsieur le pirate, mais je suis à peu près sûr qu’on ne crée pas de vrais sentiments avec de l’argent.

- L’argent n’est qu’une unité de mesure. L’argent accumulé génère de l’attachement accumulé. C’est cul et fédés. Et qu’est-ce que l’Amour sinon une forme élevée d’attachement ?

- Oui enfin, imaginez que vous mourriez aujourd’hui, combien de copine pleureront sur votre tombe ?

- Vous saviez pour mon cancer ?

- Non.

- Alors pourquoi vous me demandez ça ?

- Simple coïncidence.

- …

- Tout va bien ?

- Mince…je suis plus touché que je ne le pensais.

- Vous vous voulez vous asseoir pour qu’on en parle.

- Non merci ça ira.

- Vous êtes sûr ?

- Oui merci encore, c’est très gentil de votre part. Quelle était votre question déjà ?

- Je disais : imaginez que vous mourriez aujourd’hui, combien de copines pleureront sur votre tombe ?

- Ça peut posséder de l’argent un mort ?

- Mmh…pas vraiment je regrette…c’est là qu’est tout le sel de ma question.

- La solution la plus raisonnable…songea le pirate, la solution la plus raisonnable serait de concevoir un testament qui oblige ces salopes à venir me pleurer en échange de 1000$ par mois, ou une connerie du genre. »

Sur l’instant, Platitov, empli de pitié, eut envie de faire un gros câlin au pirate masculiniste. Il fallait cependant se battre. Les deux hommes, après un dernier regard d’amitié, se mirent en position. « Allez, frappe si t’es un mec ! cria le pirate, les vrais hommes, ça se bat. » Platitov envoya un crochet. Du sang coula du nez du pirate. « Putain pas mal ! Vas-y, libère le tigre qui est en toi ! 

- Attendez, vous êtes en train de me coacher là ?

- Ça se peut.

- Vous êtes sûr de vous ?

- Le coaching, c’est ma vie, je ne peux pas m’en empêcher.

- Vous ne devriez pas essayer de me tuer plutôt ?

- Je t'ai dit de frapper ou d’éplucher les moules gamin ? »

Un second coup au menton fit tomber le pirate à la renverse.  « Finalement, pensa Platitov, le dialogue fut plus éprouvant que la lutte. » Il traîna le pirate inconscient sur le pont, où les autres membres de l’équipage de l’A.I.R avaient été ligotés. Platitov fut fêté par les passagers du transporteur interstellaire. Mais comme vous vous en doutez, notre ami Artem n’avait pas le cœur à la fête. Par ailleurs, en tant que peintre mandaté par le Comité suprême de la Confédération des planètes socialistes, il se devait de ne tirer aucune gloire personnelle de son exploit.

Le transporteur s’approchait de Mirifax. On distinguait déjà, au milieu des mers d’azur, Pangée, l’unique et fertile continent de la planète promise. Mirifax la mirifique !

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Coyote
Posté le 06/02/2024
"Ils se nourrissaient principalement du sang des enfants en décrochage scolaire."
J'ai pas les mots x)

Bon sang, y a fallu que je lise plusieurs fois "pirates de l'AIR" pour capter la référence... Toi aussi t'es un parent traumatisé ? x)

Okay, le partenariat avec okaïdi, tu es définitivement un père trauma !

(je note en même temps que je lis, pas de bile, Bill)

Bon sang, je viens de finir. Comme d'hab, j'ai trouvé ça Mirifique ! C'est tellement lunaire !

Tu envisages de le faire publier lorsque tu auras terminé ?
robruelle
Posté le 03/02/2024
Ho ! Qu'il est drôle ce chapitre !
"Ces pirates micro-entrepreneurs et influenceurs étaient véritablement redoutables et redoutés dans tout l’univers. Ils se nourrissaient principalement du sang des enfants en décrochage scolaire." -> à mourrir de rire, j'en ris encore

"Tu tournes à combien de K par mois ?" -> là encore, super drôle

Je remarque que les pirates sont du genre à dire LE wifi et non LA wifi. Finalement, je les ai peut être mal jugés

"Les plus meurtriers étaient les bombes à captation algorithmatique. " -> vous vous êtes surpassé

D'une façon générale, j'ai bien rigolé, merci beaucoup. L'incompréhension entre le pirate influenceur et le représentant des paradis socialistes est amusant aussi

PS : Ahod-Ïabud-Rataq , rien que ce nom est drôle. C'est vrai que y en a beaucoup, là bas.
Vous lisez