Au bout de vingt-trois appels, Sacha finit par décrocher. Son visage apparut dans le rectangle bleuté du téléphone. Elle eut droit, par écran interposé à la face larmoyante de Platitov. « Tu n’es pas encore arrivé sur Mirifax ?
- Non pas encore.
- Tu arrives bientôt ?
- Sacha, comment te récupérer ?
- Il ne s’agit pas de me récupérer Artem. Notre histoire est terminée.
- Je ne peux vraiment rien faire…
- Non.
- J’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?
- Non, rien n’est de ta faute.
- Alors pourquoi tu me quittes ?
- Enfin si…c’est sans doute un peu de ta faute.
- Sacha, je peux te confier quelque chose ?
- Vas-y.
- Un sage disait : « l’amour est un chemin semé d’embûches, mais la force de l’amour se mesure au nombre des embûches que l’on parvient à surmonter. »
- …
- Tu en penses quoi ?
- Que tu devrais laisser les bûches tranquilles.
- Il disait aussi : « peu importe les obstacles que l’on rencontre dans la vie, ce qui compte c’est d’apprendre à les maîtriser ensemble. »
- …
- « Plus grand est l’amour, plus profonde est la peine ».
- Et plus grande est la peine, plus profond est l’amour ?
- « L’amour est une fleur qui se fane, mais qui parfois se transforme en fruit… »
- En pastèque par exemple ? Tu vois Artem, c’est ça le problème, tu parles par lieux communs.
- C’est-à-dire ?
- Eh bien, tout ce que tu me racontes-là, je le trouve en deux clics sur n’importe quelle page de développement personnel. Tu me cites le petit livre rouge de la relation amoureuse.
- Je ne comprends pas.
- L’on n’attend pas d’un amoureux qu’il vous récite des platitudes, mais au contraire qu’il enchante un peu le quotidien.
- J’enchante mon maximum.
- C’est bien là le problème mon Artem. »
Artem et Sacha se fixèrent un instant sans rien dire. Sacha se tenait disposée à l’écouter stoïquement, pendant des heures s’il le fallait. Il n’y a qu’avec une placidité sibérique que l’on vient à bout de la protestation amoureuse. Comme toute force, elle s’épuise. « Tu te souviens, reprit Sacha, du jour où tu as participé au concours de caricature de l’odieux koulak crypto-trotskiste profiteur de guerre et que tu as remporté le premier prix ?
- Quelle gloire !
- Eh bien non, Artem…Et le jour où tu as dénoncé le petit Youri, qui vendait des disques de Kpop sous le manteau, et qui n’a pas pu entrer à l’université.
- J’ai démasqué un traître au régime.
- Sans doute pas. Et quand on t’a demandé en deuxième année de fac de gonfler les pectoraux de tous les ministres du Comité suprême sur les peintures officielles.
- Mon œuvre la plus aboutie.
- Tu t’es couvert de ridicule.
- Je ne te suis pas Sacha…
- Non tu ne me suis pas Artem… »
Après un silence, elle ajouta : « la pire chose qu’il puisse t’arriver dans la vie, c’est de réfléchir – je ne dis pas ça méchamment, crois-moi – de réfléchir à ton existence, à ta situation, à notre monde, à son injustice, à sa cruauté…Il vaut mieux pour toi que tu ne te poses pas de questions, et alors, je te garantis que tu seras parfaitement heureux.
- Je ne serai jamais heureux sans toi.
- Tu dis ça aujourd’hui, mais la Légion d’honneur c’est mieux que l’amour. »
Artem sentait que la conversation touchait à sa fin. Et qu’advenait-il alors ? Rien ! la vie sans Sacha, c’est-à-dire le néant, l’apocalypse, le désespoir. Elle voulait de l’enchantement ? Il avait cinq secondes pour devenir poète. « Attends Sacha ! qu’est-ce qu’il me disait déjà le colonel Tchecheiev…ah oui ! la terre est bleue comme une orange… » Le visage de Sacha s’éclaira.
- Oui…
- La terre est bleue comme une orange…
- Oui…oui Artem, soupira Sacha en approchant son visage de l’écran, et quelle est la suite ?
- Comme une orange…
- Encore un effort…
- Comme une orange
- S’il te plaît…
- Comme une orange bleue j’imagine.
- Ok.
- Oui, comme une orange bleue, sinon ça n’a pas de sens.
- Artem, je dois retourner au travail.
- Mais où donc voulait en venir Eluardovovov ?
- Artem je te laisse maintenant, bon courage pour ta mission.
- Attends Sacha !
- Oui ?
- Une fois que je serai rentré de ma mission, nous allons nous revoir ?
- Je ne sais pas Artem…
- Sacha, par pitié…
- Je n’ai pas envie de te donner de faux espoirs. Considère que non.
- …
- Nous nous reverrons le jour où la terre sera bleue comme une orange. Adieu camarade peintre. »
Sacha quitta la conversation. Artem se retrouvait seul, frigorifié, à bord de cette coquille dérisoire qui le menait jusqu’à Mirifax. Il n’avait plus, mais alors plus du tout, envie d’accomplir la mission pour le Comité suprême. Les responsabilités étaient lourdes, son cœur plus encore…Autant dire que l’avenir du régime, il s’en fichait comme d’une guigne.
J'ai vraiment hâte de découvrir la suite de cette histoire ! Est-ce que tu comptes sortir une nouvelle partie bientôt ?
J'en parlais dans un commentaire, avec un autre membre de Plume d'argent, Robruelle, qui évoquait "le guide du voyageur intergalactique". Je ne sais pas si tu connais, c'est de la science-fiction humoristique, écrite par un anglais, c'est vraiment très très très drôle, je te le conseille si tu aimes le genre!
J'ai écrit d'autres trucs sur Plume d'argent, mais dans l'absolu, je ne t'en conseille pas la lecture, le genre est assez différent!
Oui, je vais continuer ! (mais à -très- petit rythme)
Merci encore !!!
promis, zéro pression... Mais du coup, c'est pour quand la suite ? :D
A plus!