Le soir, alors que la préparation du repas battait son plein, Lyz se rendit dans la tente de cuisine. Elle se faufila comme à son habitude entre les travailleurs aux joues rosies par la chaleur du brasier, glissa sous quelques plans de travail et ne manqua pas de s’emparer d’une ou deux carottes au passage. La table qui l’intéressait se trouvait tout au fond de la tente, cette table sur laquelle deux commis étaient chargés d’agrandir ce qui avait été pris par la passoire.
Ce n’étaient pas les mêmes que la dernière fois. Tapie derrière une casserole immense qui ne semblait pas trouver d’utilité, elle ouvrit grand ses yeux et oublia le monde.
Le travail des commis semblait répétitif, mais minutieux. Les objets qu’ils devaient agrandir se trouvaient en vrac dans une petite boîte en fer blanc. Après en avoir pioché un au hasard, ils l’accrochaient à un système de pinces, de ficelles et de manivelles qu’ils actionnaient avec beaucoup de précautions. Le défi était de savoir quand arrêter d’agrandir pour que l’objet ne se déchire pas. Elle vit ainsi plusieurs fois se fendre des formes mystérieuses et alambiquées : des cercles de métal entourés d’une matière noire élastique, des quantités incroyables de fines couches de matériau mou et transparent, une plaque de bois grande comme une personne et percée d’un unique trou dans lequel il lui semblait possible d’insérer un petit objet. Dès que le jeu de mécanismes révélait un morceau de papier, son cœur battait à la chamade.
Une fois la boîte vide, la tâche des commis consistait à faire le tri entre ce qui aurait son utilité et ce qu’ils laisseraient derrière eux, soumis au bon vouloir des vents. Elle les observa longuement mettre de côté les aliments et les objets de toutes sortes : tissus, cuillères, tubes de colle et de peinture, tout ce dont le Peuple pourrait se servir dans l’immédiat. A côté se formait un second tas, celui qui contenait les éléments soumis à l’examen du Capitaine pour en déterminer l’utilité cachée, et dont les plus minuscules rejoindraient certainement les étals du vendeur de petites choses. Enfin, dans un grand bac, les commis avaient placé ce qui ne présentait pas d’intérêt. Cette boîte plus que toute autre intéressait Lyz, car c’est dans celle-ci qu’avaient été jetés les morceaux de papier déchirés ou trop sales pour être réutilisés. Lorsque les commis partirent en emportant le résultat de leur travail, Lyz s’empara fébrilement des feuillets et courut les lire un à un contre la paroi de la tente.
Son butin inspecté sous toutes ses formes, elle se leva, déçue. Il n’y avait rien ici qui puisse l’intéresser.
———
Au centre du camp brillait un immense feu qui, bientôt, serait le seul point de lumière sous les étoiles. Pour le moment, tous s’affairaient à préparer la nuit. Lyz s’assit, seule. Elle avait passé plusieurs jours à chercher, et cette histoire l’agaçait. Ce morceau de papier, cette énigme lui résistaient, et elle ne pouvait pas faire comme si elle ne les avait pas vus. Lorsqu’une question entre quelque part, il n’est plus possible de la faire sortir avant d’y avoir trouvé une réponse.
Lyz réalisa qu’elle pleurait en silence. Elle n’avait pas demandé qu’un morceau de papier vienne s’immiscer dans sa vie. Elle préférait quand elle ne se posait pas de question, qu’elle pouvait simplement entrer dans une tente pour y voler deux framboises, sortir, et continuer d’imaginer comment pourrait bien être la vie en bas. Et elle espérait, elle rêvait de se réveiller demain pour constater que le papier avait disparu.
À côté d'elle, le Peuple s’installait autour du feu. Le repas n’allait pas tarder à arriver et chacun commençait à se disputer avec son voisin au sujet de la teneur du dîner.
Soudain, de la tente de cuisine émergea une immense forme à la face rougie par le brasier. Entre ses mains gigantesques trônait une marmite, la plus incroyable des marmites, dont s’échappait un fumet qui commençait à se répandre dans les narines des affamés.
— Mesdames et messieurs, mes commis et moi-même vous avons préparé la plus grande et non moins délicieuse des soupes ! Asseyez-vous donc, mettez vos tracas de côté un instant et réunissons-nous autour de nos bols !
Sur ces mots, les commis sortirent de la tente en portant à bouts de bras des piles de vaisselle vacillantes que le Cuisinier commençait déjà de remplir à grands coups de louche. Et tandis que tout le monde se régalait, il souriait du haut de son immense stature, les yeux rivés sur les visages des enfants. Tous pouvaient voir combien il était heureux.
Lorsque tout le monde eut repris de la soupe, et lorsque ceux qui ne se souciaient pas d’avoir faim pour manger en eurent repris encore, chacun s’allongea pour regarder les étoiles, réchauffé par le feu. Doucement quelqu’un se mit à chanter, puis quelqu’un d’autre, et d’autres les rejoignirent, et ainsi jusqu’à ce que ce que le Peuple entier s’accorde autour d’une mélodie, calmement, comme pour ne pas déranger le silence :
Mangeons au pluriel,
Mangeons coton.
Les rivières de miel forment les lacs de pardon.
Mangeons en douceur,
Mais mangeons, mangeons,
Et oublions nos cœurs s’ils souhaitent vivre moribonds.
Oublions la peur, oublions la fuite,
Troquons le labeur contre la bonne chère frite.
Puis nous irons demain,
Ô ! nous irons plus tard,
Là tenons-nous la main puis serrons-nous, il se fait soir.
Adossée à sa voisine, Lyz sentait ses yeux se fermer. Elle jetait par moment des regards au Cuisinier, qui s’était endormi en souriant, assit contre sa louche. La jeune fille n’avait pas oublié sa déception, sa peine ni la tâche qui l’attendait. Mais elle avait mangé la meilleure des soupes, chanté avec tous, et la nuit était tombée. Ce soir elle dormirait sous les étoiles, réchauffée par les braises.
Comment être triste ?
———
Deux jours plus tard, peu après le retour de l’Exploratrice, le Cartographe se retira de la foule comme il en avait l’habitude lorsqu’il devait s’entretenir avec le Capitaine. Il revint un instant après, rassembla autour de lui le Cuisinier et l’Exploratrice, et les trois Grands annoncèrent après quelques paroles échangées :
— Nous pouvons nous arrêter ici ! Si le vent le veut bien, nous devrions être tranquilles pour quelques temps.
L’annonce fit l’effet d’un ouragan de soulagement. Cela faisait maintenant plusieurs semaines que le Peuple avait quitté sa position précédente, et chacun semblait irrité par la fatigue de la marche. Déjà, on commençait à déplier les toiles pour entamer la construction du village. Au centre d’une grande place se situerait le feu et, non loin, la tente de cuisine. D’autres constructions viendraient trouver leur emplacement dans l’organisation minutieuse des bâtiments de tissu puis, en périphérie, dans la direction du soleil qui se lève serait montée la tente du Capitaine.
Lyz n’avait pas envie de participer à l’élaboration du village. Elle ne comptait pas commencer aujourd’hui à suivre les plans précis déroulés par les constructeurs, étape par étape. Ce moment d’agitation collective était parfait pour se faufiler entre les jambes, se cacher derrière une caisse, se rendre invisible aux yeux du monde et observer pour avancer dans son enquête. Pas un instant elle n’avait oublié la tâche qui était devenue la sienne, pas un instant elle aurait omis de penser à l’origine de son morceau de papier.
Du coin de l’œil, elle vit l’Exploratrice s’entretenir avec le Cartographe. Elle voulut s’approcher, écouter un instant leur conversation, entendit :
— Lyz ! Viens-là et aide-nous plutôt que de flâner. Nous avons besoin de toutes les mains pour monter la tente hexagonale à pivot stationnaire. Nous ne parviendrons pas à fermer l’angle du glauk’ome sans ton soutien !
Ce phrasé précis aux injonctions soigneusement sélectionnées était celui de l’instituteur. Sachant parfaitement qu’elle n’y échapperait pas, Lyz haussa les épaules et rejoignit les travailleurs. Elle n’avait aucune idée de ce que pouvait bien être le glauk’ome, ni de quel angle elle était censée s’occuper. À défaut d’avoir une vision précise de ce qu’elle devait faire, elle se contenta d’imiter tant bien que mal les gestes de la femme à côté d’elle. Celle-ci étant très affairée à taper sur une planche à l’aide d’un immense marteau, Lyz en saisit un qui traînait contre un tonneau — il était lourd — et tenta de faire aussi bien que sa voisine. Bien vite, elle apprit que celle-ci était constructrice :
— Tu vois, l’important c’est de mettre le poids de ton corps dans les coups que tu donnes. Si tu n’y mets pas ton poids, cela ne fonctionnera pas, et tu ne fermeras jamais le glauk’ome.
Ce travail dura un long moment, durant lequel elle suivit plus ou moins les instructions qu’on lui donnait. Finalement, l’angle du glauk’ome dut être fermé, car chacun la félicita en lui ébouriffant les cheveux.
Le village terminé, Lyz se rendit en cuisine pour y saisir une pomme en douce, jeta au passage un coup d’œil au travail des commis, soupira de ne rien y voir de nouveau. Puis elle se dirigea vers la bordure de la cité et s’assit pour croquer son butin. Devant elle se tenait l’immense étendue blanche qu’elle avait toujours connue, et dans sa tête les questions apparues depuis peu. Elle repensait à la tente qu’il avait fallu monter, à la planche qu’elle avait martelée. Lyz n’avait pas compris ce qu’elle avait fait, et elle avait plutôt trouvé cela ennuyeux et inutile. Pourtant, elle comprenait qu’il était bon de taper sur une planche pour fermer le glauk’ome. Cela la désespérait. Il était important de participer au travail, et il était normal qu’on lui demande d’aider. Mais c’était long, et cela n’avait aucun intérêt.
Elle jouait à compter les rayons du soleil lorsqu’elle aperçut un petit point au loin. Trop immobile pour être l’un de ces oiseaux qui peuvent voler au-dessus des nuages, trop mouvant néanmoins pour qu’il s’agisse d’un objet égaré. Sans hésiter longtemps, Lyz se dirigea vers le point qui devint bientôt une forme, jusqu’à ce que la forme dessine la silhouette du Cartographe.
Celui-ci se tenait assis sur un petit tabouret. Face à lui, il avait placé une toile blanche sur un chevalet et à ses pieds, un grand sac de pinceaux de toutes les tailles était renversé. Il était occupé à recréer sur une grande palette toutes les nuances de bleu et de blanc que pouvait offrir le monde. Lyz s’installa en silence, curieuse de voir ce à quoi il s’affairait. Elle l’observa prendre une grande inspiration, poser sa palette, lever les yeux au-delà de son chevalet.
Rester ainsi pendant un temps qui parut à Lyz s’approcher dangereusement de l’éternité.
Elle s’apprêtait à partir, considérant que sa journée était décidément perdue à des activités sans intérêt, lorsque le Cartographe fit un mouvement vers le sac de pinceaux. Il en prit un, le laissa, en choisit un autre dont il trempa la pointe de peinture, qu'il posa sur la toile en un point. Puis il nettoya le pinceau avant de le ranger.
Quelques instants plus tard, il en sélectionna minutieusement un autre, qui lui permit de prélever une autre touche de peinture, une autre couleur qu’il déposa pour couvrir la première. Et puis il recommença encore une fois, et une fois encore.
Soudain, le Cartographe se décida à placer un second point sur la toile, puis un autre, puis une ligne, une courbe, une touche, un trait. En un instant, les pinceaux se mirent à virevolter entre ses doigts fins, ajoutant ici une couleur, là une forme, et les yeux du Cartographe rivés tantôt sur la toile et tantôt sur le monde dirigeaient la danse de ses mains.
Lorsqu’il eût terminé, il prit le temps de nettoyer et sécher ses outils. Il recula son siège d’un pas, posa ses mains sur son tablier et observa avant de grommeler :
— Le portrait d’un nuage.
Mais Lyz ne l’entendait pas. Les yeux rivés sur le tableau, elle se promenait dans un autre monde, un monde qui était le même que le sien, mais qui était aussi celui du Cartographe, un monde de nuages et de lumière où les couleurs étaient un peu plus vives et aussi parfois un peu plus belles, un monde dont elle construisait les contours hors de ceux du cadre du tableau.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, le Cartographe était parti. Peut-être qu’il n’avait pas souhaité la déranger, endormie sur le sol. Là où s’était tenu le chevalet, un petit morceau de papier remuait doucement sous la brise. Le regard encore vague, Lyz le prit dans ses mains, et dessus :
L’écrivaine lit
Des histoires, des poèmes,
Des mots doux, des mots durs, elle écrit
Ce qu’elle aime
Ce qui vit
En elle-même.
———
Une immense flaque rouge et verte ondoyait en bas. Assise sur bord du nuage, les pieds dans le vide et les yeux rivés sur le spectacle du monde, Lyz observait ses pensées vagabonder. Le nouveau papier qu’elle gardait dans sa poche ouvrait des possibilités auxquelles elle n'avait pas songé. Sa supposition était que les mots provenaient du Cartographe, tant il semblait évident que le second était lié à son apparition. Néanmoins, il était également possible qu'il s'agisse d'une machination des trois Grands dans leur ensemble : elle avait trouvé le premier mot dans la cuisine, et ce lieu n'avait rien à voir avec le vieux peintre. Quoi qu'il en soit, quand bien même ils n'en seraient pas l'origine, elle était certaine qu'ils sauraient d'où ils provenaient. Les trois Grands savaient tout, mais obtenir des informations de leur part était difficile, tant ils étaient occupés.
Lyz se leva, prit la direction du village, laissa le vent ébouriffer ses cheveux. Pour découvrir la vérité, elle savait qu'elle devait faire comme elle en avait l'habitude : se glisser derrière un chariot, se faufiler sous une toile, et ouvrir grand ses yeux et ses oreilles.
En passant devant le vendeur de petites choses, un détail attira son attention. Sur l'étal, un minuscule livret avait fait son apparition. En observant bien, elle pouvait apercevoir qu'un feuillet sortait légèrement de la pile uniforme des autres pages et semblait s’en détacher. Elle s'approcha, tendit la main pour le saisir, l'ouvrit, et avant même qu'elle ait le temps de réagir, une bourrasque emporta la feuille au loin. Sans plus réfléchir, elle glissa le carnet dans sa poche et courut à sa poursuite. Le vent, particulièrement puissant aujourd'hui, rendait sa tâche difficile : le morceau de papier vint tout d'abord se coincer dans un chariot, puis, à deux doigts de ceux de Lyz, se délogea pour passer entre les jambes d'une femme qui passait par là, s'envola, plongea, s'envola encore et se glissa sous la toile d'une tente.
Lyz arrêta brusquement sa course, manquant de trébucher contre l'une des cordes qui tenait l'édifice, leva les yeux avant même d'avoir pu s'arrêter totalement. Au sommet se tenait une girouette qui tournait au rythme du vent, posée sur la poutre centrale.
Elle connaissait cette tente, pour avoir aidé à la monter. En fit le tour, chercha une entrée qui puisse lui permettre d'éviter l'ouverture principale, à la vue de tous. Si chacun avait le droit d'aller et venir où il le souhaitait, cette liberté n'existait qu'à la condition de pouvoir attester d'une bonne raison de se rendre dans la tente de l'un des Grands. Celle de l'Exploratrice ne faisait pas exception, et Lyz doutait que la recherche d'un bout de papier constitue une justification valable.
Terminant son troisième tour de tente, elle dût se rendre à l'évidence qu'elle ne parviendrait pas à se glisser incognito. Il lui faudrait attendre que la voie soit libre pour se faufiler.
Elle avait l'habitude d'attendre. Le dos contre un tonneau, elle ouvrit ses oreilles aux paroles du Peuple qui défilait derrière elle.
— Trois paires de chaussettes, c'est bien. Au-delà on commence à les perdre, et en dessous il est difficile d'en garder une sèche lorsqu'il pleut. J'aime me dire que trois, c'est le bon nombre. Vous ne trouvez pas ?
— Il faudra agrandir les ruelles, ouvrir les rigoles, s'attendre à des changements. Le vent se lève, et il faut tenter de vivre.
— Cette dame avait une curieuse manière de me suivre, mais à l'envers, si bien qu'à la fin nous nous sommes croisés.
— Il n'était pas d'accord avec moi, mais moi j'étais d'accord avec lui. C'était une situation bien compliquée.
— Est-ce grave ?
Lyz sursauta. Cette voix était celle du Cartographe. Elle jeta un coup d’œil derrière son tonneau et le vit en compagnie de l'Exploratrice :
— Je ne pense pas. Nous avons du temps devant nous, encore.
— Qu'en dit le Cuisinier ?
— Ses commis fournissent en quantité supérieure à ce dont nous avons besoin, et ils fourniraient plus si nous le nécessitions. Il n’est pas utile de se faire du souci.
— Bien. J'espère que l'hiver ne sera pas trop rude.
— Pas moins que les autres. Certainement pas plus. Un bon feu nous fera du bien.
— Tu as raison. Nous n'aurons qu'à annoncer l'hiver ce soir, si le Capitaine est d'accord.
Et sur ces mots, ils se séparèrent, l'Exploratrice continuant en direction de sa tente. Lyz n'eût pas le temps d'hésiter. Elle se glissa derrière ses jambes, calqua son pas au sien, et pénétra sous la toile.
À l'intérieur, l'atmosphère sentait le vieux bois. L'Exploratrice posa ses deux carnets sur son bureau, resta un instant là, les yeux dans le vague, avant d’ôter ses bottes et de s'allonger sur une couverture. La pièce était remplie de bibelots en tout genre : sabliers, compas, crayons, et, partout sur les murs de tissu, d'immenses cartes recouvertes de symboles, de flèches, de lettres, d'angles et de chiffres. Lyz n'avait jamais rien vu de tel. Cachée derrière une commode, elle parcourait l'espace du regard à la recherche du morceau de papier qu’elle finit par le trouver, à moitié enfoui sous la couverture de l'Exploratrice. Il lui faudrait déployer des trésors de discrétion pour l’atteindre, mais la jeune fille ne se découragea pas. Ne faire aucun bruit était sa qualité première.
Elle attendit quelques instants, observant l’Exploratrice qui lui tournait le dos, avant de se décider à faire un pas en direction du lit. Un ronflement sourd lui répondit. Rassurée, elle s'avança jusqu'à pouvoir toucher le papier du bout des doigts. Un pas de plus, et elle pourrait le saisir…
Mais l'Exploratrice se tourna, les yeux rivés dans ceux de la jeune fille :
— C'est le troisième papier que tu cherches ?
Sa voix ne contenait aucune trace de colère, mais Lyz resta muette, paralysée. Elle n'avait évoqué sa quête avec personne, et la Grande se tenait désormais assise à sa hauteur, lui parlait des messages comme s’il s’agissait d’une évidence.
— Le rôle de l'Exploratrice ne se limite pas à connaître parfaitement ce qui se situe en dehors du village. Je suis également à l'affût de ce que vit chacun des membres du Peuple, et deux carnets ne sont pas de trop pour cela.
Lyz ne répondit pas tout de suite. Parmi la foule de questions qui se bousculaient au creux de sa tête, une seule passa la barrière de ses lèvres :
— Comment sais-tu ce que je cherche ?
— J'étais là quand tu t'es rendue en cuisine, et j'étais là quand tu t'es endormie à la sortie du village. J'étais également là quand l'instituteur s'est tordu la cheville sur un rebord de nuage, quand le Conteur répétait le Conte de ce soir, et je suis là, dans cette tente, pendant qu'un constructeur vole sa troisième framboise de la journée. Je sais tout, Lyz, car tout est connu de qui sait observer.
À mesure que les mots de l’Exploratrice trouvaient un sens dans son esprit, Lyz sentait son cœur battre comme il ne l’avait jamais fait, sourd, puissant, douloureux. Elle tenait là, enfin, devant elle, la clé de son énigme :
— Alors tu sais d'où viennent ces morceaux de papier ?
Le soupir de l’Exploratrice fut sa première réponse.
La seconde n’aurait pas été nécessaire à Lyz, qui avait déjà compris mais ne voulait pas l’entendre, pas après toutes ces recherches, pas après tout ce temps et toute cette incompréhension. Mais elle arriva, et la fillette n’eût pas d’autre choix que l’accueillir en elle :
— Non, je ne sais pas. J'observe sans déchiffrer. Cela arrive peu, mais cela arrive parfois.
Nouveau soupir.
— Lyz, tu as devant toi un vrai mystère.
À ces mots, la fatigue, la lassitude, les peurs et les peines vinrent se poser sur ses épaules, petites épaules de petite fille qui n'avait rien demandé. L'Exploratrice ne savait pas, et aucun des trois Grands ne savait, et personne ne savait. L’incompréhension dans son esprit, le flou devant ses yeux, le silence dans ses oreilles, ses sentiments en boule dans sa gorge, tout était insupportable car personne ne lui viendrait en aide.
L'Exploratrice regardait Lyz, impuissante. Elle lui tendit le bout de papier voyageur, lui adressa quelques mots :
— Il est à toi, néanmoins. Peut-être que son contenu t’aidera à décider du chemin que tu prendras, ensuite ?
Fébrilement, la jeune fille se saisit du feuillet que lui offrait la Grande. L'écriture dessus formait quelques lettres :
L'écrivaine
Grandit.
La tête lui tournait, tournait, et bientôt, plus rien.
J’aime beaucoup le système de pinces, de ficelles et de manivelles qui permet d’agrandir les objets piégés dans la passoire.
En lisant les commentaires et tes réponses, j’ai eu une grande désillusion : j’imaginais que l’angle du glauk’ome avait son utilité, voire qu’il était indispensable, et que ça nous serait expliqué par la suite. ;-) Mais bon, Lyz aussi a eu une grande désillusion et elle devra encore enquêter pour trouver les réponses à ses questions ; elles ne lui seront pas servies sur un plateau. Heureusement pour nous, lecteurs... ;-)
Coquilles et remarques :
— une petite boîte en fer blanc [en fer-blanc]
— A côté se formait un second tas [À côté ; l’Académie française et Grevisse recommandent de mettre les accents (le tréma et la cédille) sur les majuscules parce qu’ils ont pleine valeur orthographique]
— Son butin inspecté sous toutes ses formes [sous toutes ses coutures, peut-être ?]
— Lyz réalisa qu’elle pleurait en silence [s’aperçut, se rendit compte ; dans cette acception, « réaliser » est un anglicisme]
— quand elle ne se posait pas de question [de questions]
— en portant à bouts de bras [à bout de bras]
— Elle jetait par moment des regards [par moments]
— qui s’était endormi en souriant, assit contre sa louche [assis]
— nous devrions être tranquilles pour quelques temps [quelque temps ; ici « quelque » ne veut pas dire « plusieurs », mais « un certain »]
— Elle voulut s’approcher, écouter un instant leur conversation, entendit [Je mettrais « et entendit », sans virgule.]
— Lyz ! Viens-là et aide-nous [Viens là ; sans trait d’union]
— Ce travail dura un long moment, durant lequel elle suivit [dura/durant ; pendant lequel]
— Peut-être qu’il n’avait pas souhaité la déranger, endormie sur le sol [Syntaxe : « endormie » ne se rapporte pas à « il » ; il faudrait trouver une autre tournure]
— contre l'une des cordes qui tenait / Au sommet se tenait une girouette [qui tenaient / pour éviter la répétition : « se dressait », peut-être ?]
— En fit le tour, chercha une entrée [Comme c’est une nouvelle phrase, je mettrais « Elle en fit le tour ».]
— elle dût se rendre à l'évidence [elle dut (passé simple) ; dût est la forme du subjonctif imparfait]
— Ses commis fournissent en quantité supérieure [Il faudrait un complément à « fournissent ».]
— plus si nous le nécessitions [« nécessiter » n’est pas un synonyme d’ « avoir besoin » ; c’est une impropriété]
— Lyz n'eût pas le temps d'hésiter / et la fillette n’eût pas d’autre choix [n’eut (passé simple) ; n’eût est la forme du subjonctif imparfait]
— du morceau de papier qu’elle finit par le trouver [par trouver ; « le » est de trop]
— décider du chemin que tu prendras, ensuite ? [J’enlèverais la virgule]
Tu emploies un peu trop souvent l’adjectif « affairé » et /ou le verbe « s’affairer » dans ces deux chapitres.
Désolé pour la déception du glauk'ome, ce passage est bizarre et je ne sais plus vraiment quoi en penser... Peut-être qu'en lisant le texte d'une traite, il prend davantage sa place de bizarrerie parmi d'autres bizarreries !
J'espère que la fin te plaira :)
J'ai un peu tardé à refaire ce commentaire, mais j'ai ramassé une sacrée crève qui refuse de me lâcher.
Je retrouve avec plaisir ton écriture, toujours aussi subtile, nuancée, précise et poétique. Tu arrives à créer une atmosphère et un univers dans lesquels on s’immerge avec énormément de facilité et de plaisir. Bref, je suis fan.
Quant à la petite Lyz, elle ne lâche pas le morceau, même si sa déception est grande quand elle se rend compte que tous ses espoirs s’effondrent, mais sa curiosité et son obstination risquent de l’emporter bien plus loin qu’elle ne le pense si on en juge par ce que dit l’Exploratrice.
J’aime beaucoup d’ailleurs toutes tes descriptions. Elles utilisent tous les sens (vue, odorat) et mon petit doigt me dit que tu dois aussi t’y connaître en peinture, vu la scène avec le cartographe que j’ai adorée.
Il y a énormément de petits détails dans ce que tu dépeins et je n’ai aucune peine à imaginer tout ce que tu décris.
Le personnage de l’Exploratrice est également bien croqué, avec de grandes responsabilités, de grands savoirs, une sagesse certaine, mais néanmoins une totale impuissance devant l’énigme du morceau de papier.
L’angle du Glauk’ome est aussi une jolie trouvaille, même si, comme Lyz, je n’ai pas très bien compris de quoi il s’agissait. Mais le principal était de participer. :-)
Voilà. Si tu as des questions, n’hésite pas.
Qq petites remarques que Rachael n’a pas notées :
« quand l'instituteur a tordu sa cheville » dans la bouche de l’Exploratrice un « s’est tordu la cheville » passerait mieux.
« Ce morceau de papier, cette énigme, lui résistaient, » pas de virgule après énigme, même si tu fais une pause dans ta tête en racontant.
Merci pour ta lecture et ton retour. En effet, Lyz ne lâche pas le morceau (de papier ?) et c'est aussi, en soi, un mystère...
Ne rien comprendre au Glauk'ome est normal (c'est un peu le propre de ce travail, de n'avoir pas beaucoup de sens), j'espère juste que ça ne perd pas trop le lecteur.
C'est assez bien vu pour la peinture. Je ne m'y connais pas particulièrement, mais l'ami qui a créé l'illustration et l'édition en revanche... L'idée était un peu de lui rendre hommage.
Effectivement, tes remarques sont pertinentes, je vais corriger ça.
J'espère que la fin te plaira. Il est possible qu'elle ne corresponde pas vraiment à l'idée que tu t'en fais, après tout c'est une histoire courte... Mais on verra bien, et dans tous les cas, cela me ferait plaisir de savoir ce que tu en penses !
Merci encore !
Je commenterai la suite avec plaisir.
Non le Glauk'ome ne perd pas le lecteur, et entre nous soi-dit, il y a tellement de choses qu’on fait dans la vie sans qu’il y ait vraiment de sens... :-)
Ça ajoute au mystère et à l’ambiance que tu as su créer.
La suite est toujours dans la même veine côté style, c’est agréable et tes mots collent bien avec l’univers que tu décris. Côté histoire, c’est un peu plus calme, on est moins dans la phase de découverte, on s’installe avec le peuple sur leur nuage. Comme c’est plus calme côté histoire, il me semble qu’il aurait été bien de retrouver quelques détails sympas comme dans le premier chapitre,(et comme le coup du Glauk’ome dans celui-ci).
Détails
Elle vit ainsi plusieurs fois se fendre des formes dont elle n’avait aucune idée de ce qu’elles pouvaient révéler : phrase un peu alambiquée et pas très claire.
Quant à Lyz : pourquoi ce « quant à lyz » ? c’est bien d’elle qu’il s’agit depuis le début ?
et couru les lire un à un : courut
Lorsque tout le monde eût repris : eut
et lorsque ceux qui ne se souciait pas : souciaient
Lyz sentait ses yeux se fermer, adossée à sa voisine : ce serait mieux dans l’autre sens : Adossée à sa voisine, Lyz sentait ses yeux se fermer.
Ce phrasé précis aux injonctions soigneusement sélectionnées était celui de l’instituteur. Sachant parfaitement qu’elle n’y échapperait pas, elle haussa les épaules et rejoignit les travailleurs : en ce début de paragraghe j’aurais mis « lyz » plutôt que elle
Sachant parfaitement qu’elle n’y échapperait pas : peut-être dire à quoi ?
Repet : les yeux du Cartographe rivés/ les yeux rivés sur le spectacle du monde
Concernant tes (justes) remarques :
- Oui, la phrase est compliquée, je vais la simplifier
- Quant à Lyz : oups, c'est une erreur de réécriture, il faut que je reformule
- Je vais reformuler le passage de l'instituteur effectivement.
J'espère que la fin sera à ton goût !