Les quatre abandons de la lumière chapitre 4 Les morilles

Par Kieren

Son père n'était pas tout puissant. Il n'avait pas créé la Terre, encore moins les hommes ; ceux-ci existaient depuis bien plus longtemps. C'est ce qu'apprit mon père en voyageant à travers le monde. Il rencontra d'autres Dieux, tous plus ou moins puissants, plus ou moins libres, plus ou moins bienveillants. Son père en était un parmi tant d'autres, il voulait guider son peuple, il faisait partie de ceux qui protégeaient les humains. C'était une mission comme une autre, lorsque l'on est un esprit on s'occupe comme on peut.

 

Mon père vécut longtemps, il vit des espèces naître et disparaître, des civilisations grandir et mourir, il vit des astres s'allumer et s'éteindre. Il en conclut que si une phrase était vraie en toutes circonstances, il s'agissait de celle ci : « Cela, aussi, passera. »

Il faisait lui même partie du cycle. Mais il fit un jour connaissance de quelque chose, qui était quelqu'un autrefois, et qui refusait ce cycle.

 

Il était dans une clairière lorsqu'il le vit, il s'agissait d'une boule de haine et d'ignorance, un esprit qui ne cessait d'exister et qui blessait tout ce qu'il touchait. Il avait eu un nom autrefois, mais quelle importance ?

Mon père le regarda faire le mal, il essaya de l’apaiser, de lui dire de laisser tomber, qu'il n'y avait pas de honte à quitter un chemin vain, garni d'épines et qui menait à un gouffre ; mais l'esprit l'attaqua, lui avouant qu'il n'avait aucune idée, et aucune envie de changer.

Mon père se mit en colère, il aurait pu laisser cette chose sur son chemin, et partir ; mais qui l'aurait arrêté ? Son père peut être ? Et dans combien de temps ? Il était le fils d'un Dieu, il n'avait rien à donner, ni à garder. Il était vieux, mais il avait envie de trouver sa place.

Alors, ange déchu, il décida de guider sa première âme. Il avait donné de sa personne pour nourrir les créatures de cette Terre, il en récolterait les fruits pourris par la pluie et la misère.

 

Alors il le mangea.

 

Il savoura son ignorance crasse, sa misère poisseuse et sa haine brûlante. L'esprit hurla de douleur. Et mon père serra les dents : c'était la nourriture la plus répugnante qu'il n'avait jamais mangée. Mais toute chose finit par être consommée, cela prend juste du temps.

 

Une fois le repas fini, mon père eut une violente douleur au ventre, et se retrouva couché sur le sol, épuisé, terriblement vieux et fatigué. Il se dit qu'il ne recommencerait jamais. Et puis, le reste de l'âme qu'il avait consommée le regarda, perdu.

 

« Vous avez l'air en peine. » lui dit le fantôme.

 

« Et à qui la faute ! » cracha mon père.

 

« Je vous ai fait ça ? »

 

« … Tu ne t'en souviens pas ? »

 

« Je ne m'en souviens pas, mais si vous le dites. Voulez vous de l'aide ? »

 

Cela fit sourire mon père. « Je veux bien un petit peu d'eau. Apporte moi ma gourde. » Le spectre s'exécuta, toujours aussi perdu. « Merci … Et toi ? Comment te sens tu ? »

 

« … Au début je ne sentais rien, mais vous m'avez dit ''merci'', j'ai donc fait quelque chose de bien, je me sens donc bien. »

 

Mon père avait toujours aussi mal, mais l'espoir recommença à luire dans ses yeux. « Que vas tu faire maintenant ? »

 

« Je ne sais pas... Continuer mon chemin je suppose. »

 

« Eh bien fait mon ami. Sois sage, et rends heureux ceux qui sont à tes côtés. Essaye donc de renaître, c'est un bon moyen d'apprendre à vivre en étant soi. »

 

Le fantôme remercia mon père et partit de son côté. Mon père, lui, sentit une immense joie ranimer son cœur. Et il prit sa décision.

 

Si son père s'occupait des âmes sages et bénéfiques ; lui, s'occuperait des âmes damnées, et il les dévorerait, il leur arracherait leurs crimes et leurs fardeaux, afin qu'ils renaissent neufs, pour un nouveau départ. Mais il ne pourrait pas continuer avec un corps aussi fatigué. Alors il pleura, de douleur et de soulagement. Et pour chaque larme qui tombait sur le sol de la clairière, un champignon poussait, ridé, recroquevillé et toxique à dévorer cru, mais comestible une fois séché et chauffer, une fois maturé par le temps. Il venait de se débarrasser de sa vieillesse, et les morilles commencèrent à exister.

 

Mon père ne retrouva pas sa jeunesse pour autant, mais il n'était pas vieux non plus. Il était devenu un homme sans âge, fort, qui supporterait sa nouvelle mission.

 

Et il se mit à rire, à rire, à gorge déployée.

 

Hirondelle

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Herbe Rouge
Posté le 25/06/2023
Bon, et bien au final, ce que j'ai préféré dans cette mini-série, c'est son ensemble, le personnage de Lucifer et comment il est devenu tel qu'on peut le connaitre dans les récits les plus populaires.
C'est très sympa, j'ai beaucoup aimé ! :)
Cela mériterait d'être un peu retravaillé, et peut-être d'oublier le rapport avec les ingrédients cependant, pour en faire une nouvelle à part.
Kieren
Posté le 06/07/2023
Tu sais, toutes mes histoires se recoupent les unes avec les autres, La Mousse est un personnage d'une autre de mes récits, et du coup Lucifer y fera aussi son apparition, et Hirondelle aussi. Mais j'y retravaillerai, comme toutes mes histoires d'ailleurs. Je ferai aussi des illustrations, ça me démange =)
Altaïr
Posté le 27/11/2022
Girolle (dans le titre) ou morille (en conclusion) : ton estomac a dû balancer entre les deux 😋.
Ce chapitre me semble fortement imprégné d'influence bouddhique : l'ingestion des pêchés du monde, la réincarnation pour se donner une chance de faire mieux dans la vie d'après. savant mélange de cultures, c'est pas mal !
Kieren
Posté le 23/12/2022
Merci pour avoir vu l'incohérence dans le titre =)
Il faudrait que je lise des livres sur le bouddhisme, mais je me souviens d'un fille de Wes Anderson : A bord du Darjiling limited. Cela se passe en Inde, cela raconte le voyage de 3 frères qui se sont perdus de vue. Très chouette !
Le Saltimbanque
Posté le 04/04/2020
Au début ça commence bien, certaines pensées de Lucifer sont plutôt bien vues, on avance. Bon, je suis un peu déçu qu'Hirondelle soit ici TOTALEMENT absente et que Lucifer ait envie d'aider l'esprit zut je croyais qu'il avait abandonné sa générosité...

Et il le bouffe. Ah. Et il souffre tandis que l'esprit lui pardonne.

Gros renversement au milieu du texte qui m'a agréablement surpris, je ne m'y attendais pas du tout. Cela a ajouté un côté monstrueux à Lucifer, c'était très bienvenu.
J'aime bien le dialogue entre Lucifer et l'esprit, qui sonne naturel et pourtant est terriblement ambigu. Difficile à expliquer, mais ils sont à la fois très polis, reconnaissant envers l'un et l'autre, et en même temps Lucifer souffre terriblement et l'esprit est complètement à l'ouest (il vient de se faire bouffer!).

Petit bémol sur le paragraphe où Lucifer explique ce qu'il va faire. "Je vais m'occuper des âmes damnées, elles vont renaître, etc." C'était un peu trop explicatif : il (enfin, Hirondelle) explique platement son projet. Je pense que cela aurait été plus vivant et plus fort si cela avait été subtilement transmis par le dialogue.

J'ai adoré le rire final. Enfin le Diable est présent ! Continue !
Kieren
Posté le 04/04/2020
Ne pas être trop explicatif, être plus discret, souple. Je retiens.

En vrai, Lucifer est un personnage terriblement chaud à écrire, il lui manque trop de capacités. Il n'est pas jeune, pas vieux, il ne donne rien et il ne garde rien. C'est difficile de rester cohérent avec un gaillard pareil. Alors quand il bouffe l'esprit, j'aime penser qu'il ne s'agit pas d'un geste de générosité, mais quelque chose de plus neutre, pour lui et pour l'esprit, pas que pour lui, et pas que pour l'esprit.

Kamoulox !

C'est un vrai casse tête.
Kieren
Posté le 04/04/2020
Mais je continue ! Promis
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