Tandis que Ser Caldar, Myra, Garric et le Seigneur Loup s’enfonçaient plus profondément dans les forêts anciennes, une autre force se mettait en mouvement, bien plus au sud, dans les terres fangeuses et oubliées du Val d’Ombrée.
L’Écorché, silhouette noire et décharnée, marchait lentement dans la brume visqueuse des marécages bien plus au sud du pays d'Inghelmöun. Son armure était fendue, entaillée, couverte de sang séché et de mousse noire. Son pas ne faisait aucun bruit sur la tourbe molle. Les arbres ici étaient tordus, morts ou suintants, leurs troncs rongés par des siècles d’humidité et de malédiction.
Il s’arrêta devant un ancien tertre couvert de pierres rituelles effondrées, vestige d’un champ de bataille oublié. Ici, jadis, s’étaient affrontés les derniers défenseurs du sud et les seigneurs renégats, dans une guerre sans fin. Les corps n’avaient jamais été enterrés. Ils avaient pourri dans les eaux stagnantes, leurs armures englouties, leurs esprits maudits.
La puanteur était suffoquante. L'humidité rendait l'air encore plus lourd et des nuées de mouches grasses pondaient leurs oeufs dans tout ce qui était mort ou sur le point de l'être.
L’Écorché leva les bras. Son souffle rauque, semblable à un râle de forge, se répandit dans l’air comme un appel.
La boue bouillonna. Des mains gantées d’acier, tordues par la rouille et les siècles, émergèrent du sol. Puis des crânes fendus, des casques cabossés, des torses aux cottes d’armes à demi dissoutes. Un à un, les chevaliers morts se relevèrent.
Ils étaient six.
Chacun portait encore les symboles déchirés de son ancienne maison, mais aucun ne conservait de souvenir humain. Ils étaient de vastes carcasses animées par une volonté étrangère. Leurs armures ruisselaient de vase noire, et leurs yeux, sous les heaumes fendus, brillaient d’une lueur froide, verte et spectrale.
— Marche, escadron putride ! Tuons la lumière, souffla l’Écorché, sa voix fendant le silence comme un rasoir.
Ces chevaliers déchus étaient les plus cruels de leur temps :
- Sir Vaugris le Banni, au heaume fendu en croix, portait une flamberge tordue par la haine. On disait qu’il avait tué son propre frère sur l’autel d’un pacte de sang.
- Le Masqué Rouge, dont le visage n’était qu’un masque de cuir cousu à même les chairs. Il maniait une hache à double tête, imprégnée du sang de cent enfants sacrifiés.
- Dame Veltha, unique femme du groupe, morte en armure de soie trempée, empoisonneuse et stratège, aux flèches enduites de poison.
- Gorn l’Épuré, un géant silencieux, cuirassé de plaques couvertes de prières blasphématoires. Il tenait un espadon d’église souillé de glyphes impies.
- Frère Liénor, ancien moine de guerre, dont les psaumes avaient mené des villages entiers à l’égorgement. Il chantait encore, sans langue, un murmure creux à chaque pas.
- L’Écorché, leur maître, silhouette suintante de haine et de silence, qui les guidait comme un berger mène ses bêtes : sans émotion, sans un mot, avec une certitude glaciale.
Dans la brume noire des marécages, ces spectres d’un autre temps reprenaient vie. Ils suivaient leur maître, leurs armures grinçant, leurs armes dégoulinantes, dans un silence plus funeste que mille hurlements.
Là où ils passaient, rien ne survivait.
Villages, hameaux, fermes isolées : tous furent effacés comme par une main invisible. Les enfants furent empalés contre les murs. Les femmes, ouvertes de la gorge au ventre. Les hommes, broyés, brûlés, écartelés.
Même les bêtes — chiens, chevaux, vaches, oiseaux — furent massacrées sans pitié. Les arbres pliaient sous le poids des corps. Les puits débordaient de sang.
Dans le village de Sarlotte, les toits fumaient encore. Des silhouettes carbonisées se tordaient dans les cendres. Les quelques survivants, mutilés, couraient nus, fous, les yeux vidés de leur lumière.
À Vau-Nord, un puits avait été rempli de cadavres. Un clocher brûlait, et les cloches tordues tintaient encore faiblement, comme pour sonner la fin du monde.
Les bourgs n’étaient plus que des charniers silencieux, hantés par les croassements d'une centaine de corbeaux ivres de chair.
L’Écorché ne regardait pas en arrière. Il suivait une trace, son instinct de chasseur le guidait toujours plus vers le nord. La forêt, la rivière Morte, la Fille !
Une sente invisible que lui seul semblait sentir : celle de la fille à la lumière ancienne, celle qui portait en elle le don originel.
Myra.
Il ne savait pas encore où elle se cachait, mais il la sentait.
Bientôt, les chevaliers morts refermeraient sur elle leur cercle funèbre.
Et le silence tombera pour de bon.
Passage très sombre en effet ahaa mais très efficace ;)
les descriptions des six est vraiment chouette. On sent déjà l'horreur qu'ils vont propagés puis ensuite la destruction.
Sûrement pour le plaisir.
je vais continuer en espérant en savoir un peu plus sur le Loup :)
Le Loup...... J'adore ce personnage !