Les taxis

A Pékin, dans les années ’90, le garçon qui faisait rêver toutes les filles était finlandais et s’appelait Heikki. Élève de l’ISB, forcément, il était grand, il était beau. Il sentait bon le sauna chaud. Après moult rougeurs et hésitations, nous avons pris un taxi ensemble. Quel événement ! Il faut garder à l’esprit que les cafés étaient inexistants à l’époque. Les taxis faisaient par conséquent office de lieux de rencontres et d’échanges. Nous y étions à l’abri des regards indiscrets. Combien d’amours naissantes, de flirts et de premiers baisers ont-ils abrités ? Question sans réponse. Une chose est sûre, dans la Chine communiste, monter dans un taxi avec un garçon était définitivement ce qui se rapprochait le plus d’un rencard.

 

Il y en avait plusieurs sortes. Mes amis et moi montions uniquement dans les miànbāo (pain), des camionnettes jaunes très inconfortables en forme de brioche qui n’avaient pas de taximètre. La course était facturée 10 Yuan (environ 1,30 francs), indépendamment du temps et de la distance parcourue. Ce montant dérisoire nous permettait de faire des allers-retours incessants entre le quartier de Sanlitun et les compounds diplomatiques de Tayuan et Qi Jia Yuan, mais aussi de rendre visite à nos amis domiciliés plus loin, dans le district de Shunyi. 

 

Prendre le taxi à Pékin était une aventure en soi. Le jour où je suis montée dans un miànbāo avec Heikki, un bocal transparent à l’avant du véhicule, dans le porte-boisson, a immédiatement attiré notre attention. Il était à moitié rempli d’un liquide jaunâtre. Les yeux bleus perçants de Heikki se sont tournés vers moi.

 

  • Qu’est-ce que ça peut bien être ? l’ai-je entendu me demander.
  • De l’essence en cas de panne ?
  • Avec cette couleur ? C’est un peu gélatineux, on dirait…
  • La sauce qu’il met dans ses nouilles ? 
  • Hummmm…peut-être de l’èrguōtóu (un alcool de sorgho produit à Pékin) ? 
  • Du jus de litchi rassi ?
  • Du thé à la crotte de panda ?
  • De l’urine de chauve-souris ?
  • De la bile d’ours ?
  • Les larmes de sa femme ?

 

Nous avons passé tout le trajet à essayer de deviner la provenance du mystérieux liquide. Notre curiosité a enfin été satisfaite au moment de régler la course : le taxi s’est bruyamment raclé la gorge et a craché toutes les glaires contenues dans ses poumons dans le bocal. Ce jour-là, j’ai fait la bise à Heikki. Très sport, il ne m’en a pas voulu. 

 

C’est dans les taxis aussi que j’ai le plus appris à parler le mandarin. Chaque trajet commençait invariablement avec la même question : nǐ shì nǎ guórén (de quel pays êtes vous ?). Je répondais alors : xībānyá wén (espagnole). Là-dessus, le chauffeur de taxi partait dans un fou rire tonitruant et beuglait : REAL MADRID ! Ensuite, il me demandait si je trouvais que le mandarin était une langue difficile. Je répondais toujours par l’affirmative, ce qui le faisait à nouveau hurler de rire. Ensuite, il m’assurait que non, que c’était beaucoup plus simple que l’anglais et que j’avais juste besoin d’un bon láo shì(professeur). Entre deux objections, je donnais mes instructions : à gauche, à droite, tout droit, dans cette ruelle, suivez la voiture rouge, c’est ici. A la fin de la course, je m’étais fait un ami. Le chauffeur s’éloignait en criant à travers la fenêtre : « zàijiàn fliend » (au revoir friend, les chinois n’arrivent pas à prononcer les « r »). A ce jour, je garde une affection particulière pour tous ces chauffeurs de taxi aimables qui m'on tant appris sur l'empire du Milieu. Ils ont véritablement égayé tous mes trajets.

 

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