L’espion qui allait mourir

Deux yeux ambrés avec une pupilles fendu, balayait nerveusement StoreRoad. L’obscurité et la pluie réduisait la visibilité, finalement l’individu aux yeux de félins se mit en marche. Le visage soigneusement caché par une large capuche de sweat dont la fermeture éclair était a moitié relevé. Il progressait sur le trottoir de la ruelle en esquivant la lumière des enseigne néon et des hologrammes aguicheurs de femmes peu vêtu.

Les mains enfoncés dans un jean rapiécé de toutes part. Seul la bosse que formait le holster sous le sweat le distinguait du badeau.

Des passants épars déambulaient dans la ruelle, pressés, courant pour fuir la pluie. Des chats errants, le pelage détrempé, se faufilaient dans les coins, à la recherche de chaleur ou de nourriture. Un couple abrité sous un parapluie en lambeaux, marchait. Lorsqu’ils arrivèrent au niveau de l’individu au sweat, l'homme plissa le nez et murmura, agacé :

« On dirait qu’il y a une foutue odeur de chat mouillé partout ici. »

Sa compagne fit un geste discret de dégoût, un léger grognement émergea de la capuche, mais son propriétaire continua de marcher. Il atteignit bientôt l’intersection entre StoreRoad et Verständnis. Là, en arrière-plan, dans une avenue parallèle en pleine ébullition, des cris, des éclats de verre, et des explosions de lumière illuminaient brièvement la scène chaotique d'une émeute. Des manifestants affrontaient violemment les forces de l'ordre, dans une mêlée furieuse d'ombres et de fumée.

L’individu commença à traverser, croisant une jeune femme habillé avec des guenilles qui pendait au sol.La pauvre toussait, soudain, des hurlements de moteurs retentirent, et des motards, émergèrent de l’émeute qui s »tait ouverte sur son passage. Ils fonçaient enivré par le sang et la rage, bariolé de tatouage stylisé. Ils remontèrent Verständnis à toute vitesse, fonçant droit vers l’individu.

D’un réflexe fulgurant, il esquiva de justesse un coup lancé par un motard. Dans le mouvement, sa capuche se renversa brièvement, révélant, sous la lueur des néons et de la pluie, ses yeux de félin et un pelage blond trempé qui recouvrait tout son visage. Juste un instant, avant qu’il ne rabatte précipitamment sa capuche.

Le gang disparut dans les méandres de la ruelle, et l’individu allait reprendre son chemin. Lançant machinalement un coup d’œil en arrière. Il put constater que la jeune fille qui traversait l’intersection, n’avait pas eu sa chance. Elle gisait sur le sol, le crane ouvert. Une de ses jambes avait été écrasé par plusieurs roues. Plusieurs trace de roue fait avec le sang de la jambe pointait vers les motard qui s’enfonçait maintenant dans l’obscurité.

« Pauvrre petite morrrtel » lacha l’individu avant de se remettre en route.

Quelques dizaines de mètres plus loin, il rejoignit un petit homme à l’allure nerveuse qui l'attendait dans un renfoncement sombre. L’homme, rondouillard, portait de petites lunettes rondes, et sa respiration trahissait une inquiétude palpable. Ses mains tremblaient légèrement alors qu'il ajustait ses lunettes.

« Y’a un rrraté ?» demanda l’individu, la voix posée, mais teintée d’une sincère inquiétude. « Pourrrquoi t’as rrrapprrroché notre rrrendez-vous, Rrrenaud ? Qu’est-ce qui t’rrronge ? »

Renaud, nerveux, bégaya. « Oui... non... je veux dire... »

L’individu s’approcha, essayant de le calmer. « Hé, Rrrenaud, tu devais rrréagir si quelque chose se rrremuais. Pourrrquoi cette prrrécipitation ? »

Finalement, Renaud prit une grande inspiration et lâcha d’une voix tremblante : « Ils sont prêts. Ils vont commencer le projet. »

Le silence retomba un instant. L’individu, les yeux plissés sous sa capuche, se figea. Mais avant qu’il n'ait le temps de répondre, un crissement de pneus perça la nuit. Une camionnette blanche surgit de nulle part et pila juste devant eux. Les portes coulissèrent brutalement, et des hommes en noir, lourdement armés, en jaillirent.

Tout se passa en un éclair. Les deux personnages furent attrapés, empoignés, et traînés dans le véhicule. Aucun cri ne perça la nuit, seulement le vrombissement du moteur de la camionnette qui repartit en trombe, disparaissant dans l’obscurité de StoreRoad, laissant derrière elle seulement le bruit sourd de la pluie et les reflets des néons sur le bitume détrempé.


 

Renaud se réveilla, la bouche bâillonné. Son souffle rapide trahissait la panique qu'il essayait en vain de maîtriser. Ses doigts, crispés sur les planches où il était attaché, tremblaient légèrement, secoués par l'adrénaline. À ses côtés, l'autre prisonnier, aux pupilles fendu et au pelage blond détrempée, était également ligoté sur une planche portée par des hommes encapuchonnés. Sa respiration, plus lente que celle de Renaud, ne trahissait pas la tension palpable qui le parcourait.

Sous l'éclat tamisé des torches, les deux prisonniers furent transportés à travers de lourdes tentures noires. Le bruit sourd d’un gong résonna, marquant leur entrée dans un paysage irréel.

Au-delà des tentures, la salle à demi enterré, révélait un paysage lunaire s’ouvrant sur une voûte qu’on aurait dit d’une autre planète. Des colonnes brisées pointaient vers le ciel étoilé a perte de vue, et des constellations brillaient au firmament, représentant des formes anciennes et sacrées.

Tout autour d'eux, une foule silencieuse les observait. Des silhouettes drapées dans des robes rituelles noires, encapuchonnées, dont les visages étaient masqués par des masques d’argent. Leurs regards invisibles étaient fixés sur les deux prisonniers. Les masques ne laissaient transparaître aucune émotion, rendant leur présence encore plus oppressante. C'était une foule d’ombres, silencieuse, immobile, absorbée par l’attente du rituel à venir. A chaque gong, la procession qui portaient les prisonniers se rapprochaient d’un grand cube de pierre, devant lequel se trouvait un individu.

Renaud fut le premier à être amené devant individu à la robe bordeaux. L'homme aux yeux de chat, malgré ses contorsions, ne voyait que difficilement la scène. Il n'entendit que le sermon prêché par une voix forte et grave, un sermon qui parlait de sacrifier les traîtres et les immortels à la cause, puis un cri. Ce cri, perçant, déchirant, résonna dans la salle, amplifié par la pierre froide des murs. C'était un hurlement d'horreur, de douleur absolue, qui résonnait dans les oreilles de l'homme aux yeux de chat, lui glaçant le sang. Il tenta de se redresser, de voir ce qui se passait, mais ne perçut que des fragments de la scène, des ombres mouvantes, des éclats de lumière qui dansaient sur les murs. Ce qu’il vit clairement, c’était le sang.

Le sang de Renaud, qui coulait lentement vers la grille. L’atmosphère dans la salle changea brutalement. Le murmure des encapuchonnés semblait s’intensifier, une sorte de chant sourd, guttural, presque inhumain. Le liquide sombre glissait entre les interstices de la grille, et à cet instant, des ombres commencèrent à se matérialiser. Elles prirent la forme de trois créatures, chacune distincte et effrayante dans sa propre monstruosité : un serpent aux écailles luisantes et à la langue fourchue, un scorpion dont les pinces claquaient avec une menace sourde, et un chien massif aux yeux vides, entièrement composé d’ombre mouvante.

Les créatures, éthérés et terrifiants, se glissèrent vers le corps inerte de Renaud, leur présence obscurcissant l’air autour d’eux, comme si la lumière elle-même reculait devant leur apparence. Le serpent, d’un mouvement fluide, s’enroula autour du cadavre tandis que le scorpion posait ses pinces sur le torse de l’homme mort. Le chien d’ombre, de son côté, se pencha au-dessus de Renaud, ses crocs invisibles s’approchant du visage sans vie. Ils agissaient de concert, tirant délicatement, comme s'ils déchiraient une couche invisible autour du cadavre.

C’est alors qu’une lumière apparut, émanant du corps de Renaud. Cette lumière dorée, douce mais vibrante, s’échappait de son corps inerte. Les trois créatures s'en saisirent avec une lenteur presque rituelle, arrachant cette forme lumineuse du cadavre. L'âme de Renaud, fut engloutie par les créatures, qui l’emportèrent sous la grille dans un mouvement fluide, disparaissant dans les profondeurs avec un dernier sifflement inquiétant. Le silence qui suivit leur départ était aussi lourd que le moment qui les avait précédés.

L’homme aux yeux de chat, toujours immobilisé, tenta de détourner son regard, mais il ne put échapper à ce qu’il venait de voir. Son souffle s’accélérait, la peur le saisissant à la gorge. Il n’avait jamais rien vu de tel durant sa longue existence.

Après quelques instants, les porteurs le soulevèrent à son tour. Son corps tremblait légèrement, il sentait la tension dans l'air, cette même attente silencieuse que lors du sacrifice de Renaud. Mais cette fois, la peur avait décuplé.

Le gong résonna à nouveau, lourd et implacable, annonçant l'instant crucial. L'homme en robe bordeaux se tenait droit devant lui, mais l'homme aux yeux de chat ne pouvait que deviner sa silhouette encapuchonnée, sans pouvoir en voir les détails, juste son masque d’or. La voix de cet homme, forte et terriblement grave, récita à nouveau les mêmes mots :

« Les immortels et les traîtres serviront notre cause et notre titan. »

Chaque mot pesait comme un coup, résonnant dans l’esprit de l’homme aux yeux de chat. Il essaya de bouger, de se redresser, mais son corps restait entravé, sa vision brouillée par la position et l'angoisse. Il ne pouvait que sentir le poids du rituel s'abattre sur lui.

Le discours terminé, le maître du rituel leva lentement son arme – un couteau en cristal noir, semblable à de l’obsidienne. L’homme aux yeux de chat ne pouvait voir clairement l’action, mais il sentait le moment venir, il le savait. Le métal froid de la pierre sacrée brillait faiblement, et dans un instant, tout s’effondrerait.

Puis, dans une explosion de terreur absolue, l’arme s'abattit. Le cri déchirant qui suivit se poursuivit jusque dans les bureaux de Minerva Strategy Partners.

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