L'Étoile qui a chuté

Par Erwyn

"On raconte que certaines étoiles brillent plus fort que d’autres… mais les plus brillantes sont aussi celles qui tombent le plus vite."

 

Caelum était un élève comme un autre. Il riait, doutait, rêvait parfois de liberté. Seulement, il avait été choisi par Genubi, l’étoile de sang de la constellation de la Balance, réputée pour sonder les émotions jusqu’à leur racine.

Avec cette marque, Caelum savait apaiser une foule d’un mot, ou plonger une salle dans la mélancolie d’un simple regard. Très vite, on le remarqua. D’autres élèves admiraient son talent autant qu’ils s’en méfiaient. Il restait, quoi qu’il fasse, celui comparé aux enfants des familles de la première classe : invité à observer, toléré à briller… mais jamais destiné à décider.

Plus il avançait, plus la magie sur laquelle il avait bâti sa vie l’éloignait de lui-même. Chaque fois qu’il plongeait trop loin dans l’âme des autres, il perdait un peu la sienne : un jour, il ne ressentit plus rien face à la douleur d’un ami. Puis la joie disparut. Puis l’amour.

Alors il tenta de façonner la réalité et non plus seulement les émotions à partir de ce vide. Les avertissements des Anciens résonnaient : “Les étoiles t’offrent un don, pas un droit sur la création.” Mais son besoin de transcender sa place, d’ouvrir une faille dans un système qui le bridait, l’emporta.

Dans la brèche qu’il ouvrit, il vit paraître un royaume d’émotions brutes : montagnes de tristesse, rivières de passions, cieux zébrés de colère. Mais au sommet, des silhouettes l’attendaient, mi-ombres mi-lumières comme des fragments d’étoiles oubliées. L’une tendit vers lui un bras terminé d’une étoile brisée qui battait comme un cœur mourant.

Ce royaume, ce n’était pas une création : c’était une faille. Un cimetière pour ceux qui n’avaient pas supporté leur don.

Nul ne sait ce qui arriva exactement. Les anciens disent que Caelum disparut à jamais dans ce monde. D’aucuns murmurent qu’il y erre, désormais, condamné à hanter les porteurs d’étoiles lorsqu’ils vacillent : la figure de l’étoile déchue, promise à tous ceux qu’on empêche de briller en dehors de la classe qui leur a été assignée.

Parfois, affirmèrent les élèves, on voit vaciller une étoile au-dessus de Sylarem ou entendre son nom, Caelum, résonner dans un rêve sous la forme d’un avertissement.

***

Le professeur claqua le livre faisant sursauter ses jeunes élèves encore fascinés par l’histoire dans laquelle ils avaient plongé. La situation le fit sourire.

Malgré tout, un silence pesant s’installa dans la classe. Certains élèves échangeaient des regards inquiets, d’autres fixaient la fenêtre comme si, soudain, l’ombre de Caelum allait surgir derrière la vitre. Une fillette, au fond, serrait son poignet sous la table, là où une marque nouvelle dessinait son destin. Même les plus téméraires semblaient hésiter à plaisanter, happés par la possibilité que la légende soit plus vivante qu’ils ne l’auraient cru.

« Il est temps d’aller en récréation, les enfants… Faites attention, Caelum n’est peut-être pas très loin… Peut-être ressentirez-vous sa présence ce soir en vous endormant. »

Ses élèves sortirent en murmurant, certains, les yeux encore brillants, restaient captivés, tandis que d'autres tentaient de faire bonne figure et de masquer la peur que l’histoire avait suscité en eux.

Le professeur se leva lentement, ses articulations douloureuses trahissant le poids des années. Il se dirigea vers la fenêtre. Dehors, l’orage grondait. La pluie tambourinait contre les vitres de la salle de classe. Un éclair zébra le ciel, illuminant sa silhouette à contre-jour.

Il observa les nuages sombres et murmura :

« Il n'y a rien de plus dangereux qu'un être humain incapable de se matiriser. Caelum Riven l’a appris à ses dépens…

Et ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres ne suivent ses pas. »

Il ferma les yeux. Une étoile solitaire vacilla, puis un éclair fendit le ciel — réponse muette d’un univers qui, peut-être, l’écoutait encore.

« Oui… Ce n’est qu’une question de temps. »

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