Lettre 2- port de Salemne, deuxième port de la nation Magique d'Elesium, le 14 Floram 1900

 

Mon cher cousin,

Je suppose qu’à cette heure, tu as eu vent de la tempête cataclysmique qui est en train de s’abattre sur la mer Caucasienne. Il m’est en conséquence apparu des plus sages de te donner des nouvelles de mon expédition et par la même occasion, de te tranquilliser sur mon sort, même si comme tu t’apprêtes à le découvrir, cela s’en est tenu à peu.

L’affaire est tout bonnement surréaliste et personne n’aurait pu raisonnablement prédire le déroulé de cette journée abominable que fut le 13 Floram. Notre traversée a pourtant débuté sous des vents favorables, et bien que notre équipage fut des plus inquiet, rien ne laissait présager autre chose qu’un voyage des plus paisible. La mer était si calme que le ciel se reflétait à sa surface, le vent était doux, frais, et le Meriel avait pris sa place dans le ciel.

Pourtant, pas six heures heures après notre départ, notre capitaine fut pris d’un tremblement nerveux des plus embarrassant et bien qu’il finit par revenir à lui même par les bons soins de Madame Relata, était emprisonné dans un tel état de confusion qu’il lui était désormais impossible de conduire décemment notre navire, et ce rôle reposa alors sur les épaules de son fils. J’émis de suite des réserves quand à cette décision, car le jeune garçon, du haut de ses dix-neuf ans, me semblait bien trop jeune et assez froussard, pour ne pas dire limité. Je m’attendais à être suivi du reste de notre équipage, mais ce ne fut pas le cas et alors que je perdis patience, un des marins finit par me prendre à part. Il m’informa que les le Drian étaient parmi les plus respectés dans le Finnisterre, que pour en être jeune, le Drian fils n’en était pas moins compétent. Il était même un volontaire assidus des gardes-côtes, et l’on ne comptait plus le nombre de bateaux qu’il avait ramené à bon port, et qui se trouveraient sans son intervention au fond de l’océan. Bien que cela tranquillisa certaines de mes craintes, je jugeais tout de même bon d’émettre certaines réserves. Les pictes sont après tout connu pour leur exagération sans borne et je craignais que cette flotte de navire sauvée par ses soins au fort de la tempête ne se révéla en vérité être quelques chaloupes entrainées au large lors de la marée.  Bien que je m’évertuais de demeurer poli alors que je nommais mes réserves, mon interlocuteur ne jugea pas adéquat de me rendre la pareil et finit par me répliquer d’un ton on ne pouvait moins aimable que je pouvais moi-même prendre le gouvernail s’il me plaisait, mais que je devrais le faire seul car l’équipage préfèrerait suivre un le Drian sur une chaloupe qu’un Ésotéricien, fut-il sur un caravelle.

Cela ne me plut pas des moins, et je m’apprêtais à percer son esbroufe quand mon secrétaire Arnold me fit remarquer que le Drian Fils avait pris la barre depuis une bonne demi-heure et que tout semblait se passer correctement. Je décidais alors de prendre sur moi, bien que cela me couta. Il est assez pénible de toujours devoir réaliser des concessions pour laisser la bonne entente régner, mais comme mon interlocuteur n’en était visiblement pas capable, cette tâche indigne me revenait. Je m’assurais cependant de conserver sur le jeune garçon un oeil vigilant, espérant par-là prévenir toute catastrophe en lui prêtant un avis avisé si la nécessité l’exigeait. Comme tu le sais, j’ai après tout longuement étudié les fluctuations de courant lors de mes jeunes années d’université, j’étais donc confiant que mes connaissances pourrait compenser d’éventuelles lacunes liées au manque d’expérience de son jeune âge.

Pour ma plus grande surprise, le garçon ne jeta pas un seul regard à sa carte des courants silharays, se contentant de hausser les épaules quand je le lui fis remarquer. Il n’aimait pas, me dit-il, se fier à une carte si performante fut-elle, elle n’était jamais à la hauteur de ses observations. À nouveau, je tentais de remonter mes craintes, de la manière la plus bienveillante au possible. Les cartes silharisiennes sont après tout le fruit de recherches ésotériques des plus poussées, capable de suivre les caprices de la mer avec une précision légendaire. Il ne trouva visiblement rien à dire, probablement conscient de l’absurdité de la situation, et se contenta de hausser les épaules avant d’avertir un de ses compagnons pour me conduire hors de la cabine.

Je demeurais un certain temps taciturne, de voir la sagesse bafouée de la sorte par une jeunesse si ignorante et rien ne semblait pouvoir percer ma morosité, pas même la perspective de notre expédition, comme Arnold m’en fit le récit. Je demeurais ainsi, fixant l’horizon sans grande passion, mais ce fut grâce à cette vigilance que je remarquais que nous nous étions détourné de notre cap. J’y vis là la preuve que mes craintes étaient fondées, et me dépêchais d’en avertir un membre d’équipage et pour ma stupéfaction, il ne semblait pas surpris.

Je m’en étonnais fortement, aussi, de cet air exaspéré des campagnes profondes, dépourvu de convenance, il m’indiqua que nous n’allions pas au port principal d’Elesium, le Pyréeus, mais jetterions l’ancre à celui de Salemne pour la nuit. Je m’en offusquais immédiatement de ce contre-temps qui nous ferait manquer le départ du Nautilus de la semaine, mais il ne s’en préoccupa pas. Il se contenta d’ajouter que le capitaine -comme si ce jeune homme en méritait les honneurs- avait un très mauvais pressentiment et qu’un contre temps valait mieux qu’un voyage sans retour sur le fond marin.

Je n’eus pas le temps de protester outre mesure que le vent se leva. La mer alors changea du tout au tout et avant peu, notre expédition se retrouvait serrée en fond de bateau. Notre navire fut secoué d’une telle manière que bon nombre de mes éminents confrères rendirent leur déjeuners. L’odeur était telle que je jugeais indigne de demeurer bien plus longtemps et parti me réfugier dans la cabine. Les membres présents étaient si terrifiés qu’ils ne me préfèrent d’abord aucune attention. Et quel spectacle qu’était-ce là mon cousin! Le ciel était noir encre, parfois illuminés de d’éclairs assourdissant, et rien, ni le Meriel, ni même les rayons ardent du Nerub n’étaient visible dans le ciel. L’horizon elle-même semblait avoir été engloutit par ce nuage aux proportions inouïes. Le ciel nous avait abandonné à la merci des océans, qui bouillonnaient désormais, prenant le contrôle du navire, nous tirant vers les couloirs cisaillant des courants silharays. L’équipement affichait des données si inouïe et stupéfiantes! Du quatre neuf sur trois pieds, des Cyclades volumineuses en contre champs, ils étaient visiblement endommagés par les intempéries. La carte elle même était déréglée, le temps évoluant probablement trop vite pour lui permettre de suivre l’évolution marine. Les couloirs neutres sautaient d’un cadran à un autre, de gigantesques tourbillons se formaient sur des lieux entières pour disparaitre une minute plus tard, et des bandes sombres apparaissaient de temps à autres.  Si de telles phénomènes avaient été réels, cela aurait signifié que des murs d’eaux de près de soixante pieds se formaient en quelques instants pour se défaire ensuite de manière toute aussi insignifiante, ce qui est impossible.

Le Drian fils eut toutes les peines du monde à arracher notre navires aux courants, et par trois fois, des volutes se formèrent entre les couloirs transversaux et nous. Par trois fois je crus ainsi mourir, sentant le bateau crisser face à la force de la tempe^te, nous tractant sans la moindre pitié vers cette ligne écumante, qui aurait sans le moindre doute coupé net notre bateau en deux. Ton cousin se trouvait dans un tel état de terreur qu’il en perdit la parole, et laissa ce jeune homme livré à lui même.

Par je ne saurais dire quel miracle, nous atteignîmes le port en un seul morceau, et à temps. On avait ici également été pris de court par la tempête et la capitainerie accueillait du mieux qu’elle pouvait les quelques chanceux ayant parvenu à s’extirper des éléments. On nous annonça alors que la tempête devait durer au bas mot trois jours et que les dispositions seraient prises afin de nous loger au mieux. Si les marins et les omegs de notre expéditions acceptèrent avec empressement cette solution, je ne pouvais m’y résoudre. L’idée de passer quelques jours dans un tel port ne m’enchantait guère, et je refusais catégoriquement d’être conduit dans une auberge populaire. Je fus bien loin d’être le seul, mon expédition refusa de même, chère Realta jugeant cela tout bonnement indigne. Le Drian fils, après avoir conduit son père à la maison de santé, revint pour tenter de me convaincre, que la Capitainerie devrait faire face à un tel flux de rescapés qu’abuser de leur hospitalité ne serait pas aimable. Je trouvais l’argument faible, car aucun navire ne pouvait plus espérer arriver à bon port, pas quand les éléments s’acharnaient de la sorte.

Je n’eus pas tôt fait d’exprimer des paroles que la raison ne pouvait désavouer qu’une femme s’évanouit non loin de là. Elle était arrivée à bout de souffle et dans un état si lamentable que je ne lui avais pas prêté attention. Elle eut bien tôt fait de reprendre connaissance, et tenta de nous expliquer, dans un état d’hystérie propre à son sexe, que sa fille avait pris la mer dans la matinée, à son insu, et qu’elle n’était toujours pas rentrée. Je tentais alors de lui expliquer, de la manière la plus délicate possible, qu’elle ne pouvait raisonnablement espérer revoir sa fille, mais le Drian fils illustra son manque d’éducation en m’envoyant un coup de pieds bien méchant dans la jambe. Il questionna alors en détail la femme quand à la position éventuelle de sa fille, du cadrant entre autre, dans lequel il pouvait espérer la trouver, avant d’aller trouver le primark à la capitainerie. Je ne l’appris que plus tard, sans quoi j’aurais émis de grande réserve, mais l’idiot avait demandé une permission extraordinaire de quitter le port afin d’aller chercher la malheureuse, et pour ma plus grande stupéfaction, on le lui accorda.

C’est ainsi avec tristesse que je t’écris, assis sur une caisse, dictant mon Courier du mieux que je le peux malgré ce vent assordissant, sans lit ni bureau, et sans doute, sans aucun capitaine vivant ou en état de nous mener à destination,

Ton cousin,

Gloire au Roi! Gloire à la Medelvie!

Docteur Ernestin d'Ortorik, professeur titulaire à l'Université Normale de Medelvie, directeur du département d'Anthropologie des Sociétés Pré-Cassiniennes, phD "Inter Dunum et Mare: Studium Societatum Heredum Regni Ba'hsim Contra Kartaris Minam."

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