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Mon cher protecteur,
Vous me voyez à la fois infiniment soulagée et profondément consternée. Soulagée d’avoir enfin de vos nouvelles, de savoir que vous n’ignorez plus rien de ma situation ; consternée par le ton que vous employez à mon endroit.
Est-ce de l’ironie que j’ai cru percevoir dans votre billet ? Vous ne pouvez faire ainsi fi de mon désarroi, vous n’en avez pas le droit. Oui, mon carrosse s’est envasé mais, si l’on réfléchit bien à la chose, n’est-ce pas un peu de votre faute ? N’êtes-vous pas celui pour lequel je me suis enfuie si loin de chez moi, sur une simple foucade ? Jamais je n’aurais perdu mon chemin depuis la ville si vous vous étiez davantage soucié de moi.
Mais je me rends compte à présent de ma niaiserie. Vous m’avez délibérément éloignée de mon existence citadine, vous m’avez dévoyée vers les marécages.
Je vous croyais mon bienfaiteur et vous étiez mon tourmenteur.
Est-ce donc ma fin que vous souhaitiez ? Non, je ne le pense pas. Vous êtes homme trop raffiné pour vous abaisser à cela.
Cette gentilhommière à l’abandon, près du naufrage de ma calèche : elle est de votre fait, n’est-ce pas ? Ce rustre qui s’occupe de mes premières nécessités, c’est vous-même qui me l’avez dépêché, je ne me trompe pas ?
Vous avez orchestré mon exil, mais vous ne désirez pas que je meure.
Mes mains tremblent si fort tandis que je vous écris ces mots ! Je ne m’explique pas cette colère, vous aurais-je offensé, vous mon seul et unique ami ?
De grâce, répondez-moi ! Si je devais comprendre que je vous ai irrémédiablement déplu, que vous ne voulez plus jamais avoir de commerce avec moi, alors je mettrais moi-même un terme à mes jours.
Est-ce là votre souhait ?
Votre affectueuse amie
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