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Mon cher protecteur,
Il m’a fallu vous relire plusieurs fois avant que d’être capable de mûrir ma réplique ; car des suites, il y en aura toujours dorénavant, je vous en fais le serment.
D’abord votre mouvement de colère, ensuite cette glaciale indifférence : vous m’avez abîmée dans le désespoir, monsieur. Je suis descendue dans les jardins, je me suis écorchée aux ronces des mûriers, j’ai poussé les grilles du castel, j’ai vagabondé jusqu’à l’orée des marais. J’ignore les chemins sans embûches qu’emprunte chaque jour mon sauvage : il ne manquait plus que quelques pas au hasard et j’étais morte.
Mais la paix est descendue sur moi en même temps que le soleil qui, pour la première fois, a dispersé ce méchant brouillard.
Je me suis aperçue, monsieur, que la nature autour de moi a changé depuis que mon fiacre, ainsi que tout son équipage, s’est échoué dans cet enfer. Les eaux sont moins nauséabondes, l’air a perdu de son remugle, le ciel s’est épuré. Oui, quelque chose s’anime et j’ai interprété cela comme un signe.
Je ne ressens plus ni amertume, ni rancœur, ni mortification, à présent que je vous écris.
Je suis libérée de vous et vous de moi, m’avez-vous affirmé ? C’est chose impossible, je le sais à présent. Je hanterai toujours votre présent comme vous n’avez jamais cessé de peupler mon passé. Parce que nous sommes, vous et moi, unis par un lien plus fort que l’amour, que la haine et que toutes les trivialités humaines, un lien que seule votre mort saura rompre. Votre mort, monsieur, et non la mienne.
Vous savez la nature de ce lien.
Je ne nie pas les vices dont ma chair est pleine, je ne conteste pas mes libertinages passés. Je sais que je vous ai heurté en échappant ainsi à votre coupe mais vous ne pouvez pas me jeter la pierre.
Que me reprochez-vous exactement ? Serait-ce cet officier royal sous les assauts duquel ma pudeur a autrefois cédé ? Seraient-ce ces salons honteux auxquels je n’ai pas eu la force de me soustraire ? Seraient tous ces « non » que je n’ai pas su dire pendant qu’on m’acculait au péché ?
Vous savez, aux tréfonds de votre âme et conscience, qu’il n’y a rien que je n’aie fait sinon pour vous et par vous. Je me suis corrompue pour l’amour de votre personne et vous avez pris du plaisir à cela. Votre dignité, votre œuvre, votre existence entière se délitaient, mais vous vous complaisiez dans mes déchéances.
C’est cela, la vérité crue que vous refusez de contempler en face.
Je vais vous faire une dernière confidence. Je me suis donnée sans vergogne à mon sauvageon, sur la table même où il me dépose chaque jour son panier sans piper un mot. Pendant qu’il me pénétrait les chairs en silence, c’est votre nom que j’ai crié.
Et je sais qu’en vous écrivant cela, je vous répugne moins que je ne vous enflamme.
Je suis vôtre, à jamais, mon cher protecteur. Je suis vôtre et vous êtes mien.
Votre affectueuse amie
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Sinon, magnifique. J'adore.