L’expédition

Quatre jours, c’était très court. Lorsque Chris annonça que c’était le moment, les six explorateurs étaient déjà en tenue, chez Tony, prêts. Strada couva d’un long regard sa ville avec un pincement au cœur. C’était la dernière fois qu’il posait les yeux sur ces rues vides. Il ne savait pas s’ils ressortiraient ou pas, s’ils survivraient à l’opération, mais une chose était certaine, ils arrivaient au bout. 

C’est Tony qui trouva l’emplacement du portail en premier. Il était au-dessus de l’océan, mais aujourd’hui, ce n’était pas grave. La camionnette conduite par Samuel les emmena au bord de l’eau et ils s’élevèrent grâce à leurs jetpacks jusqu’au couloir pas encore tout à fait formé. 

— Ça me soulève ! pouffa Strada. 

Il avait rigolé comme un gamin chaque fois qu’il avait testé ce truc pendant les préparatifs et il n’y croyait toujours pas. Cela faisait rire tout le monde et détendait l’atmosphère. 

Devant le portail, ils enfilèrent leurs lunettes. Pour la plupart, elles étaient normales, seules celles de Camille avaient été changées. Son interface montrait les canaux des limbes comme il en avait rêvé avec une boussole intégrée et presque un GPS, même si c’était lui qui avait programmé l’itinéraire et patiemment tracé les voies. Il avait proposé l’innovation aux autres, mais les guerriers avaient été unanimes, les indications réduisaient leur champ de vision, ils ne pouvaient pas l’utiliser. Peu importait, ce serait lui qui les guiderait, plus habitué à ce genre de technologie. Et en cas de problème, Chris en avait une deuxième paire dans son sac, et Didier en gardait un exemplaire directement autour du cou. 

Les monstres étaient nombreux cette fois. Ils avaient à peine trouvé le premier couloir bouché qu’ils avaient déjà abattu deux spectres. C’était pourtant rare d’en voir comme ça, dans les limbes. Camille leur fit renoncer à cette entrée pour aller plus loin, et à la suivante Strada activa une foreuse sonique en direction du sol. Dès que la machine se mit en marche, les cristaux explosèrent sous les pieds de Strada et il dut continuer à creuser tandis que Tony et Chris le tenaient chacun par un bras en volant au-dessus du vide. C’était extrêmement rapide, rien à voir avec les coups de masse. 

L’attaque les prit par surprise alors que Tony, Strada et Chris s’enfonçaient dans les profondeurs. Le démon surgit des couloirs et s’arrêta juste derrière Camille. Sam tira et manqua de toucher Camille tandis que la créature esquivait. Ils luttèrent tous les trois, regroupés, ne laissant aucun angle mort. 

— Démon ! cria Didier pour les autres. 

Aucun d’entre eux ne semblait les entendre à cause des vibrations de la machine et du vacarme des cristaux qui explosaient. 

— Là ! hurla Sam.  

Le monstre revenait à la charge. Il se retrouva tout à coup entre eux trois. Camille échappa de justesse à une poigne féroce. Le démon avait l’air furieux, le visage déformé, enragé. 

— Attends ! l’interpela Camille en lui faisant face. Calme-toi ! 

Chris surgit du trou à cet instant et tomba sur la créature qui disparut de sous elle pour réapparaitre au-dessus, prête à frapper, mais elle s’était déjà retournée et tira en plein visage. 

— Non ! s’interposa Camille. Non, attends ! 

La lutte continuait, très rapide et violente. Strada et Tony ressortaient du gouffre à leur tour, l’arme à la main. 

— Chris ! cria Camille. 

Il gémit et écarta les bras. 

— Je… Je suis infecté. Aide-moi à me libérer, ça devrait le calmer. 

Chris se précipita vers lui le poing serré et donna un coup puissant. Camille avait fermé les yeux pour ne pas se défiler, mais le choc ne vint pas. Chris n’avait pas eu à le frapper, le démon qui le possédait l’avait déjà délivré et un rictus moqueur déformait ses traits. 

Durant plusieurs secondes étranges, plus personne ne bougea, ni homme ni démon. Puis le démon des limbes se jeta sur celui de Camille qui prit rapidement la fuite. Le premier rattrapa le second et un combat dangereux s’engagea. 

— À couvert ! intervint Tony. Sautez !

Les six explorateurs s’élancèrent dans le vide tandis que la chaleur grimpait autour d’eux et qu’une lutte brutale se jouait au-dessus d’eux. 

— Putain Camille ! gronda Strada choqué. Qu’est-ce que c’est que ces conneries !

— Pardon, chef, haleta Camille tandis que le jetpack freinait leur chute. J’ai pas eu le choix. On… on s’expliquera plus tard.

Il soupira tandis qu’ils retrouvaient la terre ferme au fond du gouffre. 

— On a perdu un temps précieux, remarqua Sam placide. 

— On se sépare ici, rétorqua Camille. Sam, Didier, bonne chance. 

Les deux explorateurs hochèrent la tête. Tony, Strada et Chris entourèrent Camille. 

— Tu peux parler en avançant, affirma Chris en le prenant par le bras pour l’emporter sur la rampe qui partait vers les profondeurs. Et garde le jetpack pour assurer notre sortie. On n’en a pas besoin pour descendre. 

Camille gémit, mais se laissa entrainer. 

— Ok, OK. Chris… 

Strada et Tony suivaient, ils couraient désormais sur la pente. Camille savait déjà grâce à son GPS ce qui s’annonçait droit devant. 

— Un gouffre, prévint-il effrayé. Un fichu gouffre profond ! 

— Explique ! intima Strada. Tu étais infecté par un démon et tu n’as rien dit ?

— Et tu es allé le chercher en toute connaissance de cause ? insista Tony qui avait l’air furieux. Est-ce que tu n’as rien appris de tout ce qu’il s’est passé ici ? 

— Si ! se défendit-il. Justement, bien sûr que si ! Mais je n’avais pas d’autre choix. Je savais où était le démon parce que l’ordinateur que Chris m’a rapporté des limbes, c’était le sien. Je ne pouvais pas en être sûr à cent pour cent, mais… bref. Je connaissais tout de lui. Je n’avais aucune idée de la meilleure façon de procéder, je me doutais que je serais seul et qu’on aurait besoin de lui. Mais… Strada et moi on a reçu l’antidote du docteur et… 

Il hurla quand ils chutèrent, mais fit de son mieux pour se calmer et les prévint en comptant les secondes qui les rapprochaient du sol. Ils se freinèrent avec les jetpacks et terminèrent de descendre au grappin. 

— J’ai vu Strada être infecté par un spectre et l’expulser d’un simple cri, continua-t-il essoufflé. Alors une fois devant le démon, je… je lui ai montré une photo agrandie de l’autre, son frère dans les limbes, une image prise par les lunettes. Je lui ai aussi parlé de l’endroit qu’a filmé Tony avec les milliers de créatures comme lui. 

— Et tu t’attendais à quoi ? râla Chris, à ce qu’il se mette à pleurer et qu’il te supplie de le ramener chez lui ?

— Et bien… c’est en gros ce qu’il a fait. Ma théorie, c’est que le démon qui rôdait vers la sortie des limbes cherchait celui-là. Et je ne sais pas trop comment il a déterminé que j’étais sa meilleure chance d’y arriver, mais c’est pour cela qu’il me tournait autour. Celui-là m’a infecté, mais… c’était bizarre, je sentais rien. J’avais pas l’impression de l’être, j’avais aucun moyen de m’assurer que je l’étais. Par contre, je savais une chose, c’est que si je vous disais ce que j’avais fait, vous n’alliez pas simplement faire comme si de rien était. Je me trompe ? 

Personne ne broncha, mais Camille comprenait bien qu’il les avait mis en colère, il le constatait aussi à leur allure qu’il peinait à suivre et que Chris lui imposait en le tirant par le bras. Si retard ils avaient, à ce rythme il serait comblé en un rien de temps. Strada détruisait des pans entiers de cristaux sans s’arrêter. Ils courraient depuis longtemps lorsque Chris annonça d’une voix forte : 

— Point de non-retour. Si on continue, on ne sera jamais à temps à la sortie. 

Pourtant sans la moindre hésitation, ils redoublèrent de vitesse. 

— Tu es cinglé, murmura Chris alors qu’ils pénétraient dans une caverne tapissée de larves. Je n’aurais jamais dû te laisser seul. 

— Bah pour le coup, j’aurai préféré ne pas l’être, admit-il. Mais est-ce que j’avais le choix ? 

— Tu aurais dû me demander de te suivre. Je l’aurais fait. J’étais prête à le faire. 

— J’aurais dû, approuva Camille. C’est ma plus grosse erreur. C’est pour ça que quoiqu’il arrive désormais on ne se sépare plus. 

Il sursauta presque quand son père lui passa une main dans les cheveux. 

— Je rêve d’une petite vie tranquille. Je veux redevenir assureur, affirma Tony d’un air fatigué. 

— Un peu de patience, sourit Strada. Quand tu seras derrière ton bureau à compulser de la paperasse indigeste toute la journée, tu te souviendras de ce moment et tu regretteras cette ville, son soleil, ses palmiers, le silence de ses rues, la beauté de son ciel de nuit… 

— Sûrement, rit Tony. Mais pas ses limbes, ses tremblements de terre, les attaques de spectre, les alertes plusieurs fois par semaine… 

— Ah ça… La perfection n’existe pas. 

Le cœur semblait toujours aussi loin malgré leur allure folle. Camille guidait Chris chaque fois qu’elle déviait de la trajectoire, ce qu’elle faisait de moins en moins tandis qu’ils se rapprochaient. Sa carte n’était déjà plus d’aucune utilité, seule sa boussole restait opérationnelle. Puis enfin, ils tombèrent sur quelque chose. Strada venait de détruire un mur qui n’était pas dur, mais gluant comme si le cristal commençait à fondre. La chaleur était tel qu’ils ne pouvaient plus parler depuis un moment, mais dès que ce mur fut explosé, tous sentirent un vent brûlant qui attaqua leur visage, les poussant à se protéger derrière leurs bras. 

Tony leva le pouce vers le haut. Camille se rapprocha et se pencha vers l’ouverture. Il ne put qu’entrapercevoir l’énorme œuf de cristal couvé par le magma au fond d’une caverne immense. Alors il se tourna vers son père qui lui offrit son sac. Il en sortit la bombe, petite boule dans une matière dure et rugueuse munie d’un écran et de quelques touches imperméabilisées. 

— Je… J’espère que ça va pas nous sauter à la gueule à cause de la chaleur, haleta Strada. 

— Qui d’entre vous lance le plus fort ? demanda Camille. 

— Strada, assura Chris. 

— Chris vise mieux, rétorqua Strada. 

— Le plus loin que vous pourrez, expliqua Camille. Si possible pas dans la lave, ça augmenterait nos chances de survie. Il tendit la bombe devant lui. Strada et Chris se consultèrent du regard, Chris finit par la prendre. Elle se plaça en plein dans le vent brûlant, estima la distance et lança de toutes ses forces. Personne n’attendit de savoir si elle avait réussi et tous se précipitèrent sur le chemin du retour. 

— Un quart d’heure, pas une seconde de plus, annonça Camille. 

— De toute façon, dans un quart d’heure, nous mourrons brûlés vifs, rétorqua Chris. 

Elle ouvrait la marche. Elle montait avec son jet-pack et se servait de son grappin pour augmenter l’allure. Ils avaient tellement de route à faire en sens inverse que Camille en avait le vertige, mais ils n’avaient pas le temps de paniquer. Ils avaient tous la gorge sèche et la langue gonflée, le souffle douloureux, et l’angoisse aussi solidement ancrée en eux que s’ils étaient infectés par un spectre en pleine crise de Terreur. Camille suivait les secondes sur ses lunettes et les voyait diminuer trop vite, se brouiller, les chiffres qui étaient la majeure partie de sa vie lui faisaient défaut et il avait du mal à en saisir le sens. Sans son père pour le pousser à avancer il ne savait même pas s’il aurait pu continuer. Il ne reprit ses esprits qu’en entendant un énorme bruit de choc. 

— Là ! hurla Didier. 

Avec Sam, ils avaient capturé un de ces buffles qui brisait l’espace et Sam faisait du rodéo avec tandis que Didier tentait d’attirer l’attention de la bête en direction des guerriers pour le rapprocher toujours plus du vide. Tous dégainèrent leurs armes et tirèrent en même temps. Derrière eux, une explosion brutale fracassa d’un coup tous les cristaux autour d’eux et provoqua un gigantesque tremblement de terre. Chris arriva la première à la faille qui venait de s’y créer. Elle attrapa Didier et le jeta à l’intérieur, elle fit passer tout le monde alors que tous se ruaient vers la sortie. Elle hurla de douleur, frappée de plein fouet par un vent brûlant, et sauta par le portail à l’instant où la vague de feu le brisait.

À la fournaise succéda un stupéfiant silence ainsi qu’un froid glacial, un choc brutal et une étrange apesanteur. C’était trop violent, trop en une seule fois, elle perdit connaissance.

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Raza
Posté le 15/08/2025
Coucou, c'est eeencore moi !
Alors, le GPS sous terre, je dis non !
Et je suis désolé je dois être écrasé par la chaleur mais je n'ai rien compris à cette histoire de deuxième démon. :/ il s'est passé quoi en fait, et dans ce chapitre, et dans le flash-back de Camille ?
Sinon, cliffhanger <3
À bientôt !
Solamades
Posté le 08/09/2025
Ok, je te l’accord, c’est tout sauf un GPS, je n’aurais pas dû utiliser ce nom là.
Pour cette scène, visiblement, ce n’est pas clair, je vais revoir ça. Mais pour faire simple… un démon s’est approché du groupe et Camille a refusé qu’on intervienne. Pourquoi ? Parce qu’il veut le faire tout seul. Parce qu’il s’est encore cru plus malin que les autres, il a en lui le 1er démon, celui qui s’est sauvé dans le monde extérieur dès l’ouverture du tout premier portail (récit de Strada). Il parvient à tenir bon grâce à un truc qu’il a pris et qui lui permet de rester complètement lucide malgré la possession : la panacée du dr Daniels ( Strada a déjà testé, juste devant lui ).
À force d’étudier ce qu’il se passait avec les spectres, Camille à envisagé l’idée que ce qui attire le 2e démon, c’est le 1er, et que s’il lui ramène, ils se barreront tous les deux.
Quand les deux démons sont face à face, ils s’affrontent un peu ( genre… mais putain t’étais passé où tout ce temps !!! ) et ils partent ensemble.
Dernière chose, pourquoi Camille est possédé ? Parce qu’il savait grâce à son ordinateur dont il a volé la réplique dans les limbes que le 1er démon était à la tête de l’organisation qui s’occupait d’Eïr. Il l’a confronté, en essayant de pratiquer la «dépossession» comme le fait Chris. ( d’où le fait qu’il se soit fait chopper et enfermer ). Sauf qu’il a réussi, et que le démon a bel et bien changé de corps.
Je me rends bien compte que c’est beaucoup d’informations à peine suggérées, vraiment, il faut que je revois tout ça.
J’espère que j’ai pu éclaircir tout ça, et merci de me faire remarquer quand ça n’est pas clair, j’ai encore pas mal de travail sur ce texte.
Raza
Posté le 08/09/2025
Coucou ! Effectivement c'est plus clair mais ça va te nécessiter du boulot oui ^^
Merci pour ces explications ! (En relisant mon commentaire je le trouve lapidaire à souhait, j'espère que tu as bien compris que c'est parce que j'ai voulu tout avaler un peu vite)
Solamades
Posté le 09/09/2025
Tkt <3 
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