L'histoire de Téra

Par Nascana
 

Zan, intrigué, se demanda ce que Téra pourrait bien lui montrer. La fillette se leva et regarda le mort droit dans les yeux. Elle eut un sourire rassurant, puis déclara :

-Il faut que tu fermes les yeux !

Docile, Zan obéit. Il ne vit d’abord rien, ce qui paraissait logique puisqu'il fermer les yeux. Puis des couleurs apparurent, suivies par des formes. Le tout prit la forme d’un paysage, et plus particulièrement d’un village.

-C’est ton village ?

-Oui !

Le Mort-vivant fut surpris par les pouvoirs de Téra, ils étaient déjà d’une grande puissance. Beaucoup de mages en auraient été jaloux. En effet, l’enfant réussissait déjà à organiser ses pensées de façon à faire revivre ses souvenirs aux autres.

-Où as-tu appris à faire revivre tes souvenirs ?

-Ils m’ont montré comment faire !

-Qui donc ?

-Ceux qui ne sont plus et que l’on oublie, peu à peu. Mais arrête de poser des questions, si tu veux savoir pourquoi je suis ici !

-Oui.

Zan s'exécuta. A nouveau, des images s’imposèrent à son esprit. Un grand nombre de visages défilèrent devant lui, le plus mystérieux étant qu’il connaissait ces personnes. Pas personnellement, mais au travers des souvenirs de Téra. Il savait que la femme blonde au visage sévère était la mère de la petite fille, que l’homme bien en chair et toujours souriant tenait l’auberge du village…

Le Mort-vivant était un peu gêné par ce qu’il voyait, il avait l’impression de lire toutes les pensées personnelles de la petite fille mais en fait, elle contrôlait parfaitement les images qu’elle montrait. Zan se laissa donc balader dans les souvenirs d’une autre personne.

Il vit de multiples moments de vie au village. Là-bas tout semblait rythmé par les rires, les cris de joie et les chants. La vie paraissait simple et heureuse. Zan eut un pincement de cœur en songeant à tout ce qu’il avait perdu. Pourquoi avait-il fallut qu’il se réveille d’entre les morts ?

Soudain les images qui filaient à une vitesse folle s’arrêtèrent sur une. Le Mort-vivant put contempler le petit village comme jamais il ne l’avait vu dans les précédents souvenirs. Il paraissait vide, comme si tous les vivants l’avaient déserté. Le ciel était gris et ne laissait présager rien de bon.

Le pire dans tout ce paysage était le silence. Un silence pesant, qui semblait près à tout engloutir. Zan ne comprit d’abord pas ce qui avait pu se produire, puis il vit les cadavres allongés sur le sol.

Il se souvint alors que les Mort-vivants avaient prévu de tester une nouvelle sorte de peste sur un petit village des environs. Sûrement celui de Téra. Et la fillette s’était retrouvée seule dans un village rempli de cadavres. Comment survivre dans de telles conditions ?

Elle ne pouvait quitter l’endroit pour un autre village, sous peine d’être attaquée par des créatures en chemin. Elle n’avait pu qu’attendre. Attendre sagement que l’on se préoccupe d’elle. Attendre que quelqu’un l’arrache à cet enfer terrestre. Qu’avait fait Téra pendant tout ce temps ?

-Téra, c’est affreux ! Tu es restée seule pendant combien de temps ?

-Juste quatre jours, déclara courageusement la petite fille.

-Quatre jours ! Mais qu’est-ce que tu as mangé pour survivre ?

Zan savait pertinemment qu’après une peste, tous les aliments présents à ce moment devenaient immangeables pour les vivants. Seule, sans nourriture, dans un village plein de cadavres, cela tenait du miracle que la fillette ait réussit à survivre.

Le visage de Téra s’assombrit.

-C’est pour ça que je suis ici !

-Parce que tu es la seule survivante du village ? hasarda Zan.

Téra secoua vivement la tête.

-Non c’est parce que…mais c’est pas ma faute c’est eux qui me l’avaient demandé…ils ne voulaient pas que je meure…

Téra se mit à pleurer et Zan la prit dans ses bras pour la consoler. L’enfant enfouit son visage dans la chemise noire du Mort-vivant. Celui-ci lui caressa la tête gentiment.

-Ce n’est pas grave, si tu ne me racontes pas la fin de l’histoire, je m’en passerai. Cela n’a pas d’importance !

-Je vais finir ! déclara avec force Téra. Une histoire pas finie, n’est pas une bonne histoire !

Téra prit une grande inspiration, avant de reprendre son récit. Toutefois, elle ne montra plus d’images. Les mots semblaient pourtant avoir du mal à sortir de sa bouche, de manière ordonnée.

-Je les ai mangés !

-Qui ?

-Les cadavres… ils ne voulaient pas que je meure, alors ils m’ont dit que je devais les manger pour survivre et je l’ai fait. Je n’ai jamais été seule, mes amis sont restés avec moi jusqu'à ce qu’on me trouve. Ils étaient gentils et s’inquiétaient pour moi.

Zan comprit que pendant les quatre jours infernaux que la petite fille venait de passer, elle n’avait jamais été seule grâce à son don de « vision véritable ». Ses amis étaient restés pour elle. Elle leur devait la vie car sans eux, elle n’aurait jamais osé manger de chaire humaine et serait morte de faim.

Malheureusement, les conventions interdisent de goûter à la chaire de sa propre espèce. Les choses étaient encore plus graves, en ce moment même, alors que la guerre entre Mort-vivant et Humain faisait rage. Le cannibalisme était, en effet, une pratique très répandue parmi les Réprouvés.

Zan, lui, n’y avait jamais eu recours et cette pratique lui soulevait le cœur ou du moins, ce qu’il en restait. Mais il comprenait la nécessité pour Téra de recourir à cette pratique.

-Je suis ici, parce que personne ne sait quoi faire de moi… déclara tristement l’enfant. Ils ont peur, je crois ! Ou ils sont dégoûtés !

Zan serra la fillette contre lui. Ce jugement lui paraissait tellement injuste. Il s’agissait d’une petite fille et d’un cas d’extrême urgence. Des adultes faisaient des choses pires, mais eux étaient protégés par leur argent ou par des relations haut placées. Le Mort-vivant se dit qu’il avait oublié cet aspect des choses. Finalement, l'être Humain n’était peut-être pas aussi enviable que ça.

-Tu veux toujours bien être mon ami ? Même après ce que j’ai fait ? demanda d’une petite voix apeuré Téra.

-Bien sur ! On sera toujours ami ! Malgré tout ce qui pourra arriver et si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, je serai toujours là pour toi ! Toujours ! déclara Zan d’une voix nouée par l’émotion.

-Toujours, répéta la fillette.

 

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