Les arbres se noyaient dans un noir d’encre. Le seul signe annonçant leur présence était la brise qui faisait gémir leur écorce et agitait leurs branches. Alors qu'il courait vers la maison qui n'était qu'une masse sombre devant lui, Thomas Assiniwi respirait à grands coups l'odeur de neige printanière qu'il piétinait sous ses pas. Les effluves d'écorce d'épinette mêlées à celle des aiguilles du sapin baumier lui montaient à la tête. Pourtant, arrivé devant la demeure de Joshua, le sculpteur, il s’arrêta brusquement. Il laissa ses oreilles tenter de donner un sens au silence de la nuit profonde. Il n’y avait rien, pas un son, pas même l’écho d’une respiration. Le coin était isolé, reclus, et un ermite dans le désert aurait eu plus de compagnie. La route sur laquelle il se tenait continuait sur quelques kilomètres, jusqu'à la maison des Mikinawi. Plus tôt, l'air avait vrillé du tapage du couple toujours aviné, mais il y avait déjà longtemps que le silence avait de nouveau enseveli les lieux.
Les autres étaient sur ses traces. Il savait qu’ils étaient excités. Il devinait sans peine que le sang devait leur monter à la tête jusqu'à les étourdir tellement ils devaient avoir hâte de lui tomber dessus. Ils avaient voulu le surprendre alors qu’il déambulait dans un de ses coins favoris, mais malheureusement pour eux, ils avaient été trop bruyants : il s'était esquivé dans la forêt avant qu’ils n’aient eu le temps de s’y retrouver. Thomas les avait entendus se lancer à sa poursuite précipitamment. Il pensait bien avoir réussi à leur échapper, mais il n'en était pas certain. Même s'il connaissait Pitobik et ses alentours comme sa poche après avoir passé des mois à arpenter la réserve, il savait que c'était le cas de tous les jeunes des environs qui avaient dans la peau l’odeur de chaque épinette et de chaque pin qui se balançait dans le vent.
Sans réfléchir davantage, il se glissa sans bruit par une fenêtre entrebâillée. Thomas atterrit dans l'atelier de l'artiste et se tapit dans la noirceur. Pendant de longues minutes, il resta immobile, le cœur menaçant de chavirer à chaque craquement d'écorce qui se répercutait dans l'air nocturne.
Puis, il y eut des bruits de pas broyant la terre qui s'arrêtèrent brusquement sous la fenêtre et il entendit des chuchotements tout près de lui. Des gouttes de sueur glacée coulèrent le long de son échine. Il commença à se douter de l'identité de ceux qui se donnaient tant de mal à le coincer. Derrière la vitre, il pouvait même les voir adossés contre le mur extérieur de la maison, à peine à quelques pas de lui. Il se hérissa.
— Tu penses vraiment qu'il y est?, chuchota une voix nasillarde.
— Il sait que Joshua n'est pas là parce qu'il est parti faire son expo sur la Côte-Nord. Pis en plus, c'est le genre de Thomas d'aller se foutre là où il devrait pas, répondit l'un d'eux d'un ton bourru.
En entendant ces paroles, Thomas eut un bref étourdissement et vit ses craintes confirmées. Simon Naskipi et sa petite bande s'étaient de nouveau mis sur son cas. Il n'aurait même pas dû s'en douter. Il n'y avait que cet enragé pour s'acharner ainsi sur lui.
— On rentre pour voir? demanda l'un de ses sous-fifres de service.
— Non, on attend, décida Simon, je ne veux pas qu'il ait le temps de nous voir arriver. Je veux l'attraper. J'ai des comptes à régler avec lui.
En entendant l'autre se donner des airs de matamore, Thomas grinça intérieurement. Des comptes à régler, vraiment! C'était plutôt à lui de lui faire rendre gorge. Il savait que Simon le haïssait de toutes les fibres de son être depuis qu’ils s'étaient battus et qu'il avait été victorieux. Pourtant, Thomas ne lui avait rien demandé. C'était l'autre qui avait voulu en faire sa tête de Turc à la polyvalente, pensant s’amuser de lui comme il le faisait de ses autres victimes. Or, le jeune homme connaissait bien son modus operandi : insulter sa cible et la faire revoler à qui mieux mieux dans les casiers jusqu'à faire éclater d’un rire bien gras tout le public présent. Pour Simon, il s'agissait d'un moyen simple de mousser sa popularité. La plupart du temps, il choisissait des êtres apeurés qui restaient tétanisés sous la violence de son assaut. Pourtant, la fois où il s'en était pris à Thomas fut celle où il jugea mal son adversaire. Il n'avait pas seulement commencé à lui débiter son petit chapelet d'injures que déjà il avait le nez et la bouche en sang. Incrédule, il avait voulu se lancer sur lui, mais Thomas s’était déjà enfoncé dans la foule. Les spectateurs, amusés de sa déconvenue, avaient refusé de lui céder le passage. Impuissant, il avait menacé le fuyard, lui jurant que la prochaine fois, il le massacrerait. Dissimulé derrière une colonne dans le couloir, Thomas avait bien enregistré le message.
De longues secondes passèrent puis des minutes s'écoulèrent. La tension montait lentement. Pourtant, nul ne bougea. Les jambes de Thomas s'engourdirent et il soupira. Malgré la peur qui l'assaillait, il commença à se lasser d'attendre quelque chose alors que ces idiots embusqués ne savaient même pas qu'ils avaient été repérés. Il se mit à reculer lentement, tâchant de ne faire craquer aucune des fibres du plancher de bois massif. Il tendit ses bras dans le noir et sentit soudainement la texture caractéristique de la pierre froide sous sa paume. Il prit dans ses mains la lourde sculpture de stéatite représentant un ours furieux. Il laissa un instant sa main vagabonder sur la bête statufiée. Elle était douce et lisse. Soudain, un craquement le fit sursauter. Il pivota juste à temps pour voir une ombre plus noire que les ténèbres ambiantes passer sous la fenêtre. Il resserra sa prise sur la sculpture et écouta.
Pendant ce temps, la lune sortit de derrière un nuage et fit briller d’un halo blanchâtre la fenêtre et ses volets. Thomas crut voir un éclat de lumière s’agiter à l’extérieur. Il sut tout de suite ce dont il s'agissait : un couteau. Il entendit alors des pas étouffés derrière la porte à l'autre extrémité de la pièce et comprit. Ils voulaient le cerner, mener une attaque à plusieurs contre lui afin de le laisser démuni face à la pluralité des assauts. La poignée tourna. Il s'approcha en douceur de la porte et tendit l'ours en colère au-dessus de sa tête. Il attendit, mais la porte ne s'ouvrit jamais. Des éclats de voix retentirent, puis ce fut le son d’une débandade générale. Bientôt, les pas de course s’effacèrent dans la nuit et Thomas fit le mort en espérant ne pas être repéré pas ce qui avait fait fuir ses agresseurs. Malgré tout, une voix de femme monta alors de l’extérieur, haute et claire :
- Thomas Assiniwi, que fais-tu encore là? Sors de cette maison et tout de suite!
C’était la voix de Maya Rankin et son ton était las. Thomas la reconnut tout de suite. Il savait qu'elle était membre du corps de police autochtone de la réserve de Pitobik depuis quatre ans déjà.
— Bouge de là, sinon je vais te botter les fesses. J’ai déjà dû dealer avec les Minikawi ce soir et ils étaient pires qu’on troupeau d'oies enragées.
Il ne remua pas. Peut-être que s'il ne sortait pas, cette femme passerait son chemin et qu'elle le laisserait tranquille. Où peut-être pas. Elle avait dû remarquer la bande de Simon détaler comme des lièvres ayant le feu au derrière en voyant sa voiture de patrouille surgir.
— Thomas, je sais que tu es là! insista-t-elle en forçant la voix. À chaque fois qu'il se passe quelque chose depuis ton arrivée à la réserve, tu y es toujours mêlé! Je t'ai souvent laissé aller, mais cette fois-ci, ça ne se passera pas comme ça.
Il ne put s'empêcher de grincer des dents. En effet, Maya l’avait abordé plusieurs fois dans le passé, mais il n'avait jamais été particulièrement enclin à lui parler. Il avait tendance à se murer dans un silence agressif destiné à décourager le plus obstiné de ses interlocuteurs. La dernière fois qu'ils s'étaient croisés, c'était au cœur de mois de janvier. Elle lui avait sorti tout un baratin sur une histoire de vol où il aurait été impliqué. Il savait qu'il n'avait rien fait, mais il n'avait pas cherché à se défendre. Il s'était tenu aussi coi qu’une carpe aphone, ce qui n'avait pas manqué de frustrer la jeune femme. En fait, il trouvait cette policière énervante. Il pensait qu'elle ne faisait qu'encombrer sa vie. Cette fois-là, elle avait eu le bon sens de ne pas insister, mais ça ne semblait pas être le cas ce soir.
— Thomas, sors! Tu veux vraiment avoir affaire à la justice pour de vrai? C'est pas assez comme emmerdement dans ta vie d'avoir décroché de l'école?
Il serra les poings. Cette fille se mêlait définitivement de ce qui ne la regardait pas.
— Si tu ne sors pas, je vais aller te chercher, lança-t-elle vivement.
Dans la maison, l'adolescent resta encore un moment hésitant. S'il pouvait envisager de se mesurer à Simon et ses compagnons, il ne pouvait en dire autant de Maya qui après tout ne méritait pas de recevoir un coup d'ours furieux sur le crâne. Pourtant, Thomas voulait juste être laissé tranquille, mais quelque chose dans la voix de la policière opiniâtre lui signifiait que cette fois-ci, elle ne le lâcherait pas, même s’il faisait le mort pendant douze heures. Finalement, il sortit de nouveau par la fenêtre à contrecœur, l’air défiant. Elle l’apostropha aussitôt :
— Que fais-tu de nuit dans la maison de Joshua? Tu sais qu’il est parti, non? Qu’est-ce que tu as dans la main? demanda Maya en lui prenant le poignet et en l’élevant dans la lumière des phares.
Réticent, il se laissa faire, mais son corps entier se raidit instinctivement à ce contact pourtant très léger.
— Tu lui as pris une de ses sculptures? Que voulais-tu faire avec? La vendre? Bon dieu, Thomas, tu es un imbécile, tout le monde connaît les sculptures de Joshua. On t’aurait pris en moins de deux. Cette fois, je n’ai pas le choix, c’est un flagrant délit d’entrée par infraction et de tentative de vol. Je vais devoir t’embarquer.
Elle le dévisagea intensément, mais il ne voulait pas lui répondre. Il n'avait rien à lui dire, ni à elle ni à tous ceux de sa sorte. En cela, il était méfiant comme tous les gens de Pitobik. Il pensait qu'elle n'agissait pas comme elle l'aurait dû. Il était plutôt habitué à voir les policiers, pour la plupart Anishinaabek, jouer un rôle de médiateur lorsque les rapports devenaient tendus. C'était connu : toute manifestation de force amenait son lot de résistance de la part de la communauté.
— Tu as besoin d’être secoué. Tu es en train de mal tourner, pesta la policière entre ses dents.
Il ne dit rien et se contenta de hausser les épaules lorsqu'elle l’embarqua dans la voiture de police. Le collègue de Maya, Erméningilde Roberge, se tourna vers lui et lui lança :
— Alors, est-ce qu’on va avoir tout Pitobik sur le dos pour t’avoir arrêté?
Thomas ne répondit pas et se contenta de faire une sorte de grognement inarticulé au fond de sa gorge.
— Qu’est-ce qu’on fait avec lui, Maya?
— Emmène-le pour la nuit au poste, on va le laisser réfléchir à ce qu’il a fait.
— Je lui colle une plainte?
Elle se tourna pour faire face à Thomas afin qu’il ne puisse pas l’ignorer.
— Oui.
Il n'eut aucune réaction. Ce que ces gens pouvaient lui faire ne l'émouvait guère. Il ne dit rien non plus pendant tout le trajet, alors que le silence fut comblé par Erméningilde qui s'insurgeait de porter un nom de grand-père et qui maintenait que le plus grand bassin de population à porter pareil prénom vivait dans un cimetière. Devant les protestations lasses de Maya, il déclara que sa seule consolation en ce monde était de ne pas s’appeler Erméningilde Junior. Il raconta ensuite en long et en large ses tribulations avec le directeur de l’état civil qui refusait de changer son nom parce que, supposément, il n’était pas signe d’infamie et ne prêtait pas au ridicule.
— Ne prête pas au ridicule! J’aimerais bien ça qu’il essaye de s’appeler Erméningilde pendant une journée, on verrait s’il garderait la même opinion! En plus, mes parents n’ont même pas réussi à donner la bonne orthographe à mon prénom, ils ont oublié le H qu'on met d'habitude au début.
— Tu n’as qu’à te faire appeler par ton deuxième prénom.
— Luc? Bah, tu sais…
— Dans le fond, tu aimes bien ce prénom d’Erméningilde. Tu n'arrêtes pas de t'en plaindre. C'est toujours la même complainte avec toi, mais tu sais que ton nom te donnera toujours l'occasion de faire l'intéressant. Oh! tiens, on arrive.
Ils étaient rendus au poste de police de la région. La veille, comme ils étaient au début du mois de mars, une tempête de neige avait fait rage. C’est en pataugeant dans ses reliquats qu’ils s’extirpèrent de la voiture et entrèrent dans le poste. Lorsque Thomas débarqua avec son escorte, la lumière vive des néons l'aveugla. Il dut cligner des yeux à plusieurs reprises avant de cesser de larmoyer. Pourtant, il n'y avait pas grand-chose à voir. C’était un minuscule local, à peine plus grand qu’un mouchoir de poche. Les dossiers s’entassaient partout sur le bord des fenêtres au point de masquer l'extérieur. Derrière lui, Erméningilde cessa enfin de les haranguer sur son prénom, mais la trêve fut de courte durée, car il entama bientôt un monologue pour se plaindre des moyens insuffisants reçus de Québec. Il s'apitoyait du fait que le financement reçu récemment avait permis tout au plus de remiser les vieilles techniques de prise des empreintes digitales à l’encre. Selon lui, ils auraient dû aussi recevoir l’argent nécessaire pour augmenter leur espace de travail et se débarrasser enfin des meubles dépareillés qui hantaient leurs locaux depuis des temps antédiluviens. Le policier estimait qu'il aurait bien le temps de prendre sa retraite avant qu’ils n’aillent bénir de leur présence les terres lointaines du dépotoir. Thomas vit Maya faire signe à son partenaire de se taire. Celui-ci obtempéra avec réticence, mais le garçon n'y fit pas attention.
— Tu peux appeler quelqu’un si tu veux, l'informa Maya.
— Je n’ai personne à appeler.
— On doit avertir tes parents, insista-t-elle.
— Mon père n'habite plus la même planète que nous. Bonne chance si vous voulez entrer en communication avec lui.
Puis, malgré toutes les répliques de la policière, il resta dans son silence buté. Pris dans ses pensées, il remarqua à peine sa mise en cellule.
* * *
Maya repoussa machinalement ses cheveux sombres derrière ses oreilles et alla se poster près de la fenêtre. En se juchant sur la pointe des pieds, elle pouvait voir l'hiver qui se mourait, là, derrière l'amas de feuilles empilées. Ils étaient situés à l’ouest de la province de Québec, près de la frontière avec l’Ontario, dans le secteur du Témiscamingue. C’était une région très boisée, dense et mystérieuse. On disait que seuls les aînés Anishinaabek de Pitobik en connaissaient tous les détours et savaient se débrouiller dans ces bois sauvages. Ils transmettaient leur savoir aux générations suivantes et la policière avait déjà surpris plus d'un groupe de jeunes embusqués en train d’analyser les traces d’ours ou d’orignaux. On appelait l’endroit Pitobik, ce qui signifiait le lieu dit du méandre abandonné. À la lisière de la réserve, on trouvait le lit d'un cours d'eau aujourd'hui desséché, ancien chemin parcouru par les canots d'écorce des ancêtres, disait-on. On prétendait même que celui qui remonterait le méandre à sa source pourrait voir la magie des temps premiers se matérialiser sous ses yeux. Il plongerait ses yeux dans le regard des premiers hommes et connaîtrait leurs secrets les mieux gardés. Selon des récits anciens, au cœur de l'été et au plus noir de la nuit, on pouvait entendre les hululements des chouettes, gardiennes mystérieuses des lieux. Pourtant, jamais personne n'avait été à même d'apercevoir les volatiles ni de découvrir la raison de ces plaintes nocturnes. Avertissaient-elles lorsque le malheur allait de nouveau surgir dans les maisonnées ? Cherchaient-elles à communiquer avec les Anishinaabek? Personne ne le savait, et il y avait longtemps qu'elles s'étaient tues.
Maya savait aussi que Pitobik était un lieu troublé. Les saisons y étaient féroces. L’hiver, le mercure plongeait souvent sous les moins vingt et l’été, une chaleur humide terrassait régulièrement le coin. Des nuées de mouches assaillaient alors tout ce qui avait le malheur de se trouver sur leur chemin. Au printemps, la terre était couverte d’une neige mouillée qui laissait derrière elle des mares de boue traîtresses. La seule saison véritablement belle était l’automne, quand les arbres se paraient d’or et de rouge flamboyants, que l’air fraîchissait et que l’on pouvait s’imaginer vivre dans un monde perdu en canotant sur les nombreux lacs et rivières de la région. Elle n'eut cependant pas le loisir de songer davantage, car elle sentit la main d'Erméningilde se presser sur son épaule. Lorsqu'elle se tourna vers lui, elle comprit tout de suite à sa mine qu'il désapprouvait ses actions.
— Tu as agi vite, je trouve. Tu aurais dû dire au gamin qu’il avait droit à un avocat, à la présence de son tuteur, lui expliquer les motifs de son arrestation et...
— Lui dire qu'il a le droit de garder le silence et que tout ce qu'il nous dirait pourrait être retenu contre lui, acheva Maya. Oui je sais, je connais la chanson.
— Tu sais qu'on ne doit pas niaiser avec ça. Si on va à procès, toute la preuve qu’on tirera de lui ne tiendra pas devant le juge si on a enfreint ses droits. Tu as fait n'importe quoi ce soir, poursuivit Erméningilde en secouant la tête.
— Je sais, je sais, répéta-t-elle. Et puis tu sais quoi? Je pense que tu devrais offrir ta démission et devenir procureur de la défense. Tu aurais un grand avenir.
— Ah ben là, calme-toi le pompon Maya. Tu as juste dit que tu ferais une dénonciation contre lui comme c’était un flagrant délit.
— Ben non, je ne vais pas porter plainte contre lui, je veux juste qu’il réfléchisse. Je voulais lui faire un peu peur.
— C’est pas trop correct ce que tu fais.
— C’est la seule manière que je vois pour l’aider, même si c’est pas trop orthodoxe, c’est vrai.
— Pourquoi tu veux tant l’aider? La police n’est pas une mission humanitaire, que je sache. Il y a des drames bien plus grands dans la vie.
— Comme s’appeler Erméningilde? répliqua-t-elle narquoisement.
— Oui, c’est bon, hein, rétorqua l’autre d’un ton bourru.
Ils allèrent prendre un café et regardèrent une neige folle qui commençait à tomber du ciel. Elle était fine et blanche, légère comme de la mousseline.
— Tu me demandais pourquoi je veux tant aider Thomas. En fait, j’ai de la peine pour ce garçon. Il est en train de mal tourner.
— Beaucoup de jeunes du coin sont comme lui.
— Oui. C’est ça qui me déchire. J’étais comme lui un peu avant. J’ai grandi ici, tu sais? Je ne viens pas du sud comme toi.
— Oui, je sais, tu me l'as déjà dit.
Maya n'ajouta rien. Encore une fois, toute la souffrance de sa jeunesse lui monta d'un coup au cerveau. Elle se remémora l'anxiété, la douleur, la quête de sa place dans l'existence, coincée entre deux cultures contradictoires : celle de ses ancêtres Anishinaabek et celle du Sud. À l'époque, elle se sentait prise dans une structure qui lui broyait l’âme. Elle ne savait pas qui elle était ni ce qu'elle voulait devenir. Elle se rappelait seulement qu'elle avait une profonde envie d'aider les autres et c'est ce qui l'avait motivée à devenir policière.
— Les gens d'ici, ils sont une beauté mise à nue par la quête de leur essence.
— Oh boy, ton degré de profondeur dépasse ce que mon cerveau peut assimiler à cette heure-ci!
Maya pouffa. Il y eut un silence.
— Tout de même, je ne sais pas pourquoi, mais je sens un grand potentiel chez ce garçon. Il a beaucoup souffert. Sa mère est morte d’overdose quand il était tout enfant. Puis, il a disparu de la réserve pendant des années, mais il est revenu il y a quelques mois. Son père ne s'en est jamais occupé, il est trop défoncé. Le fentanyl. Je lui ai déjà parlé plusieurs fois pour qu’il aille en cure de désintoxication, mais rien à faire. Thomas vit dans cette maison, chez sa grand-mère, avec cette nuée de cousins et de cousines où ils sont tous entassés les uns sur les autres, à s’entendre penser et respirer. Pas étonnant qu’il soit toujours soit dans la forêt, soit en train de faire le trouble.
— Ma parole, tu connais vraiment tout de ce gamin.
— Thomas est comme moi quand j’avais son âge. Il a besoin d’une main qui se tende vers lui. J’ai eu de la chance quant à moi. C’est un aîné qui m’a aidée quand j’étais au bord du gouffre. Ce garçon veut que la même chose lui arrive. C'est juste qu'il ne le sait pas encore.
— Pour moi, je sens surtout chez lui une agression latente.
— Ce n’est pas une agression profonde, elle vient surtout de sa colère. Il furieux contre la vie. Mais si personne ne l’aide très bientôt, il va sombrer.
— Je ne vois pas comment on pourrait éviter cela.
Au moment où Maya allait répliquer, ils eurent un appel d’urgence. Quelque part dans la nuit un couple alcoolique se battait dans les rues enneigées. Personne n’avait envie d’y aller. Tous les regards fusèrent sur Maya, la plus jeune, et on lui fit comprendre que c’était à elle de se coltiner le cas. Elle eut beau faire valoir qu’ils revenaient à peine de chez Joshua Minikawi, ses collègues lui indiquèrent une porte qu’elle prit en leur promettant bien de leur en faire voir de toutes les couleurs dès qu’elle le pourrait.
tu nous conduis directement au coeur d'une aventure! Dans les régions sauvages du Canada, je suppose? Ton écriture est vive et nous fait éprouver l'action. Ca se laisse lire et on se demande ce qu'on peut bien vouloir à ce garçon.
Afin d'apporter, comme je peux, un peu d'avis que j'espère constructif, je préfère le faire en plusieurs temps parce qu'il y a parfois des déconnections impromptues qui effacent le commentaire qu'on vient de rédiger lol.
Mes petites "remarques":
- "Le coin était isolé, reclus, et un ermite dans le désert aurait eu plus de compagnie", le "et" me dérange car il retire, selon moi, de la fluidité. J'aurais plutôt mis une virgule.
- "Plus tôt, l'air avait vrillé du tapage du couple toujours aviné, mais il y avait déjà longtemps que le silence avait de nouveau enseveli les lieux", j'ai du mal à comprendre cette phrase lol. C'est peut-être moi, ceci dit ;-). "l'air avait vrillé du tapage...", je comprends chaque terme, évidemment, mais assemblés, je m'y perds. Que veux-tu dire? Aussi, tu commences à dire "plus tôt" pour ensuite dire "mais il y avait déjà longtemps que...", j'ai l'impression que ce n'est pas cohérent.
- "Il devinait sans peine que le sang devait leur monter à la tête jusqu'à les étourdir tellement ils devaient avoir hâte de lui tomber dessus", peut-être une virgule après "étourdir"?
- redondances de "silence" et "coin"
- "Même s'il connaissait Pitobik et ses alentours comme sa poche après avoir passé des mois à arpenter la réserve, il savait que c'était le cas de tous les jeunes des environs qui avaient dans la peau l’odeur de chaque épinette et de chaque pin qui se balançait dans le vent", cette phrase est bien longue, je trouve. Pourquoi ne pas mettre un point après "environs" et poursuivre par: "En effet, ils avaient tous dans la peau...", juste une suggestion pour alléger le texte.
- "Il commença à se douter de l'identité de ceux qui se donnaient tant de mal à le coincer", on ne dit pas plutôt "pour le coincer"?
Voilà la première partie de ma modeste "contribution", si je peux m'exprimer en ces termes.
On est sous tension tout au long de ton récit, on ressent l'ambiance et l'angoisse. On voit le film se débobiner dans notre imagination.
Remarques:
- redondances de "lentement", "craquer, craquement"
- "ne pas être repéré pas ce qui avait fait fuir ses agresseurs", par ce qui avait fait fuir?
- "... pire qu'on troupeau..", qu'un troupeau?
- ".. c'était au coeur de mois de janvier", du mois de janvier?
- "faire rendre gorge", tu m'instruis parce que je ne connaissais pas cette expression. Il faut dire que je suis assez nulle en expressions...
- "à qui mieux mieux", je ne connaissais pas non plus.
A plus tard pour la suite,
Bien à toi!
je termine enfin ce chapitre qui n'est pas dépourvu d'humour! J'apprécie les descriptions des lieux car j'adore ces paysages du Canada, avec un faible pour la côte ouest, en fait ;-). Le mystère autour des anciens m'interpelle également car je suis justement attirée par ces cultures. Ce Thomas est touchant...
Mes remarques en espérant t'aider un peu:
-"Pourtant, Thomas voulait juste être laissé tranquille, mais quelque...", être laissé tranquille me semble lourd et pas très élégant. peut-être, voulait juste rester tranquille ou être tranquille, ou qu'on le laisse tranquille?
- "...des moyens insuffisants reçus de Québec. Il s'apitoyait du fait que le financement reçu récemment...", redondance de "reçu", suivi plus loin de "recevoir".
- "Il furieux contre la vie", est furieux
A bientôt
Non, je n'y suis jamais allée mais j'adorerais, le Canada est trop beau!
Le roman que j'écris en ce moment (pas Daedalus qui est fini) se passe en C-B... Notamment sur les bords du Harrison Lake :-)
Merci de mettre la suite pour moi!!! Ça me touche... 😊
Ella
Je verrai... mais si je le fais, ce sera dans plusieurs mois...
Ceci dit, on peut toujours s'arranger... ptdr
;-)