L'interview

Par Ewen

~

 

Bonjour Ewen, merci de nous accueillir dans votre somptueuse demeure, avec vue sur l’océan Pacifique et tout entouré que vous êtes de chiens, de chats et de tout plein d’autres animaux fantastiques.

Un plaisir. Posez-moi des questions maintenant.

Votre dernier ouvrage, et non des moindres, Crotte de merde, s’est vendu à plus de 15 milliards d’exemplaires. Que représente ce chiffre pour vous ?

Qu’on commence à être un peu beaucoup sur Terre. C’est d’ailleurs cette réflexion qui m’a inspiré le titre du bouquin.

D’où tirez-vous toute cette inspiration qui fait qu’on vous acclame, je cite, comme « le nouveau Jésus de la littérature », d’après certains lecteurs qui n’ont pas su nous épeler leurs noms ?

Pour vous répondre, je citerai un ancien prof, devenu ami, qui a déjà répondu à cette même question, mais de ma part, de cette manière : « L'inspiration, moi je la trouve partout. C'est tout ce que je peux voir, entendre, ressentir… Elle peut provenir de l'œuvre d'un maître comme du travail d'un élève. » J’ajoute à cela que l’inspiration ne se trouve pas à l’état naturel, mais se travaille. C’est aussi une histoire d’expériences, de rencontres. J’étais très chiant, gamin. Puis j’ai rencontré un gars très drôle. Depuis, je peux être très drôle, et lui très chiant. Mais le mieux pour avoir des idées, ça reste de s’ennuyer.

Donc vous vous ennuyez beaucoup ?

Je préfère le formuler d’une façon plus riche, car à double sens : je suis quelqu’un qui se fait chier. Qui se fait vraiment chier. Enfin, sauf avec les animaux.

C’est beau ce que vous dîtes.

Je sais. Quand je ne suis pas avec des animaux, j’écris. Continuez à me poser des questions.

Est-ce qu’il vous reste du café ?

Pour vous répondre, je citerai Blaise Pascal, qui n’a précisément rien écrit à ce sujet.

Au vu de la diversité de votre production, difficile d’identifier quelles sont vos influences majeures. Sauriez-vous nous éclairer à ce sujet ? – Non, éteignez cette lampe-torche s’il vous plaît, c’est gênant ; je voulais dire : quels sont vos auteurs-phares ? – Monsieur, rangez donc cette lampe.

Je ne suis pas un grand lecteur. S’il ne fallait en citer qu’un, ce serait Bill Watterson, qui avec Calvin & Hobbes a su allier à merveille humour et philo, avec cette conscience écolo latente, et toujours cette tendresse comme note finale. Sinon, je m’attache davantage aux œuvres qu’aux auteurs. Mais puisqu’il vous faut des noms : Maupassant, Perrault, Corbière. Et en BD mettons Chabouté, et Léo.

Quels livres en particulier vous ont inspiré ?

J’ai appris à aimer lire grâce à la BD. J’ai bien sûr commencé par les classiques : Astérix, Titeuf, Kid Paddle… puis rapidement Thorgal, Blacksad, XIII, Aldébaran, et dans un autre registre Le chat, de Gelluck, puis Calvin & Hobbes, que j’ai déjà cité. Aujourd’hui, s’il fallait que j’en recommande, je citerais n’importe quel chef-d’œuvre de Chabouté (Tout seul, le recueil Zoé/Sorcières/Pleine lune/La bête, ou ses Fables amères…) ; Ici, de Richard McGuire, qui fait étrangement écho à A Ghost Story, un film que j’aime beaucoup ; Silence, de Comès, qui est sûrement l’œuvre à laquelle je m’identifie le plus ; et L’Art Invisible, de Scott McCloud, qui est un ouvrage théorique sur la BD, sous forme de BD, qui mérite d’être lu au moins une fois par quiconque s’intéresse à ce type de littérature. Sinon, j’aime lire beaucoup de choses différentes ; je n’ai pas de limites en termes de genre, ce qui se ressent donc dans mes écrits. Je lis pas mal de critiques musicales, car c’est un champ en friche à la flore mésestimée, en termes de figures de style, et que chaque auteur de critique a justement un style bien à lui, ce qui fait de la critique un genre littéraire à part entière, selon moi ! J’aime aussi les phrases et titres percutants, donc j’ai forcément été contraint d’acheter L’Art subtil de s’en foutre. Sinon, ça peut paraître idiot à des idiots, mais les livres pour enfants… Je recommande Devine combien je t’aime, La chasse à l’ours, et Le loup est revenu. En litté ado j’ai été marqué par GONE, de Michael Grant : des enfants coincés dans une bulle gigantesque – tous les adultes ayant disparu –, sont contraints de se débrouiller seuls pour survivre… Attention, c’est trash ; quand je vous dis que ça m’a marqué c’est pas pour rien. Sinon, en vrac : je suis fan des nouvelles de Maupassant, du Petit Prince, de livres d’artistes, et d’essais philosophiques, mais à petites doses, surtout lorsqu’il s’agit de bouquins comme La tentation nihiliste de Roland Jaccard.

Mais vous êtes aussi féru de musique, et de cinéma !

Tout à fait ! Je suis un grand fan de Musique avec un grand M, et de Cinéma avec un grand C, car je suis avant tout Quelqu’un avec un grand Q. Et écouter des disques ou les regarder, ça prend un temps considérable qui ne m’en laisse que peu pour tourner des pages. Je suis également un gros flemmard, en effet.

Vous êtes d’ailleurs collectionneur de disques, et commencez à développer en parallèle une vidéothèque constituée de vos films préférés, tous genres confondus.

Exactement ! C’est comme si c’était moi qui avait rédigé vos questions, c’est marrant. Je fais en effet collection de CDs depuis maintenant bien longtemps, et ne possède, sur les centaines d’albums qui s’accumulent chez moi, que mes disques préférés – pour vous dire à quel point j’écoute beaucoup, BEAUCOUP (trop ?) de musique. En ce qui concerne les films, j’ai deux collections bien distinctes : les longs-métrages, que j’aime avoir en DVD, qu’il s’agisse de fictions, de films d’animation ou de documentaires ; et les courts et moyens-métrages, que je stocke dans une petite vidéothèque virtuelle, et qui contient beaucoup plus de films expérimentaux, que j’admire donc davantage pour leur travail de réalisation ou pour certains aspects techniques.

Qu’est-ce qui, dans la musique et le cinéma, vous inspire pour écrire ?

Les paroles. Les dissonances. Les punchlines. Les dialogues. L’humour, qu’on retrouve peu importe le média. Les ouvertures ; là où le film nous projette, là où le morceau s’arrête.

Vous parlez également beaucoup d’amour, dans vos poèmes et nouvelles, mais aussi et surtout des tracas qui l’entourent. Combien d’ex avez-vous eu ?

Je vais terriblement vous décevoir, vous et votre question intrusive : ça ne se compte que sur les doigts d’une main atrophiée. Mais pas besoin de cinq doigts pour se prendre une claque : je pense que j’en resterai à jamais secoué, et que sans ces amours déçus je n’écrirais que des banalités.

Le chagrin d’amour serait plus inspirant que l’amour lui-même ?

On compense une absence comme on peut. Le chagrin, c’est l’amour qui ne peut plus être donné, comme l'a déjà dit Jamie Anderson. C'est un puits sans fond de remords et de regrets, et qui jamais ne s’assèche, car chacun se trouve à y pleurer tôt ou tard. Souvent tard ; il est toujours trop tard. Je pense en fait que le manque d’amour est plus universel que l’amour lui-même. La faim, tout le monde la subit, à son échelle, mais le monde entier jamais ne connaîtra la satiété.

Vous avez paraît-il un talent pour le dessin, que vous ne mettez que peu en avant. Pouvez-vous nous dessiner un mouton ?

Certainement. Tenez.

Mais… il est moche !

Vous avez dit vous-même que je ne mets pas ce talent en avant.

Bon, tant pis, ça se revendra cher dans tous les cas. Mais qu’est-ce qui vous a poussé à écrire plutôt qu’à dessiner, ou peindre ?

C’est une question de phases, j’imagine. Mais je dessine encore parfois, ou j’utilise cette sensibilité aux arts plastiques à des fins utiles, comme par exemple promouvoir un texte : je suis l’auteur de toutes mes premières de couv’, jusqu’à présent. L’autre raison, c’est que dessiner ou peindre nécessite du matériel, dès lors qu’on a une idée précise en tête. Alors qu’écrire, c’est beaucoup plus spontané : choper un crayon, ou un clavier, et il ne reste plus qu’à diffuser.

Qu’est-ce qui vous motive à écrire, tous les jours ?

Ça fait très distingué. Surtout quand on tape ou griffonne vite. En fait, que j’écrive des vannes, un poème, une dissertation ou un mémoire de recherche sur l’essor du matelas gonflable dans les années 2010, l’effet est le même, d’un point de vue extérieur. Et personne dans mon entourage – à part les enfants – n’est assez curieux pour me lire dans ces moments-là.

Souffrez-vous d’un manque de reconnaissance de la part de votre famille ou de vos amis proches ?

Auquel de mes psys avez-vous parlé ?

Malgré votre apparente recherche constante de renouvellement, se remarquent malgré tout de plus en plus, dans vos ouvrages, quelques références à certaines de vos œuvres antérieures (traits d’esprit, et autres aphorismes). Sont-ce ce que l’on appelle communément des easter eggs (éléments cachés, à l’attention de fans assidus), ou est-ce, à moindre échelle, les conséquences de systématismes inéluctables dans vos schémas de narration ?

Oui.

Que répondriez-vous aux lecteurs qualifiant votre humour de « un peu caca prout quand même », ou de « douteux », voire de « un peu trop noir, là, on n’y voit plus rien » ?

Ahlala oui… Vous touchez à un de mes complexes, pour le coup. Ce que je leur dirais, je pense, c’est que j’en apprend tous les jours, sur l’humour, et que je fais de mon mieux, mais que parfois c’est juste le public qui est trop con.

Avez-vous des textes que vous n’avez jamais publié, pour une raison ou une autre ?

Oh que oui, plein ! Tous ceux qui ne sont pas terminés, en fait.

Ah ! Euh – oui, en effet, mais nous voulions dire : des textes achevés.

Hiiin… Eh bien… Oui ! Je me souviens d’une fois ou je me suis refusé d’envoyer un paragraphe (mais pas le texte entier !). C’était pour mon rapport de projet professionnel, en fin de licence. Je n’étais pas spécialement inspiré par le sujet, donc j’ai voulu me lâcher, mais me suis finalement censuré. Je peux vous le lire, attendez juste que je le retrouve… Le voilà. *hem* : « J’ai également émis l’hypothèse de me lancer dans l’industrie du X, mais les formations étant très contraignantes et supposant une totale ré-orientation de ma part, j’ai préféré m’abstenir. Et puis, il faut dire que faire preuve d’humour dans un rapport de projet professionnel est souvent mal vu, et malvenu. D’autant que je n’ai pas fait l’école du rire à Vannes, ce qui est un manque évident à mon CV. Le fait est que j’ai rapidement abandonné cette piste. »

Vous qui parlez sans filtre du sexe, de la mort, du cancer, de dépression ou de chiottes, avez-vous des sujets tabous ?

Si j’en avais, je ne vous en parlerais pas.

Qu’est-ce qui est jaune et qui attend ?

Un petit pois dans un ascenseur.

Enfin, si vous pouviez parler au Ewen qui se posait plein de questions et cherchait avec peine sa voie, à vingt ans, que lui diriez-vous ?

D’écrire un faux interview de lui-même, vingt ans plus tard, riche et célèbre, en espérant que ça change quelque chose. Et de se brosser les dents matin et soir, avec du savon ou une solution hydroalcoolique. Oh, et puis de ne pas trop s’en faire, parce qu’on meurt tous un jour et qu’on tombera au bout du compte dans un oubli éternel ; ne pas marcher droit dans la rue, ou dire « bonsoir » à midi trente à sa voisine n’aura aucune incidence sur le cours des choses.

Et pour finir, une question que tout le monde se pose : « Mais du coup, "Ewen", c’est votre vrai prénom ou pas ? »

Sortez de chez moi.

 

Propos recueillis par Amédée Pan, au Manoir aux Passiflores, le 6 Novembre 2042.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Kevin GALLOT
Posté le 09/11/2021
mais c'est tellement intelligent ce texte, toujours très drôle, mais vraiment intelligent. Un subtil mélange, une confession, un rapport psychiatrique, une lampe d'alladin et un paradoxe temporel. C'était une super lecture :D
A+
Ewen
Posté le 09/11/2021
Lampe d'Alladin, c'est parce que mon génie ressort de ce texte ?😌 😂 Désolé d'avance, je jouerai le narcissisme jusqu'au bout autour de ce texte xD de quoi épaissir le rapport psychiatrique x)
Merci pour ton com Kevin, c'est un plaisir chaque fois que je vois ton nom s'afficher !^^
Pouiny
Posté le 08/11/2021
Y a beaucoup de choses là dedans dis donc xD

Déjà en lisant le résumé, j'ai pensé à mon île ... sur Animal crossing, j'ai passé 300 heures dessus, franchement elle est pas mal. Je m'attendais à rencontrer un autre exilé crossing-ien mais manifestement toi t'en a une vraie, la chance :(

Pour les animaux : moi j'écris AVEC (le lapin ou le chat sur les genoux c'est le best) héhé :D

Les références BD j'approuve, Thorgal j'ai découvert ça très jeune et ça me faisait un peu peur mais c'était vraiment cool !

T'as un humour, c'est terrible, j'ai rigolé au coup du "avec un grand Q" et la blague de la lampe xD au moins, on s'ennuie pas en te lisant !

Et je suis content de pas être le seul, quand ça va pas, imaginer que je suis un auteur trop connu une fois quelques années passées, même si je sais que ça ne se produira probablement pas, c'est marrant de faire des ego trip a expliquer des trucs à des gens dans sa tête comme s'ils pouvaient connaître ton travail / t'admirer ... x)
Ewen
Posté le 09/11/2021
Aaaaah j'ai jamais joué à Animal Crossing 😅 mais je comprends le trip, j'ai des parties Minecraft sur lesquelles j'ai passé des heures et des heures, aussi !
Je t'inviterai, t'inquiète.

Thorgal me faisait pas spécialement peur, plutôt bader 🤔 par exemple dans Le Maître des Montagnes, voir quel horrible personnage (aussi bien physiquement que mentalement) devient Torric après plusieurs dizaines d'années me faisait me poser pleeeiiin de questions sur moi-même et qui je serais plus tard 😅😅 Qu'est-ce qui te faisait peur, toi ??

😂😂 c'est énorme parce qu'on fait exactement la même chose ! Jte comprends complètement xD
Pouiny
Posté le 09/11/2021
En fait c'était vraiment cette ambiance un peu sombre qui me faisait peur, puis le trait du dessin qui était très détaillé, qui changeait radicalement de ce que je pouvais lire par ailleurs (je lisais surtout Gaston lagaffe et les Spirou de Franquin, moi ... xD)
Pouiny
Posté le 09/11/2021
Le pire truc que je fais en imagination c'est genre par exemple y a pas longtemps j'ai regardé beaucoup de "un bon moment" tenu par Kyan Khojandi ou il pose des questions à ses invités sur leur travail, leur objectif, dans une atmosphère assez détente, bah je m'imagine être à la place des gars de l'émission et que je me fais interroger par Kyan et dans ma tête je développe toute ma réponse et tout ... Je pensais vraiment être tout seul à faire ça parce que je l'assume pas trop xD
Ewen
Posté le 09/11/2021
Mais ouiii Gastoooon !! Et 'moiselle Jeanne <3

Haha yes xD Je pense qu'on est pas mal à le faire sans se l'avouer, c'est normal de se poser des questions et d'essayer d'y répondre, après tout ! Et puis ça te prépare au jour où l'on te posera vraiment ce genre de questions 😋
Vous lisez