Giselle comprit qu’elle ne vivait pas un rêve lorsqu’elle sentit la main de son père s’abattre sur son visage.
— Vous êtes la pire des garces ! hurla le Duc, une menteuse et une voleuse !
Jetée au sol, se tenant la joue, elle n’entendit pas les mots qui fusaient contre elle, tant la jeune femme était choquée de la situation.
Sans ménagement, son père l’enferma dans sa chambre.
— Tout ceci est absurde et ridicule, je suis innocente, et je vous le prouverai. Faites-moi passer à nouveau les examens médicaux, avait-elle réclamé en essayant de conserver tout son calme.
Sa porte demeura close. Seule dans sa grande suite, Giselle s’évertua à planifier sa défense et réclama un avocat. Sa trahison était cependant trop violente ; le soir de l’annonce du mariage, elle avait donné sa parole devant le rouleau écarlate et elle n’aurait donc pas droit à un procès. Il fut établi que l’Empereur la jugerait lui-même.
Coupée de tout dans sa propre maison, elle contempla les suites de son affaire dans les journaux. La jeune femme fut horrifiée de voir à quel point son nom était traîné dans la boue. Du jour au lendemain, il lui sembla que Dalstein avait oublié toutes ses dernières années studieuses. Impitoyablement, les gros titres n’avaient de cesse de parler d’elle. Les photos d’elle, autrefois avantageuses, étaient à présent terriblement vilaines. Son visage étroit et grêlé de cicatrices, ses cheveux gonflés de frisures… Giselle réalisa à quel point elle s’était éloignée des mesquineries du monde.
J’ai travaillé dur… j’ai tellement fait d’efforts… Pour finir ainsi !
À son grand soulagement, elle vit que les dalsteinis réclamaient également un examen médical, afin de lever tout soupçon. En voyant cette demande, elle retrouva la tête froide. Giselle passa des heures à réfléchir, cherchant qui pourrait lui nuire.
Cela ne peut pas être Dusan, cette histoire est trop humiliante pour lui… Ni Iphigénie, elle est bien trop stupide… Et Léonie, elle ne saurait même pas rédiger un courrier à un homme de loi.
Dusan lui avait envoyé un simple mot, accompagné d’un bouquet de gentianes et de pois de senteur : tu m’as brisé le cœur.
La rage l’avait envahi en lisant ces quelques lettres, lâchement écrites sur le papier blanc.
Mais ce qui peina profondément la jeune femme fut l’attitude glaciale de son père et son regard, remplis de tristesse et d’une indifférence forcée.
Giselle exigea de voir les preuves à son encontre. Un homme vint la voir, portant sur lui une partie des dossiers compromettants. Ce fut le seul moment où on accepta de la faire sortir de ses appartements.
En voyant les feuilles posées sur la table, Giselle fut pris d’un malaise. Dans d’autres circonstances, elle-même aurait pu jurer que les caractères couchés sur le papier étaient de sa main. La falsification était parfaite.
— Reconnaissez-vous là votre écriture ? Et votre signature, ici ?
— C’est bien mon écriture… Ou plutôt ma manière d’écrire, mais ce n’est pas moi qui aie rédigé ces lignes… Je le jure sur Ménée !
On lui décrivit en détail les témoignages, les preuves de pots-de-vin, les commandes passées… Giselle n’avait de cesse de réfuter chaque détail, essayant tant bien que mal de se souvenir de quelque chose. Mais rien n’y fit. Le dossier était compromettant au possible.
Son père et Iphigénie entrèrent un soir dans sa chambre :
— Il faut vous confesser, sinon, c’est l’exil. Prenez le voile, retrouvez votre mère à Sanvre et laissez-nous rétablir le nom de notre famille que vous avez souillé.
— Vous pêchés ne se laverons pas tout seul, c’est certain, la Mère vous regarde ! ajouta Iphigénie d’un ton acide.
— Refaites-moi donc passer un examen médical ! ordonna-t-elle en ravalant sa fierté, demandez à ma bonne, Constance, j’ai mes lunes une semaine par mois !
À son plus grand soulagement, on accepta sa requête et celle des sujets de Dalstein. Et ce fut encore toute une épopée dans les journaux.
Giselle partie donc pour un hôpital choisi par le Ministre de la Justice lui-même. L’affaire faisant grand bruit, la localité de l’établissement fut tenue secrète de la population.
Peu désireuse de partager le même toit que son père une fois son innocence démontrée, Giselle prit avec elle toutes ses économies personnelles. Elle se jura de partir séjourner dans une de leur résidence en bord de mer à son retour. Le trajet lui parut terriblement long.
Une fois arrivée après plusieurs jours de voyage, Giselle, sûre d’elle, s’appliqua à répondre à toutes les questions des médecins, et se plia à tous les examens possibles pour prouver sa fertilité.
Impassibles, les médecins indiquèrent aux personnes qui l’escortaient que leur réponse serait rapide et officiellement annoncée dans les jours à venir.
Soulagée d’un grand poids, Giselle prit la route du retour, le cœur léger.
Giselle se réveilla en sursaut, en regardant par la fenêtre, elle reconnut la route. Elle se redressa, endolorie. Encore une fois, elle avait mal dormi. Soufflant par le nez, la jeune femme essaya tant bien que mal de contrôler ses pensées.
Qui pouvait être derrière toute cette horrible histoire ? Il faudra que j’écrive à…
Les chevaux s’arrêtèrent brusquement devant la grille du château et une voix se fit entendre.
Giselle ouvrit la fenêtre et passa la tête dehors, ignorant le froid du petit jour.
Derrière l’entrée fermée se tenaient deux hommes. L’un était le nouveau régisseur du domaine, l’autre un émissaire impérial, portant à la main un rouleau de tissu écarlate.
Le cœur de Giselle explosa dans sa poitrine. L’émissaire déroula la proclamation et lut dans une clameur :
— Parole de Auguste IX. Moi, Empereur Auguste, neuvième de ma lignée, rédige ici ma parole et ma décision. Après les examens et l’enquête qui a été menée sur votre personne, Giselle Prunille le Tholy de Madalberth, vos mensonges ont de nouveau été démontrés. Vous êtes dès cet instant déchu de votre titre et interdite de fouler la terre du Saint Empire de Dalstein.
— Mais c’est impossible ! Nous venons à peine de rentrer, les résultats des médecins…
— Nous ont été communiqués avant votre arrivée, répliqua l’homme en livrée tout en enroulant consciencieusement le tissu écarlate sur lui-même. Tout sera publié demain officiellement.
L’émissaire, gonflé d’autorité, prit la route vers le château et lui tourna le dos.
Le cocher ouvrit la porte de la voiture, et sous les yeux horrifiés de Gisèle, prit sa valise et la posa au sol.
— C’est… Ce n’est pas possible, enfin ! s’écria-t-elle, cherchant ses mots. Il faut que j’aille à Lengelbronn pour…
Je ne suis pas stérile ! Par les Dieux, je ne suis pas stérile ! Ménée, aide-moi ! Sainte Mère !
Le cocher, qu’elle avait connu toute sa vie, évita son regard. Les oreilles écarlates, l’homme retourna à sa place et demanda aux chevaux d’avancer.
Les portes s’ouvrir pour le laisser passer, Gisèle fit plusieurs pas, mais le régisseur se plaça en face d’elle de toute sa hauteur.
— Écartez-vous ! ordonna Giselle.
— Vous n’êtes plus la bienvenue chez le Duc et sur les terres de Hautebröm, fit la voix du régisseur derrière l’autre côté de la grille. Vous ne faites plus partie de la famille et n’avez plus aucun droit, Mademoiselle… Vous êtes aujourd’hui un sujet comme les autres de l’Empire, quoique non… Vous êtes bannie de ses terres.
Et sans plus de cérémonie, l’homme fit demi-tour et la laissa seule sur place.
Gisèle resta les bras ballants, ne pouvant que voir sa voiture s’éloigner au loin. Son cœur battait à tout rompre, des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux. Elle regarda autour d’elle en balbutiant, il n’y avait personne.
Sa valise tomba sur le côté, alourdie par son propre poids. Giselle demeura interdite, au bord de la route de sable blanc, à côté du fossé plein de mauvaises herbes.
Bannie, exilée… Elle n’en croyait pas ses yeux.
Un frisson traversa son corps. Stupéfaite, elle réalisa soudain qu’elle avait laissé son manteau dans la voiture, et qu’elle n’avait nulle part où aller.