L’odeur de vieux livres sous la pluie

Notes de l’auteur : NDLA : Navrée pour cette longue attente.
Résumé pour se remettre dans le bain :
Sahar excédé par les méthodes de son père décide de démissionner. Libre comme l'air, elle entreprend de chercher la seule civilisation que personne ne penserait trouver un jour : Nassirya. La toute première des colonies spatiales.
Avec Channyr, elle quitte son monde pour fouiner dans les archives commerciales, exactement là où elle n'a plus le droit de mettre les pieds depuis sa démission. Mais, chut! c'est un secret, d'accord ?
Sahar, Channyr et Aurèl ont fait une découverte étrange dans les Archives Commerciales du Cartel. L'empire de La Caren commercait avec une colonie de deuxième génération maintenant disparue. Pendant cette période, étrangement, l'empire recevait un vaisseau plein et renvoyait les marchandises dans un autre vaisseau à l'autre bout de ses frontières. Comme si c'était tout à fait normal de faire transiter des tonnes de matières à travers l'espace-temps pour rien…

Préférant la discrétion du petit appartement de fortune dans lequel nous logions, j’invitais Aurèl à nous y conduire.

A l’intérieur du véhicule, l’ambiance était mortuaire.

— Je ne crois pas que nous devrions t’embarquer dans cette histoire, dit Channyr tout à coup. Aurèl, ton aide a été appréciée, mais les répercussions que pourraient avoir ces recherches sont colossales.

On entendit son petit rire mutin.

— Je crois, au contraire, que vous êtes couverts par le Muséum, sinon vous n’auriez jamais osé aller aux Archives.

Silence.

— Et… fis-je avec un ton emprunté, elle a parfaitement raison. La Mérawen n’osera jamais s’attaquer au Muséum directement, surtout si elle risque de se fâcher avec la Fédération. Mon père est un requin, certes, mais il sait quand une proie est trop grosse pour lui.

Channyr n’était pas très heureux d’être en infériorité, nez froncé et ride du lion marquée, il persévéra :

— Nous avons un statut protégé, c’est vrai. Ce n’est pas ton cas.

— Et alors ? Je continuerai quand même mes études et quand je les aurais finis… Elle fit mine de réfléchir. J’ouvrirais une boulangerie et je fabriquerais des croissants et du pain.

Cette fois, je ris franchement.

— Si tu pouvais installer ta boulangerie près de chez moi, je serai ta meilleure cliente !

Channyr céda. Le combat était perdu d’avance.

 

Dans notre salon, encombré de notes éparses et de nos valises éventrées çà et là, Aurèl eut la gentillesse de ne pas faire de remarque. Elle prit place et attendit sagement que l’un de nous se mette à parler.

— J’aurais bien besoin d’un thé, dis-je.

— Je vais en faire !

Channyr était trop nerveux pour rester assis, de toute manière. Nos regards se croisèrent, il se leva dans un froissement de coton et de lin.

Le temps d’une inspiration, Aurèl observa Channyr elle aussi, l’attention qu’elle lui portait était tout autre. Son visage m’apparut inexpressif. Elle calculait. Je ne saurais le dire autrement : Aurèl évaluait les données « Channyr ». Note à moi-même : lui demander les résultats de ses calculs quand l’occasion s’y prêtera.

— Avant de démissionner de la Mérawen...

Je perçus le regard de Channyr se poser sur moi, celui d’Aurèl se détourner.

— C’était dans le cadre de mes recherches du système Ventris. J’avais précédemment étudié des poteries de…

Un nouveau silence. Ne pas m’éparpiller. Sahar, reste concentrée !

— J’ai trouvé une lame de données provenant de La Caren qui confirme qu’elle et Hypérion commerçaient ensemble.

Channyr avait déjà cette information, bien que non justifiée jusqu’à présent.

— Et elle dit quoi d’autre cette lame, fit Channyr revenant avec une bouilloire et trois tasses.

— Rien que je puisse déchiffrer. Il ne s’agit pas d’un registre commercial, la forme ressemble plutôt à un rapport.

Channyr se pencha pour me donner ma tasse de thé.

— Un genre de manifeste ? questionnait Aurèl en soufflant à la surface de son thé.

— Je n’en suis pas sûre. Il y avait une liste, je pense qu’il s’agit de produits spécifiques. Je n’ai pas réussi à déterminer de quoi il s’agissait. Le problème, c’est que la lame n’a pas aisément traversé le temps. Je sais qu’il y a eu un déplacement de produits grâce à elle, mais je n’ai pas la source de la lame. Qui l’a inscrite, ni pourquoi…

— C’est plutôt léger, fit Channyr enfin détendu dans un fauteuil. Et maintenant, on sait que des colonies de La Caren envoyaient et récupéraient des « produits » régulièrement. Pas sûr que ce soit lié, il faudrait retourner aux archives pour en savoir plus là-dessus.

— Pas forcément.

Aurèl tira de son sac son calculateur.

— J’ai numérisé le détail des données. On pourrait comparer les noms des produits à ceux trouvés sur ces flux spéciaux, non ?

— Tu peux rechercher en fonction d’un alphabet distinct ?

Elle acquiesça et je n’avais plus le choix. J’allais dans ma valise et j’en sortis un coffre portatif. De la haute technologie qui m’avait valu de dissoudre la moitié de mes économies pour me l’offrir. Ils sont réputés impossibles à leurrer et surtout, ils sont conçus sur le modèle des boîtes noires qu’on retrouve dans les navettes spatiales. Indestructibles. De cet écrin tellement moderne je révélais ma lame de données. Actuellement, mon trésor le plus précieux.

Quoique, le coffre lui-même vaut peut-être plus cher que cette antique lame micro-gravée…

Aurèl s’en saisit délicatement, elle la déposa sur l’iris de lecture de son calculateur et attendit.

Ses yeux s’ouvrirent ronds comme des soucoupes.

— C’est quoi ces hiéroglyphes ! s’exclamait-elle en découvrant l’ampleur de la tâche.

— Aurais-je oublié de préciser que tout est écrit dans la langue d’origine de l’empire ?

— Mais, je ne peux rien faire avec ça, je dois concevoir un système de traduction et…

Channyr se pencha sur l’écran.

— Franchement, je n’ai pas étudié cette langue, mais je sais que là, on a la syntaxe d’une correspondance officielle, dit-il.

Je hochais du menton, d’accord avec cette observation.

— Le signataire n’est pas reconnaissable, par contre on a le sceau impérial accolé à sa signature, c’était un héritier de quatrième rang, ajoutait-il en expert.

Cette déclaration me fit lever et aller vérifier l’information nouvelle.

— Comment as-tu repéré le sceau ?

Il me désigna le symbole d’un oiseau de proie à quatre pattes.

— Ce n’est pas le symbole de l’empire.

— Ce n’est plus. La chute de l’empire a scindé la famille en trois clans opposés. Après les guerres, les clans ont fini par abandonner l’ancien blason. Le clan survivant a choisi le dragon. Mais le sceau d’origine comporte un oiseau de proie.

Je le regardais, ébahie. Il me décocha un sourire à faire fondre une comète toute entière.

— J’ai suivi tout un semestre sur les deux grands empires fondateurs.

Aurèl en profita pour se choisir une position solitaire sur un fauteuil. Elle nous avait abandonné son appareil au profit d’un bol de petits gâteaux que je n’avais pas encore repéré. Grossière erreur, car l’étudiante était décidée à en faire son dîner.

— Quatrième rang, c’est du langage de riche ?

Channyr pouffa et je pris le temps de lui répondre.

— Il était quatrième sur l’échelle des successions. Tu as d’abord les enfants de droits, ensuite les illégitimes. Puis les frères et sœurs, par droit d’aînesse. Ensuite, les neveux et nièces de droits. D’ordinaire on compte rarement au-delà du troisième rang. Mais ça signifie que celui qui a rédigé cette lame était le neveu ou la nièce de l’empereur ou de l’impératrice régnant, et il était suffisamment proche du gouvernement pour avoir le droit d’en utiliser le blason.

Channyr déroula le contenu de la lame, me faisant taire dans l’attente d’une nouvelle révélation.

— Je n’arrive pas à traduire la suite. La plupart de ces symboles ne sont pas utilisés aujourd’hui. Je reconnais des éléments similaires dans certaines expressions… Je ne connais aucun linguiste qui saurait nous aider. Je veux dire… De façon confidentielle.

Moi non plus. Mais Valère pourrait peut-être nous dénicher un expert.

Channyr plongé dans sa concentration, ajouta de quoi ruiner tous mes espoirs :

— Je ne sais pas, il y a des symboles qui n’ont pas de sens.

Il se redressa, frustré.

— Je pense que le texte est un code.

Un code, un proche parent de la dynastie, un rapport officiel… Nous n’avions plus le choix. Ce n’est pas dans les archives commerciales que nous trouverons quoique ce soit pour traduire cette lame.

— Nous devons aller à La Caren.

On ne change pas de galaxie comme de chemise quand on n’a pas une flottille de vaisseaux d’exploration à disposition… Channyr avait pour mission de nous trouver un navire capable d’emporter deux historiens et une étudiante prometteuse vers ce qu’il reste de l’empire de La Caren.

Personne ne l’y avait obligé mais il s’était proposé de lui-même. Selon lui, l’un de ses contacts pourrait l’aider. Je lui faisais confiance, car ma seule autre option serait d’aller quémander une place à bord d’un vaisseau de la diplomatie de la Fédération. Avec de la chance, nous aurons trois places dans le prochain départ.

Dans trois jours, ou dans trois ans… La Caren ne vend pas de rêve. A personne.

 

 

Aurèl n’avait pas cessé de me rendre visite malgré la fin de nos investigations aux archives, elle tentait de décrypter le code de la lettre. En vain et ça n’avait pas un bon impact sur son humeur.

— Allons marcher, proposais-je soudain. Aurèl avisa la pluie battante au dehors.

Elle aurait refusé en toute autre circonstance, mais aujourd’hui, elle avait envie de se changer les idées. Avant que nous ne sortions, elle me rendit la lame, qui retrouva le coffre-fort et finit sa course à l’intérieur de mon manteau. De son côté, elle rangea son calculateur et enfila son sac à dos.

— Prête cap’taine !

La pluie était fraîche et c’était une bénédiction. Je respirais à plein poumons une fois dehors.

— J’ai repéré une librairie tradi’ au bout du quartier, tentais-je pour faire la conversation. Chaque fois, nous rentrions trop tard pour aller y faire un tour, mais puisqu’il fait plein jour, essayons.

— Tradi… ça veut dire encore du papier. Tu as quelque chose contre la technologie ?

— Elle me file de l’urticaire.

Aurèl rit de bon cœur.

— On ne serait pas ici sans la technologie.

— C’est vrai, admis-je. J’y suis allergique par manque de connaissance.

— Un vieux travers humain…

Elle me parut très vieille en cet instant. A regarder les passants avec curiosité. Elle tenait le parapluie proche de sa tête et son sac remonté au niveau de sa poitrine.

Sans concertation, nous avions toutes les deux opté pour garder avec nous nos biens précieux. Moi, la lame et mon carnet de notes. Elle, son calculateur. Après coup, j’y pensais mais elle avait dans son sac une quantité extraordinaire de données sur nos recherches. A vrai dire, Aurèl avait tout. La lame, le résultat de nos recherches…

— Dois-je te prescrire un traitement de cheval ou tu as assez de volonté pour ne pas gratter tes boutons quand je sortirais mon ordinateur du sac ?

Un rire partagé et la balade continua dans le calme.

 

Elle s’arrêta brusquement. J’étais un pas devant elle quand elle me désigna une personne face à nous, environ vingt mètres. Aurèl se retourna et je devinais à son visage que quelqu’un nous suivait également.

— Je crois qu’ils veulent des croissants, dit-elle. Puis, elle partit en courant à toute jambe dans la seule direction disponible.

Je jetais mon parapluie, courant après elle.

Louvoyant entre les véhicules terrestres et les cris stridents des klaxons claquant dans l’air.

Aurèl bouscula un couple sur la chaussée opposée. Deux poursuivants à nos trousses. Elle déboucha à toute allure sur un passage commerçant. Une foule dense s’y amassait.

Mon cœur battant, le concert assourdissant du déluge sur les coupoles vitrées au dessus de nos têtes… Un vertige me saisit..

Là, devant, la fin du passage. La pluie en rideau féroce nous attendait.

Aurèl gagnant du terrain, toujours plus loin devant. Je la vis disparaître.

Stoppée nette.

Le souffle-court, je la cherchais parmi la foule. Des regards outrés m’environnaient.

— Aurèl ?!

Une main attrapa mon bras et me tira brutalement sur le côté.

 

Un couloir de maintenance, un local technique, Aurèl claque la porte sécurisée dans son dos et je m’écroulais contre le mur le plus proche.

Les larmes aux yeux, je ne voyais pas l’agent qui se pencha sur moi.

— Madame, vous allez bien…

Aurèl à son tour m’aida à me relever.

— Vous n’avez rien à faire ici, commença l’homme. Il s’apprêtait à saisir son communicateur quand Aurèl lui saisit le bras.

Je ne vis qu’un éclair puis l’homme se retrouva simplement avachis sur une chaise. Les bras pendants et l’air d’un ivrogne endormi.

Aurèl de nouveau devant moi, elle me regardait avec ce sourire malicieux dont elle avait le secret.

— Reprends ton souffle doucement, ça va passer. C’est juste l’adrénaline qui fait palpiter ton cœur trop vite. On a tout notre temps, maintenant. Tout ira bien.

— Tu l’as… tué ?

Elle jeta un regard à l’agent avant de revenir à moi, comme s’il fallait qu’elle s’en assure.

— Non… Non. Il est assommé, c’est tout. J’en reviens pas d’avoir réussi à le faire du premier coup, dit-elle amusée. J’avais vu ça dans un film et…

Elle se tut. Du bruit de l’autre côté de la porte. Je retins mon souffle.

Le bruit s’éloigna et elle se détendit.

— Sérieux, Sahar, faut que tu respires. Prends ton temps, on va rester ici aussi longtemps que possible. Nos deux balourds ne vont pas abandonner si facilement.

J’ai tremblé quelques minutes, sous l’effet de l’adrénaline puis parce que j’étais trempée.

— Il faut prévenir Channyr.

— T’as raison, me dit-elle. Mais en vrai, on ne peut pas retourner à votre hôtel. Ils nous y attendront.

— On devrait faire appel à la sécurité.

— Pour leur dire quoi ? Que des gros-bras sont venus chercher les données qu’on a piquées aux archives ? On va finir en prison…

Elle avait raison.

— Ils ne connaissent pas Channyr. Il fait nos valises et on se retrouve ailleurs, alors.

Elle acquiesça à cette proposition.

— Mais où ?

— La librairie. Il est déjà passé devant.

— Et ensuite ? fit-elle dubitative.

— Il nous faut un autre hôtel.

— Si vous n’avez pas peur du train, je peux vous emmener dans une maison étudiante. Mais c’est à deux heures de…

— D’accord, dis-je aussitôt.

Qui dit étudiants dit Muséum et donc Fédération. Ils n'oseraient pas venir nous chercher là-bas.

— D’accord, répétais-je. Une ambassade.

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