Londres, mercredi 16 janvier 1878

Par Beatrix

 

Très cher ami,  Jamais je ne saurai trop vous remercier de l'aide précieuse que vous m'avez apportée, que ce soit dans les recherches que vous avez effectuées sur cette famille Shimmering, ou pour le soutien que vous m'avez offert dans les suites de cette pénible affaire.  Maintenant que les rumeurs commencent à se dissiper, je puis vous narrer en détail ce qui s'est réellement passé en ce jour de décembre, quand je me suis avisé que la teneur de plus en plus inquiétante des lettres de ma cousine, suivie de son silence prolongé étaient devenu par trop inquiétant. Compte tenu des informations que vous m'aviez apporté sur les habitants de cette demeure, il m'était impossible d'y laisser Elisand.  Je n'ai pas hésité à escalader le mur, sachant que le portail ne me serait jamais ouvert. A peine ai-je posé les yeux sur le manoir des Shimmering qu'il m'a fait une fort sinistre impression. Lorsque je me suis présenté devant la porte, demandant à voir ma cousine, la bonne a prétendu m'interdire l'entrée. Je dois avouer que jamais je ne me serais douté qu'un jour, je pénètrerais de force dans le manoir d'une noble famille. J'ai violemment poussé la pauvre fille et je me suis engouffré dans les couloirs à peine éclairés, sans trop savoir où mes pas me dirigeaient.  C'est alors que j'ai aperçu une femme corpulente qui courait vers l'étage : je l'ai attrapée par le bras et j'ai réitéré ma question : cette personne, probablement la gouvernante dont Elisand m'avais longuement parlé dans ses lettres, a blêmi et a cherché à se dégager, mais je la maintenait d'une poigne ferme. Elle a commencé à prétendre qu' Elisand ne se trouvait plus là, mais j'ai levé ma canne dans un geste menaçant, et elle a fini par accepter de me conduire à son maître.  Le lueur fourbe qui jouait à ce moment dans son regard ne m'a pas échappé : je me suis promis de me méfier d'elle, autant que possible. Elle m'a conduit à l'étage, dans un salon dans les volets avaient été à demi clos ; un homme se tenait là : mince élégant, les yeux obscurcis de lorgnons fumés. Il s'est présenté comme le fameux « Lord Henry Shimmering ».  Je l'ai trouvé d'une immense suffisance ; derrière ses lorgnons, son regard froid me toisait comme si je n'avais été qu'un insecte. Mais alors qu'il me confirmait l'absence de ma cousine, j'ai entendu une commotion venant de l'étage au-dessus, comme des coups violents assénés sur une porte. J'ai immédiatement fait mine de me précipiter vers l'origine de ce bruit, mais lord Henry s'est interposé ; j’étais persuadé qu'il n'aurait aucun poids face à ma détermination, mais j'ai alors ressenti une impression pour le moins étrange, comme si un fluide glacé se répandait dans mes veines, m'empêchant de bouger.  J'étais bien décidé à résister à l'emprise de cet homme... quoi qu'il puisse être ! Un hurlement a retenti à l'étage, m’arrachant à cette étrange emprise. J'avais pris avec moi ma canne épée : je l'ai dégainée et sans la moindre hésitation, je l'ai plantée dans le cœur de l'homme. Elle l'a traversé aussi aisément qu'elle se serait enfoncée dans de l'eau, ou même de l'air. Il est resté debout, me regardant avec tout le mépris dont un être pouvait être capable. Quand j'ai tiré ma lame de son corps, un liquide répugnant s'est écoulé : une sorte d'essence grisâtre, parcourue de reflets miroitants.  Je l'ai frappé une seconde fois, puis une troisième, sans plus d'effet... De nouveau, cette impression effrayante, angoissante s'insinuait à l'intérieur de mon cœur, me glaçant jusqu'aux tréfonds de mon âme. En désespoir de cause, je l'ai frappé en travers du visage : la lame y a laissé une large entaille, ouvrant sur un vide affreux, comme si cette face n'était qu'un masque posé sur le vide. J'avoue être resté un seconde pétrifié d'une telle terreur que, sans doute, serais-je retombé sous l'emprise de cet être, si un nouveau cri, dans lequel j'ai reconnu la voix de ma cousine, ne m'avait sorti de ma stupeur. J'ai appelé son nom, à m'en déchirer la voix, et je l'ai entendu me répondre...  J'ai bondi vers l'escalier, poussant hors de mon chemin cette créature abjecte. J'ai monté les marches quatre à quatre, pour tomber face à la gouvernante, qui tenait d'une poigne de fer une jeune personne que je peinais à reconnaître comme ma douce cousine : elle était vêtue d'une robe fort chère de satin gris, froissée et déchirée, et sa chevelure pendait en désordre. Elle semblait être en proie à une terreur absolument abjecte.  Je n'ai pas hésité à frapper la femme au visage, l'étourdissant assez pour qu'elle relâche sa prise sur Elisand. Cette dernière me regardait avec un effroi fort douloureux. Je lui ai parlé doucement, jusqu'à ce qu'une lueur de reconnaissance apparaisse enfin dans son regard. Sans plus attendre, je l'ai entraînée avec moi vers l'air frais du dehors, loin de ce lieu d'horreur.  Je ne saurais vous remercier assez d’avoir pris assez au sérieux mes allégations pour envoyer, avec l'accord de votre hiérarchie, des hommes en cette sinistre demeure. J'ai ouï dire qu'il y avaient retrouvé deux corps dans l'aile abandonnée du manoir : l'un deux est probablement l'homme qu'Elisand avait croisé, le prétendu frère jumeau de lord Henry. Le second était celui d'une femme, depuis longtemps, à ce qu'il semblait, consumée par une maladie cruelle. Mais plus aucune trace de ces deux créatures maléfique ni de la gouvernante. Il a été conclu qu'ils étaient les véritables maîtres des lieux et qu’ils étaient morts de causes naturelles, après avoir été longuement séquestrés par des imposteurs.  Je ne souhaite pas m’enquérir plus avant de ce qui s'est passé : mon souhait est d'oublier au plus vite cette pénible affaire. Elisand se remet lentement dans une maison de repos au bord de la mer, et j'ai pris soin de bannir de sa vue tout ce qui peut lui rappeler son épreuve.  Mais encore à ce jour, elle refuse d'approcher du moindre miroir. Je ne sais si elle sera jamais délivrée de cette singulière terreur.  Je reste votre dévoué serviteur,  William Hartley 

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Diogene
Posté le 10/11/2014
Bonsoir Béatrix,
J'ai lu cette histoire d'une seule traite, happé que j'ai été par le récit de cette pauvre Elisand. J'ai pensé dès le début à des vampires, mais jamais je ne me serai attendu à celà. 
C'est un véritable merveille que tu écris là. Et raconter son histoire dans un échange éoistolaire, lui donne encore une autre dimension. Je me suis retrouvé d'un coup dans un monde, où se côtoie les ombres et les monstres. Un monde gothique empreint de romantisme. 
Bravo
Beatrix
Posté le 10/11/2014
Merci Diogène. Mon but était d'écrire un récit dans la pure tradition du XIXe siècle. Je suis contente que ça marche et que tu aies bien perçu mes intentions ! :)
 A très bientôt ! ^^ 
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