Princes des ténèbres, seigneurs des profondeurs, par la sagesse et l’amour, entendez mes prières.
Elle referma les volets, puis la fenêtre. Au prochain passage de la milice, tout serait comme avant. Lentement, Nolaï expira. Plus que deux heures. Deux heures de répit qu’elle se devait d’accorder à son corps. Après seulement, elle reprendrait sa fuite.
Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité ; devant elle, Nolaï vit deux taches de buée grise s’étaler contre les carreaux sales et brisés. La jeune femme secoua la tête. Était-ce donc trop demander que d’espérer que le temps pût s’améliorer ? Au dehors, la pluie n’en finissait pas de griffer des vieilles parois de pierre et de bois, et c’était à peine si la lumière parvenait encore à se frayer un chemin à travers les épaisses gouttes de pluie. Résignée, frigorifiée, Nolaï s’éloigna de quelques pas des faibles rais de lumière que les battants de bois laissaient couler à l’intérieur de la pièce. Et se noya dans l’obscurité.
Sur un côté, deux chaises avaient survécu à leurs possesseurs. Aucune des deux n’aurait résisté, si Nolaï s’y était assise. Elle s’installa à leurs côtés. Au dossier de la première pendait son manteau, tandis qu’elle avait posé sur la seconde son sac de cuir. Ses quelques affaires étaient encore trempées. Tant pis. Elle remettrait ses vêtements humides. Comme les autres fois.
Ses cheveux courts s’accrochaient aux toiles d’araignées du mur qui soutenait sa tête. Certainement abandonnées elles aussi. Même les araignées ne survivaient plus, dans cette région dévastée.
Princes aux cheveux d’or, seigneurs aux yeux d’ivoire, par la sagesse et l’amour, entendez mes prières.
Nolaï tendit ses jambes devant elle. Elle se mordit la lèvre, ne pouvant retenir un gémissement lorsque son genoux droit craqua bruyamment. Une stupide chute, et voilà le résultat. Pourtant il faudrait bien qu’elle marche encore. Dubitative, la jeune femme observa ses pantalons de toile brune. Ils étaient alourdis par la pluie malgré qu’elle les eût essorés. Mais les enlever aurait signifié mourir d’hypothermie en quelques minutes. Quelques secondes, même, pensa-t-elle en laissant son soupir s’envoler en petit nuage blanc.
En quelques gestes saccadés, Nolaï enfila ses doigts dans la poche de son pantalon. Il lui restait encore un petit morceau de pain de son dernier repas, lui semblait-il. Ah, non. Le mouchoir en tissus était vide. En longeant des bords du carré de tissus de ses doigts gourds, elle ne put s’empêcher de se demander si tout cela avait encore un sens. À quoi bon courir alors qu’elle ne survivrait certainement pas jusqu’au prochain village ? Quitte à mourir, elle préférait être assise ici, le dos contre un mur, les pieds au sec.
Mais elle savait bien qu’elle repartirait. Parce qu’il le fallait. Parce qu’elle voulait se battre. Parce que sa haine la nourrissait bien plus qu’un simple bout de pain.
Chaud. C’est la première chose que Nolaï pensa en frôlant le milieu du mouchoir, à l’intérieur de sa poche. Chaud ?
Soudain, Nolaï ouvrit grand les yeux.
La pierre.
La pierre était chaude.
Nolaï la saisit, la sortit de sa prison d’étoffe. La porta à ses yeux. Elle était rouge. Rouge. Danger. IL était là. En quelques instants, la jeune femme se leva en grimaçant, rassembla ses rares possessions et enfila sa veste imbibée d’eau. D’un geste brusque, elle récupéra son sac, cognant la chaise de bois. L’ouvrage finement sculpté se renversa et se brisa au sol. Tant pis. Nolaï n’avait pas l’énergie, encore moins le temps, d’alimenter ses états-d’âme.
Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’elle n’avait tout simplement plus de temps de vivre. Elle eut beau boiter jusqu’à la porte, elle eut beau se jeter sur la poignée, qui céda sous la pression, elle sut bien vite qu’elle n’avait aucune chance. Car tout là-bas se dessinait sa fin.
C’était une silhouette. Une silhouette brillante, dressée un peu plus haut sur la colline.
C’était une silhouette qui scellerait son sort.
Princes oubliés, seigneurs déchus, par la sagesse et l’amour, entendez mes prières.
Merci pour ta lecture !