Lui est ailleurs

C'est aujourd'hui que Sam sort de l’Hôpital psychiatrique de Privas, établissement dans lequel il se débattait depuis quelques jour contre l'impensable réalité. Théo est mort, Théo s'est pendu dans le grenier de la maison. Il se souvient quand il l'a découvert. Son esprit a vrillé, son cerveau était incapable d'enregistrer cette image qui le défiait. Théo pendu à une corde, ses yeux qui souhaitaient quitter leur orbite, sa bouche grande ouverte comme pour dire dans son ultime soupir encore quelque chose. Impensable, inimaginable. Sam refusant de croire son frère mort, l'a aidé à lui ôter la corde qui lui enserrait le cou. La chaise sur laquelle Théo était montée pour mettre à execution son geste de désespoir se renversa sous le poids du corps de Théo venu s'écraser sur Sam. Ce dernier crut mourir, son souffle fut coupé sous la pression exercée par le corps inerte de ThéO. Une douleur intense se réveilla aussi au niveau de son coccyx. Il dut puiser dans toute sa force et son énergie pour réussir à faire glisser le corps de son frère sur le côté. Allongé ainsi,sur le dos, Sam repris son souffle repoussant le moment où il tournerait la tête en direction de son frère. Il pivotât doucement la tête vers Théo pour se trouver nez à nez avec lui. L'effroi lui fit tirer des larmes. Il examina son visage à la recherche du moindre indice prouvant qu'il était toujours en vie. Il lui toucha le visage avec délicatesse, lui referma les yeux. Dans un ultime espoir, il passa sa main sous le nez de son jumeau pour vérifier s'il respirait encore. Ce fut à cet instant précis qu'il réalisa que Théo n'était pas mort. Il pouvait encore le sauver. Ensuite, tout s'est enchaîné très vite : appel aux parents, le samu, l’hôpital. Bien que Théo soit resté que quelques jours dans le coma, Sam n'a jamais perdu l'espoir de voir son frère se réveiller et reprendre une vie normale auprès de lui. Hélas, quand Théo s'est éteint, Sam l'a refusé en bloc. Un déni puissant l'a renfermé sur lui-même, dans sa chambre, dans l'écriture. Il ne dormait plus, ne mangeait plus. Anna et Rémi déjà accablés par la douleur d'avoir perdu un de leur fils devaient en parallèle gérer le déni et la détresse de Sam. Le couple parental s’était ressoudé dans l'adversité, ils ne devaient faire qu'un pour être plus fort et aider leur fils encore vivant. Ils avaient déjà échoué une fois. Inimaginable une seconde fois. Être présent pour Sam les aidait à tenir le coup, sans cette béquille Anna et Rémi se serraient effondrer à leur tour. Comment continuer à vivre quand le pire vous arrive ?

Sam ne se sent pas prêt à revenir dans le maison, pourtant il va bien falloir qu'il gravisse les marches de l'escalier extérieur. Ses parents de part et d'autre de son corps amaigri le tiennent chacun par le bras pour l'aider à mettre un pas devant l'autre. Affaibli et bourré de médicaments, il manque de tomber dans les pommes. Les médecins ne peuvent pas le garder plus longtemps à l’hôpital, des lits viennent à manquer, d'autres jeunes attendent qu'une place se libère. Sam sera suivi régulièrement par le pédopsychiatre à l’hôpital de jour. Alors aujourd'hui, il doit rentrer chez lui. Cette maison qu'il considérait comme une chance, un cadeau s'est transformée en maison d'horreur, en maison hantée. Son impatience, sa joie de vivre a fait place à de la résignation, du dégoût. Il veut la fuir et non y entrer. Encouragé par ses parents, qui le rassure à l'aide de mots doux, Sam réussi à poser un premier pas dans le salon. Des cartons encore vides sont entassés prés d'un mur. Anna et Rémi ont décidé de repartir vivre dans leur ancienne maison à Marseille qu'ils avait gardé pour la louer. Ils veulent vendre la maison du malheur. Adieu les rêves de Rémi, la vie à la campagne, cela attendra si cela doit se refaire. Leur santé mentale en dépend, leur vie de famille aussi.

Sam qui ne parle plus depuis qu'il a compris qu'il ne pourrait plus aider son frère, que ce dernier était bel et bien mort, regarde ses parents de ses yeux vides puis se se dirige vers l'escalier. Il veut aller dans sa chambre se reposer. Rémi lui propose de l'accompagner mais Sam refuse. Il veut être seul.

Dans la chambre de Théo, tout son bordel a disparu. Sam ne reconnaît plus le repaire de son frère, complètement aseptisé ce lieu le rend triste. Anna a tout rangé. Voir les affaires de Théo traîner comme s'il vivait encore là l'angoissait. Sam n'a pas envie de contester quoique ce soit, il veut aller dans sa chambre, dans le dernier lieu où il peut encore se sentir en sécurité. Contrairement, à celle de Théo, sa chambre est restée intacte, Anna n'a rien touché. Elle ne voulait pas bouleverser le retour de Sam, elle souhaitait qu'il retrouve ses repères et que ce espace familier reste un refuge pour lui. Sam est rassuré de voir sa chambre ainsi. Sur son bureau traînent un tas de feuilles volantes toute noircies de mots, résultat des derniers jours passés avant la mort de Théo. Sam s'était réfugier dans l'écriture, il écrivait jour et nuit. Anna l'avait surpris à plusieurs reprises dans un état second comme possédé par l'écriture, la tête baissée sur sa machine à écrire. Elle le laissait faire, lui proposant de temps à autre à manger. Il refusait tout, il voulait qu'on lui fiche la paix. Elle pensait qu'il en avait besoin pour exorciser sa peine. Lorsqu'elle lut son histoire,un soir où il était à l’hôpital, Anna avait réalisé à quel point Sam était dans le déni. Elle avait beaucoup pleuré pendant la lecture.

En s'approchant de son bureau, Sam redécouvre le manuscrit qu'il avait écrit avant son hospitalisation. Sur la première page est écrit : « Lui est ailleurs » de Samuel BERNON.

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