Lui - Scène 11

Il y a un mail, dans sa boîte, auquel Alexandre est incapable de répondre depuis plusieurs semaines, qui date d'avant le confinement : un rendez-vous avec sa directrice de thèse. Alors en ce lundi matin, il continue de l'ignorer.

Après tout, il a tellement de choses à faire. Il lui reste un peu moins de 50 euros sur son compte, avant le virement pour son loyer et les factures d'avril. C'est largement suffisant pour remplir le frigo, racheter du shampoing et des clopes. Important les clopes, il n'a pas fumé depuis plus de vingt-quatre heures.

Son voisin, le mec en Staps très hétéro, est en train de sortir une valise quand il sort sur le palier.

— Ah, t'es encore là ?

Appelez-le vieux jeu, mais Alexandre a horreur qu'on le tutoie directement. Mais il a également été bien élevé et est passé maître dans l'art du sourire crispé.

— Bien sûr.

— Super, attends juste deux minutes.

Le mec rentre à nouveau dans sa chambre/son studio, puis en ressort trois minutes plus tard avec une bouteille de lait, un steak congelé, une boîte d'œufs à peine entamée et un pauvre pot de confiture à la fraise.

— Je rentre chez mes parents en Picardie. J'ai déjà vidé mon frigo mais ça je n'ai pas envie de gâcher. Hop, c'est cadeau !

— Euh, merci ?

— Tu vas être le roi ici, Marjorie est déjà partie la semaine dernière !

Marjorie ? Ah, sans doute la troisième locataire de l'étage.

— T'es en socio c'est ça ? Ça doit être génial de vivre une période comme ça du coup.

— Pas vraiment...

Le mec, dont il a oublié le nom, ne prend pas le temps d'écouter la réponse et fonce dans les escaliers, direction Gare du Nord.

— J'ai eu un steak gratuit aujourd'hui !

Alexandre envoie un texto à Samuel entre le rayon crème fraiche et le rayon surgelés.

— Cool ! Mon pote travaille dans un doner kebab, du coup hier on a eu de la chance, on a eu du shawarma.

Donc Samuel bosse comme livreur, le mec qui le loge comme cuistot ? Ou livreur aussi ? Alexandre repense à son mail, son directeur, et sa thèse, forcément, choisie un peu par hasard.

— Mon mémoire c'est sur les nouveaux emplois précaires.

— Intéressant...

Rayon yaourt. Il reste quelques crèmes au chocolat, en solde en plus !

— Pas vraiment, c'est un sujet hyper rabâché. Je pense que mon directeur veut que je le précise. Et j'ai aucune idée.

— J'ai le droit à un First World Problem ?

— Tout à fait, je suis l'exemple type du mec qui a choisi son domaine sans réfléchir, au milieu d'étudiants qui en ont vraiment quelque chose à faire.

Rayon alcool. Non cette semaine on essaie d'être raisonnable, et le budget baisse. Il reste les clopes à acheter.

Sorry, j'ai horreur des lundis.

— C'est mon jour de congé, vu que maintenant je bosse aussi le dimanche. On se voit ? J'ai une attestation pro, je peux dire que je fais des livraisons dans le coin.

It's a date !

Alexandre évite de le dire à voix haute au milieu des boîtes de conserves.

 

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Amusile
Posté le 13/10/2021
C’est trop mignon, surtout la fin avec son « it’s a date ». On a vraiment l’impression d’être glissé dans l’intimité d’Alexandre. Et on a hâte d’en apprendre plus sur Samuel !
AuroreGrosjean
Posté le 05/09/2021
Oh non c'est trop mignon son petit "It's a date !".
Je croise les doigts très fort pour que ça puisse bien se passer pour eux (dans le respect des gestes barrières bien entendu).
CM Deiana
Posté le 18/09/2021
Toujours le respect, au moins pour encore qqs chapitres...
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