Le froid le ramène à des considérations plus terre à terre assez rapidement. Ça sent la pluie aussi, et les poubelles. Ce n'est pas une grande surprise en plein Paris ; sauf qu'Alexandre se rappelle que le mardi, c'est le jour de passage des éboueurs dans son quartier. Et ils doivent commencer un peu vers cette heure-ci, au moins pour ceux qui sortent les poubelles des garages et des cours intérieures.
Il ne faudrait pas que quelqu'un le voit. Qu'est-ce qu'il fout là, lui, doctorant insomniaque, un de ceux qui ont l'obligation de bosser de chez eux sans même passer le pas de leurs portes, sauf pour aller s'acheter à manger. Et encore.
— Je me demande si j'ai assez de PQ.
Ça le fait marrer. Ça lui rappelle le monologue de son père au téléphone, à parler sur la bêtises des gens. Oui papa, les gens sont bêtes, mais eux aussi ils ont fait le plein de PQ, et de savons, tellement de savons, de Javel, de conserves, d'huile, de tout.
L'église finit par sonner quatre coups. C'est étrange. Alexandre s'est tellement fait à la vie de son quartier, de son arrondissement, qu'il n'a jamais fait attention à ce bruit parmi les autres.
Il est donc quatre heures du matin. Le jeune homme se rappelle vaguement qu'il a une session d'anglais en ligne à huit heures. Si le distanciel fonctionne, ce qui n'est pas encore gagné. Par contre il a aussi un article à rendre pour jeudi, qu'il n'a pas encore commencé. Mais il n'a pas de nouvelle de son directeur de thèse, donc peut-être que ce n'est pas si urgent.
En fait, les rares fois où il a fait des insomnies avant tout ça, il patientait jusqu'à cinq heures, cinq heures et demie, puis sortait aller manger un croissant avec un café rallongé, dans un des rares cafés bon marché de Paris. Le gras un peu sec mais encore chaud du croissant arrivait à lui faire oublier le peu d'heures de sommeil qu'il avait pu accumuler. Deux, trois tout au plus. Et le café le faisait tenir jusqu'à quatorze heures pour le repas.
— Merde, j'ai oublié de prendre du café.
Pas de briquet, pas de café chaud qui l'attende chez lui, il sent que le reste de la journée ne va pas être agréable. Sa migraine revient d'ailleurs, comme si elle s'était rendue compte de son état d'esprit.
C'est alors qu'il le voit.
Un grand ado, emmitouflé dans un blouson en jean, clope au bec, qui traverse la placette d'un pas rapide.
De fait, Alexandre ne voit que la cigarette, et donc la promesse d'améliorer un peu sa fin de nuit. Certes, personne n'est censé savoir qu'il est là, mais après tout, ce mec non plus, si ça se trouve, n'a pas le droit d'être là. Et il ne ressemble pas à un flic.
— Hé !
Le temps de se lever et de l'interpeler, l'inconnu s'est arrêté et l'observe derrière des mèches de cheveux trop longues. Il a l'air de quelqu'un qui vient de sortir d'une boîte. Sauf que...
— T'as du feu ?
Une main maigre, presque squelettique, sort un antique briquet Bic de la poche de son jean. Le craquement distinctif de la pierre, la lumière et la chaleur de la flamme... Alexandre respire son tabac avant même que celui-ci ne s'empare de sa bouche et de ses poumons.
— Merci !
L'autre est déjà parti. Il court presque. Il est peut-être en retard à son taff.
Qui bosse encore aujourd'hui ?
La question tient Alexandre jusqu'à ce qu'il referme la porte de son studio. Il a eu plein de réponses. Les éboueurs, les magasiniers, les chauffeurs, les infirmiers, les boulangers... Tellement de monde.
À la radio arrive le premier journal du matin alors qu'il s'accoude à sa fenêtre. En se penchant dangereusement vers la droite, on peut apercevoir le Sacré-Coeur.
Nombre de cas, nombres d'hospitalisations, nombre de morts.
Finalement, son studio ne lui paraît pas si étouffant que ça.
Il a besoin d'un café.
J'aime beaucoup ta façon d'écrire, très détendue.
C'est intéressant de lire un texte traitant de cette drôle d'année, surtout du point de vue des étudiants. Toutes les considérations pratiques d'Alexandre nous ancrent très bien dans son quotidien, mais l'atmosphère, surtout marche particulièrement bien. Y a une sorte d'aura mystérieuse, très étouffante, j'aime beaucoup. D'autant que tu maintiens le suspens avec cette fin de chapitre...
Je vais continuer ma balade en sa compagnie pour voir où il me mène.
Merci de venir découvrir mon écriture :)
J'espère que la suite de l'aventure te plaira.
J’ai eu la chance de faire le confinement entourée de ma famille, en zone périurbaine… Ca a été dur. Mais en comparaison à cette vie parisienne, j’ai tellement eu de chance. A voir la suite 😚
J'espère que la suite t'a également plu.
Juste une Le remarque : tu peux justifier ton texte sur Plume d’Argent, si jamais ça t’intéresse.