Qu'y-a-t-il de plus déprimant qu'un serveur discord dédié à des étudiants isolés ? Sachant qu'une bonne partie de cette population est déjà, à la base, en situation dépressive, en surmenage, en bore-out aussi des fois, enchaînant les emplois précaires et attendant qui une réponse du CROUS, qui un virement de papa-maman, sortant du vendredi au samedi pour oublier le week-end précédent où ils ont révisés du vendredi au lundi ?
Eh bien Alexandre se rend compte : pas grand-chose.
Un système de tutorat a été mis en place à titre d'expérimentation dans sa fac depuis deux ans, et il a sous son aile deux étudiants de master. Du coup il se sent obligé de venir voir ce que deviennent ses camarades de promo et les deux jeunes gens qu'il est censé aider. Il ne sait pas comment mais pourquoi pas.
Alors il leur envoie un message le vendredi à midi, alors qu'il mange des pâtes au ketchup, vu qu'il a oublié d'acheter de la viande et que la pauvre saucisse qui restait encore dans son frigo devenait un peu verdâtre pour être comestible.
Cinq minutes plus tard, c'est son portable qui sonne.
Un sms de Clément, une photo du jardin de ses parents en Normandie.
— Ah ben ça va du coup, fait Alexandre entre les dents. Puis il regrette : lui aussi pourrait aller jusqu'à Gare de l'Est et sauter dans le premier train vers Strasbourg. Il n'aurait qu'à mettre deux tee-shirts et son ordinateur dans un sac-à-dos et hop !
L'assiette vide dans l'évier, le jeune homme envoie une réponse lapidaire : — Profite bien, n'oublie pas de te connecter pour les cours et si tu as un problème technique n'hésite pas.
L'après-midi passe devant Netflix. Et avec une nouvelle migraine.
— Je devrais me mettre au sport, je crois qu'on a le droit de sortir un peu plus longtemps si c'est pour courir.
Allongé sur son lit, Alexandre soupire, à moitié endormi.
— En plus je pourrai peut-être recroiser le mec mignon d'hier.
Jamais deux sans trois, comme dit sa mère, qui n'est jamais à court d'expressions toutes faites.
Une notification discord apparaît dans le coin de l'écran. C'est Yasmine, son autre protégée.
— J'ai un peu de mal.
Yasmine n'habite pas en résidence universitaire, ni dans un studio, ni en colocation. Elle est chez ses parents. Dans un trois pièces avec deux petits frères.
— Je suis une caricature ambulante ; d'ailleurs je veux devenir assistante sociale !
Si elle avait dit ça devant la machine à café de la fac, Alexandre aurait souri, mais sans plus, juste par politesse. Mais elle lui a dit ça, par hasard, alors qu'ils s'étaient croisés dans un bar gay friendly du 18ème.
Fin de l'épisode Netflix d'une série policière suédoise ou norvégienne pas très intéressante.
Alexandre : — Vas-y, dis-moi tout.
Qu'on se comprenne bien : Alexandre n'est pas militant, et la communauté ne lui sert qu'à aller boire un coup sans avoir trop peur de se faire éclater la tronche, et de draguer. Point. Il y a des clubs LGBT à la fac, on l'a même invité dans des associations, il n'y a jamais mis les pieds. Il fait de la sociologie parce qu'il veut observer les gens, pas parce qu'il veut donner une voix à ceux qui n'en ont pas ou peu.
Mais quand même.
Yasmine : — Mes frères sont infernaux et on ne sait pas quand reprendra l'école.
Alexandre : — Tu arrives à t'isoler de temps en temps ?
Yasmine : — Mon père et ma tante pensent que comme je ne vais plus à la fac, je n'ai plus rien à faire. Si je vois encore un tas de vaisselle à laver ou du linge à plier, j'explose !
Alexandre : — Tu veux passer sur Paris pour te changer les idées ?
Yasmine : —Distance d'un kilomètre autour du domicile. LOL.
Alexandre : — Je peux demander une attestation pro au secrétariat non ? Genre on a besoin de se voir pour ton mémoire. Ça vaut pour un déplacement professionnel.
Yasmine : — C'est gentil, mais ils te diront qu'on peut faire ça par Skype, et en plus ma caméra fonctionne plus.
Alexandre : — Je vais quand même essayer.
La conversation se finit. Alexandre envoie un mail au secrétariat et au responsable des masters, et à son directeur de thèse pour compléter le tout. Ça fonctionnera peut-être. Alors ok il n'y a plus d'endroit où se poser pour se voir, mais peut-être demander à passer à la fac ?
Emporté dans son élan, Alexandre finit par ouvrir son mémoire de recherche et ses notes. Il est déjà dix-neuf heures. Il a faim, il lui reste un peu d'argent sur son compte, il est presque tenté de commander une pizza.
Non, finalement on reprendra des pâtes avec une bière, parce que oui on oublie d'acheter du café mais il reste de la Météor ramené par son frère lors de sa dernière visite en octobre. Alexandre n'aime pas, mais faute de mieux...
J'y vois une métaphore mais ai-je raison ? ^^
Tu arrives parfaitement à dépeindre la connexion/déconnexion du confinement, où, même si on reste en contact avec le monde via internet, la solitude est la seule vraie compagne.
Toujours autant de justesse dans ce que tu nous dépeints.
Je poursuis donc ma lecture avec un grand intérêt.
Ce que ça a du être dur pour de nombreux étudiant.e.s (et encore maintenant) cette période de méga-confinement.
Mais j'espère qu'Alexandre aura son petit bonheur pour rattraper tout ça :)
(Et Yasmina aussi vu qu'un personnage secondaire arrive comme ça sans prévenir)