Lundi 22 Mars

Par Will

Cher Journal...

Tu m'en vois désolé mais je ne m'adresserai pas à toi de la sorte. Je parle à la foule. À la foule qui dort. Le premier texte est le plus dur à écrire.  Comme la première larme. Comme le premier sang. Comme le premier vent de folie qui frappe l'homme ordinaire. Suis-je l'homme ordinaire ? J'écris, je crie, je crise et crissent mes mots - dérive - je cherche ma plume - elle flotte dans un ciel rose.

Tous ces mots sont les couches sédimentaires qui recouvrent mon cœur rouge, chaud, palpitant, autrefois débordant de toi. Je n'ose pas le mettre à nu. Je n'aurai jamais l'insolence de te prier de me comprendre car certains gestes sont inutiles et certaines prières sont faites pour le silence.

Mille et mille images du passé, comme de vieux journaux emportés par le vent, tourbillonnent autour de moi. Elles restent pourtant hors de portée. Lorsque je tends ma main, il me semble que le vent les éloignent un peu plus de moi. Encore un peu plus. Je peux voir des images sur certaines des pages. Les couleurs sont passées, les contours un peu flous et il m'est impossible de lire le nom de l'intrépide créature qui se cachait derrière l'appareil au moment de la photo.

Je vais être honnête : j'ai l'impression d'avoir vécu mille ans.

Sous le tumulus incroyable de mes amères amours se cache un cœur vieux d'un millier d'années. Je ne sais s'il bat encore, ni pour qui il bat si tel est le cas. J'avais pourtant les mains remplies de toi. La bouche en crue au bord de toi. Les yeux en fleuves auprès de toi. L'instinct fureur enfoui en toi. Où sont passées nos chevauchées sauvages, nos courses contre la nue, nos rêves de route sans fin, déserte et rosissante ?

Il me semble que tu es derrière-moi désormais, L. - comme je t'appelais (the name I used to love). Je crois que je me rapproche tout de même un peu. Je le sens à ma langue qui se délie, aux mots qui semblent venir d'un peu plus profond, non de la source immaculée, mais, au moins, d'un niveau inférieur, un peu plus souterrain de ma personne. Je me souviens de mes muses aux cheveux longs. Elles avaient cette manière bien à elles de me prendre la main et de me proposer, en un regard, la possibilité d'un ailleurs plus vaste. Du moins le pensais-je.

Au fond, qui ai-je aimé ? N'était-ce pas mon propre reflet, ou pire, le reflet de mes rêves, de mes fantasmes, de mes obsessions, que je cherchais - et trouvais ! - dans les miroitements de leurs mirettes (je commence à avoir envie de jouer avec les mots) ? Combien de temps de la vie passe-t-on à n'aimer que des images, des projections ? Et quelle fraction de cette vie consacrons-nous à l'amour, au véritable amour ?

Au fond, ai-je aimé ?

Je ne sais pas si j'ai aimé véritablement mais je sais que tu m'as doté de sens que seuls quelques rares élus possèdent et qui consument la plupart de ces pauvres malheureux, incapables qu'ils sont de se servir de ce don unique. Depuis toi, mes mains sont capables d'écarter les nuages en creusant à même le ciel pour y découvrir non pas un mais des centaines d'univers somptueux, obsédants et fantasmagoriques. Cette fantasmagorie tourne dans sa lanterne comme un poisson dans sa bulle. Le monde se lève. Il est devant moi. Il est devant nous.

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Morgane64
Posté le 18/04/2021
Bravo, Will. Je trouve que tu fais preuve de beaucoup de maturité dans ta rédaction, on sent que c'est à la fois travaillé et cela paraît spontané. C'est un vrai ton d'écrivain. Continue !
Lulu_ecrit
Posté le 28/03/2021
Quand on lit ton texte, les mots sont comme les jours, ils se suivent, ne se ressemblent pas, mais pourtant, il s'accordent merveilleusement, comme s'ils étaient faits pour s'entendre.
S'adresser à la foule est une merveilleuse idée, et la suite du texte est magnifique, ce questionnement décrit sur le sentiment d'Amour.
Ces questions qui fleurissent dans ton texte, indique bien l'état d'esprit du narrateur!
Ce texte est magnifique, et très très bien écrit, c'est merveilleux, bravo!