Lyana, ou la guerre de la serpillière

— Lyana, debout ! Ce n’est pas parce que tu n’as plus d’épreuves écrites du BAC que tu dois arrêter de travailler !

A peine éveillée, j’ouvris les yeux et aperçus le visage furieux de ma mère qui ne semblait pas apprécier que je me lève plus tard que 8h30.

— Laisse moi. Je me lève dans dix minutes, grognai-je en me retournant dans mon lit.

— D’accord, mais pas plus. Je veux te voir au travail dans une demi-heure. Et je vérifierai ! ajouta-t-elle avant de refermer la porte.

— C’est ça… A plus !

Je tentai alors de me rendormir, mais peine perdue. J’étais malheureusement éveillée. Je me levai et tâtonnai dans le noir jusqu’à trouver l’interrupteur. La lumière s’alluma d’un seul coup m’éblouissant. Je l’enfonçai à nouveau préférant de loin savourer la pénombre que détruire mes yeux à cause d’une lumière trop forte. Je sorti finalement de ma chambre me servant de mes petits doigts de pieds et de mes mains comme des radars à placards, et me dirigeai vers la cuisine.

En chemin, mon chat vint réclamer son dû matinal qui consistait à une séance de grattouilles sous le menton. Je le pris dans mes bras et ne put m’empêcher de remarquer que son ventre était trempé et poisseux.

— Mais qu’est-ce que tu as fait ?

Mais Iggy se contenta de me fixer avec l’air courroucé de celui qui attend ses câlins et me tança d’un miaulement outré qui devait certainement dire : Ne t’occupe pas de mon ventre mais de moi !

A cet instant, mon propre ventre me fit aussi remarquer qu’il méritait mon attention en poussant un beuglement qui eut pour effet de faire fuir Iggy. Retirant les longs poils qui s’étaient collés à mon pyjama, je reprenais ma route vers la cuisine.

Lorsque j’arrivais, j’aperçu le beurrier ouvert et le beurre n’y était plus ! J’étais pourtant certaine d’y avoir mis une nouvelle plaquette pas plus tard que la veille au soir. Énervée, je me dirigeai vers le frigo avec l’intention d’aller en chercher une autre, et l’ouvrit d’un coup sec. Aussitôt, le chien déboula dans la cuisine croyant que j’allais lui servir sa pâtée, mais il repartit immédiatement dans l’autre sens la queue entre les pattes, lorsqu’une pluie de jus d’orange dégoulina du frigo recouvrant le sol d’un liquide orange et poisseux.

Surprise, je poussai un cri et m’écartai d’un bond.

— Mais qu’est-ce qu’il se passe ici !

Evidemment, la seule réponse que je reçu fut le miaulement furibond du chat assit à l’entrée de la cuisine, et qui trouvait que je ne lui avait pas fait assez de câlins. Mais qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour mériter ça ? Peut-être était-ce le karma qui essayait de se venger de l’annulation des écrits du BAC ? Dans tous les cas, ma journée commençait mal…

Je claquais la porte du frigo afin d’interrompre l’écoulement interminable de jus d’orange qui était en train de rendre le carrelage aussi poisseux que le ventre du chat. Cette réflexion fit tilt dans mon esprit et je me tournai vers Iggy, les poings sur les hanches.

— C’est toi qui a fait ça ?

Mais le chat se contenta de me regarder de son air le plus innocent avant de lâcher un ronronnement de joie et de se laisser chuter sur le côté, exposant son ventre dans le potentiel espoir que j’oublie la mare de jus qui coulait entre mes pieds et lui caresse le ventre. S’il s’agissait là de son objectif, c’était raté. Il n’était même pas question que je touche les poils trempés et gluants de l’être que j’osai appeler ‘’animal de compagnie’’. Pour l’instant, il s’agissait plus d’un ‘’animal des ennuis’’ qu’autre chose.

J’enjambai alors avec précaution Iggy qui semblait trouver le carrelage froid à son goût et me dirigeai vers le cafouche, soit le placard dans lequel on stockait le matériel ménager, la nourriture pour les animaux, et leurs litières.

En y pénétrant, ma première action fut de chercher l’interrupteur dans le noir car la pièce n’avait pas de fenêtre, et le bouton était toujours coincé derrière les paquets de croquettes du chat. Ma deuxième fut de pincer mon nez avec ma main lorsqu’une odeur mélangeant renfermé et contenu d’arrière-train de chien titilla avec délicatesse mes narines. En tout cas, je n’avais plus faim.

Je cherchai du regard la serpillière, chose non aisée au vu de la pagaille inimaginable qui y régnait. C’était pire que ma chambre juste avant une soirée entre copines (car je la rangeait uniquement pour ce genre d’occasions). Et puisque nous étions en confinement, je n’étais pas prête de la ranger à nouveau. J’étais en train de me demander pendant combien de temps encore le confinement allait durer, lorsque mes yeux tombèrent enfin sur la serpillière qui était à moitié cachée par l’aspirateur et un parasol jaune fluo à pois vert dont j’ignorai totalement l’existence. Et j’aurai amplement préféré ne jamais en entendre parler.

Esquivant avec plus ou moins d’adresse (enfin surtout moins) les différents obstacles qui me séparaient de la serpillière, je m’en empara rapidement et fit volte-face prête à refaire le même parcours dans l’autre sens. Mais circuler entre les caisses, les manches à balais, les bacs à litières et les piles d’objets qui ne tombaient par miracle pas, ne fut pas aisé. Il advint qu’un carton ou deux ne tombe sur ma tête ou que le manche de la serpillière heurte un balais déclenchant un domino d’objets qui tombaient avec fracas sur le sol.

— Lya, qu’est-ce que tu fabriques ? hurla mon père depuis le bureau où il était en train de télé-travailler.

— Rien ! Je galère avec la serpillière !

— Alors galère en silence s’il te plait !

Il pouvait parler lui… Dès qu’il finissait un appel avec un client un tant soit peu casse-pied, il râlait tellement fort que même la musique lancée à fond dans mon casque ne parvenait pas à couvrir le son de sa voix.

Je fus tirée de mes pensées lorsque mon pied buta dans quelque chose de mou et poilu. Je baissai les yeux et aperçu surprise mon lapin qui ne semblait pas avoir apprécié le coup de pied.

— Désolé Brioche, m’excusais-je en le voyant tout tremblant. Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Allez va dormir sur le canapé, ce sera plus confort que le sol quoi qu’en pense Iggy.

J’attrapai alors Brioche et achevai de sortir de la salle tout en me demandant pourquoi j’avais appelé le chat Iggy, alors que mon chien se nommait Chamallow et le lapin Brioche. J’aurai très bien pu lui donner un nom de nourriture comme Carambar ou Biscotte ça aurait fait un beau trio. En m’échappant de la salle, je me dépêchai de déposer l’animal au sol et d’appuyer la serpillière contre un mur avant de me retourner pour éteindre la lumière. Je me batailla une minute ou deux avec les paquets de croquettes avant de réussir à atteindre l’interrupteur que j’enfonçai sans ménagement. Ce geste eut certes pour effet d’éteindre la lampe, mais aussi de faire tomber un des paquets de croquettes du chat déclenchant ainsi la pire catastrophe de la matinée.

Chamallow débarqua comme une fusée et se jeta avec joie sur le sachet de croquettes d’Iggy, croyant que c’était pour lui. Je dégageai son museau trempé et poisseux (il avait sûrement mit la truffe dans le jus d’orange), et remit le paquet à sa juste place soit à un mètre trente de hauteur hors de portée du chien.

En forçant le chien à sortir, il buta dans la serpillière qui tomba avec un bruit mat sur le sol. Tout excité à l’idée d’avoir trouvé un nouveau jeu, Chamallow se jeta dessus et parti en courant dans la maison, le manche en travers de la gueule.

— Non ! Au pied !

Le berger allemand se retourna ratant de peu un vase posé sur une table basse et me regarda avec l’air qu’il arborait tout le temps lorsqu’il voulait jouer.

— Chamallow ! Pas jouer ! Au pied ! répétai-je avec le plus de fermeté que je pus.

Mais le chien ne l’entendit pas de cette oreille et fit demi-tour, son trophée toujours en travers de la gueule. Me tournant le dos, il alla se coucher sur un tapis, laissant une piste humide derrière lui. Apparemment, il n’avait pas fait que mettre la truffe dans le jus d’orange.

— Chamallow ! J’ai dit… Au pied ! tentai-je une dernière fois.

Mais voyant que c’était vain, je marchai d’un pas décidé vers lui et tentai de lui arracher la serpillière de la gueule. Il se mit alors à gronder et à resserrer les mâchoires afin de garder son trésor, alors que je tirai de toutes mes forces dans l’espoir de récupérer la serpillière.

Au bout de longues minutes de bataille, à croiser les doigts pour que rien ne soit cassé, et que Chamallow accepte de lâcher le manche, je sorti victorieuse. M’en emparant, je tentai d’ignorer les traces de dents et la texture baveuse qu’elle avait pris, et me dépêchai d’aller nettoyer le sol de la cuisine avant le retour de ma mère. Il allait sans dire qu’elle n’apprécierait pas de trouver le carrelage couvert d’une délicate épaisseur de jus orangé, poisseux et collant par-dessus le marché.

Tout en nettoyant du mieux possible, j’espérai de tout mon cœur qu’elle ne verrai pas les traces des pattes du chien et du chat qui avaient mit les pattes dans le jus. Lorsque je dû remettre la serpillière à sa place, je me contentai de la jeter au travers de la pièce où elle était censée être ‘’rangée’’ en me disant que personne ne remarquerai qu’elle avait bougé. Retournant dans la cuisine, j’abandonnai l’idée de sortir une nouvelle plaquette de beurre du frigo, ou même de l’ouvrir. Il n’était tout simplement pas question de devoir nettoyer une seconde fois le sol déjà sale de la cuisine.

J’avalai en vitesse deux tartines de confiture avant de courir vers ma chambre lorsque j’entendis ma mère revenir. Une fois dans la maison, sa première réaction fut d’aller vérifier que j’étais en train de travailler. Elle me découvrit assise en pyjama à mon bureau, le classeur de français ouvert sur un questionnaire sur le Mariage de Figaro et La Princesse de Clèves ouverte à une page quelconque. Par chance, elle ne nota pas cette erreur stratégique de ma part, et se contenta de me dire :

— Tu aurais pu t’habiller quand même.

Avant de refermer la porte et de se diriger vers la cuisine avec la probable intention de ranger le petit-déjeuner car personne d’autre qu’elle ne le faisait jamais. Lâchant le stylo qui m’avait servit à donner l’illusion d’un travail intense, je me levai et ouvrit le placard où je rangeai mes vêtements. J’étais en train de choisir quel jean bleu j’allais porter lorsque j’entendis ma mère pousser un hurlement.

— Ah… C’est le frigo, fit-je.

Quelques secondes plus tard, un autre cri encore plus aigu retenti.

— Et ça c’est le tapis.

Au même instant, j’entendis la porte du bureau de mon père s’ouvrir et il cria :

— Mais fermez-la ! Je suis en réunion !

Bien à l’abris derrière ma porte fermée, j’esquivai alors la grosse dispute qui s’en suivit. Le confinement allait bientôt devoir se terminer, sinon je ne sais pas ce qui allait advenir de cette délicate chose que l’on appelle cellule familiale. Probablement une guerre bien plus redoutable que ma bagarre avec le chien pour la serpillière.

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